La Vie amoureuse de madame de Pompadour/11

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Ernest Flammarion, éditeur (p. 154-170).


XI


En renonçant à sa maîtresse devenue son amie, Louis XV n’avait pas renoncé aux femmes. Il en avait le besoin plus que l’amour et l’habitude plus que le besoin. Passé la quarantaine, la première ardeur de ses sens s’amortissait. Déjà il avait cette fringale de la chair fraîche, cet appétit du fruit vert qui succèdent à la passion de l’homme fait pour la femme épanouie et qui annoncent le vice du vieillard.

À ce monstre de la débauche qui s’éveille dans les sens du Roi, il faut une pâture. Mme de Pompadour accepte qu’il la prenne, pourvu qu’il ne la prenne pas à la Cour. Elle ne supportera pas les rivales titrées, Choiseul ou Coislin, qui briguent sa place, et pour en divertir l’attention du Roi, elle souffre les « femmes obscures », les filles séduites ou achetées par les soins du valet de chambre Lebel. Cela ne signifie pas, comme ses détracteurs l’ont prétendu, qu’elle les procure elle-même à son ex-amant, et que la dévote se double d’une entremetteuse. La légende, qui fait de Mme de Pompadour une sultane validé du Parc aux Cerfs, est, comme toutes les légendes, une grossière simplification de sentiments et d’actes très complexes et mal analysés.

Il semble bien que le secret de cette attitude complaisante se révèle dans les Mémoires de Mme du Hausset, portraitiste sans art, mais fidèle, de la maîtresse qu’elle connaît si bien. Le passage vaut d’être cité tout entier.

« Madame me fit appeler un jour et entrer dans son cabinet où était le Roi, qui se promenait d’un air sérieux.

« Il faut, me dit-elle, que vous alliez passer quelques jours à l’avenue de Saint-Cloud, dans une maison où je vous ferai conduire. Vous trouverez là une jeune personne prête à accoucher. »

Le roi ne disait rien.

« Vous serez la maîtresse de la maison et présiderez, comme une déesse de la Fable, à l’accouchement. On a besoin de vous pour que tout se passe suivant la volonté du Roi et secrètement. Vous assisterez au baptême et indiquerez les noms du père et de la mère. »

Le Roi se mit à rire et dit :

« Le père est un très honnête homme. »

Madame ajouta :

« Aimé de tout le monde et adoré de tous ceux qui le connaissent. »

Madame s’avança vers une armoire et en tira une petite boîte qu’elle ouvrit. Elle en sortit une aigrette de diamants en disant au Roi :

« Je n’ai pas voulu, et pour cause, qu’elle fût plus belle.

— Elle l’est encore trop.

Et il embrassa Madame, en disant :

« Que vous êtes bonne ! »

Elle pleura d’attendrissement, et mettant sa main sur le cœur du Roi : « C’est là, dit-elle, que j’en veux ! »

Les larmes vinrent aussi aux yeux du Roi et je me mis à pleurer sans savoir pourquoi. Ensuite, il me dit :

« Guimard vous verra tous les jours pour vous aider et conseiller. Et, au grand moment, vous le ferez avertir de se rendre auprès de vous. Mais nous ne parlerons pas du parrain et de la marraine. Vous les annoncerez comme devant arriver, et, un moment après, vous aurez l’air de recevoir une lettre qui vous apprendra qu’ils ne peuvent venir. Alors, vous ferez semblant d’être embarrassée et Guimard dira : « Il n’y a qu’à prendre les premiers venus. » Vous prendrez la servante de la maison, un pauvre ou un porteur de chaises. Vous ne leur donnerez que douze livres, pour ne pas attirer l’attention… Guimard vous dira les noms du père et de la mère. Il assistera à la cérémonie qui doit être le soir et donnera les dragées. Il est bien juste que vous ayez les vôtres. »

« Et il tira cinquante louis qu’il me remit de cette mine gracieuse qu’il savait prendre dans l’occasion, et que n’avait personne autre que lui dans son royaume. Je lui baisai la main en pleurant.

« Vous aurez soin de l’accouchée, n’est-ce pas ?

C’est une très bonne enfant qui n’a pas inventé la poudre, et je me fie à vous pour la discrétion. Mon chancelier vous dira le reste, dit-il en se tournant vers Madame. » Et il sortit.

« Eh bien, comment trouvez-vous mon rôle ? dit-elle.

— D’une femme supérieure et d’une excellente amie, dis-je.

— C’est à son cœur que j’en veux, me dit-elle, et toutes ces petites filles qui n’ont point d’éducation ne me l’enlèveront pas. Je ne serais pas aussi tranquille, si je voyais quelque jolie femme de la Cour ou de la Ville, tenter sa conquête. »

« Je demandai à Madame si la jeune personne savait que c’était le Roi qui était le père.

— Je ne le crois pas, me dit-elle. Mais comme il a paru aimer celle-ci, on a craint qu’on ne se soit trop empressé de lui apprendre. Sans cela, on dit, à elle et à d’autres, dit-il en levant les épaules, que c’est un seigneur polonais, parent de la Reine et qui a un appartement au château. Cela a été imaginé, à cause du cordon bleu que le Roi n’a pas souvent le temps de quitter, parce qu’il faudrait changer d’habit, et aussi pour donner une raison de ce qu’il a un logement au château si près du Roi. »

La scène est complète et chaque personnage y tient son rôle et parle selon sa nature. Qu’il y ait là de l’immoralité, tous trois en conviendraient facilement, mais ils n’y trouvent nulle indélicatesse. Louis XV est persuadé qu’il ne nuit à personne, puisqu’il est accoutumé de bien doter et marier ses petites sultanes et d’assurer le sort — très modeste — de ses bâtards. Madame du Hausset obéit à un ordre du Roi. Quant à Madame de Pompadour, elle fait la part du feu, et se moque des préjugés. Elle dit vrai : c’est au cœur de Louis XV qu’elle tient. Les passades sont sans importance. La marquise peut être indulgente et bonne sans croire engager sa dignité. Elle a, sur ces choses, les idées de son temps, et pour elle la « bagatelle » n’est que… bagatelle.

Elle connaît l’existence du logement dans les combles de Versailles où le Roi se rend sans être vu, et elle sait que dans la petite maison du Parc aux Cerfs, une et quelquefois deux jeunes personnes, gouvernées par la femme d’un commis de bureau de la guerre, attendent le bon plaisir du Roi. Ce Parc aux Cerfs qui fera écrire tant de sottises, où l’imagination des mémorialistes et de certains historiens mettra un « troupeau de filles », — dix-huit cents, dit Soulavie, l’éditeur des douteux Mémoires de Richelieu, — ce « sérail » qui, d’après Lacretelle, coûta plus de cent millions d’État, — cent cinquante millions, dit un autre, — ce prétendu château sinistre, entouré de murs épais, « lugubre comme un abattoir », où les portes capitonnées devaient étouffer les cris des victimes, — qu’est-ce donc en réalité ?

Allez dans la rue Saint-Médéric, à Versailles. Cherchez la maison qui porte aujourd’hui le no 4, joli petit hôtel avec une aile en retour formant pavillon. Ce pavillon, c’est le Parc aux Cerfs, comme en fait foi l’acte de vente, retrouvé par M. Leroi, conservateur de la Bibliothèque de Versailles.

Entrez dans le jardin — si la permission vous en est donnée — montez les six marches appelées « le degré du Roi », et pénétrez dans la toute petite maison drapée de lierre et de vigne-vierge. Au rez-de-chaussée, il y a une grande cuisine, un cabinet de bains, une remise, une écurie pour un seul cheval. Gravissez l’escalier de bois qui mène à l’étage — étage unique sous la haute lucarne du toit d’ardoises. Il y a encore, au mur, les anneaux de la main-courante. Au premier, deux pièces seulement, un salon avec une alcôve et un cabinet adjacent, une chambre avec un cabinet. Dans le salon, une porte en glaces dissimule un placard. Ni boiseries luxueuses, ni trumeaux dorés. Tout est peint d’un seul ton blanc gris. De simples et belles moulures chantournées, des cheminées gracieuses, en marbre de couleur. Pas d’autre luxe. Les habitantes du logis ne devaient pas songer que le « seigneur polonais » fût bien riche.

Combien de jolies filles passèrent, pour quelques semaines ou quelques mois, dans cette maison dont un financier n’aurait pas voulu pour sa « folie » ? Nul ne peut le dire, mais on sait qu’elles n’y furent jamais plus d’une ou deux à la fois, avec l’intendante — la « mère abbesse » dit Mme du Hausset, et les domestiques. La première fut cette Murphy que le duc de Luynes appelle Morphise, ravissante fille, qui avait désappris la pudeur en posant les nymphes dans l’atelier de Boucher. Quatorze ou quinze ans, un petit corps enfantin et féminin, souple et bien en chair, veiné de bleu, avivé de rose, où sur la douce soie de la peau, la lumière nacrée jouait comme une caresse, un visage puéril, aussi frais qu’une fleur sous la rosée, le rire et l’accent de Paris, l’humeur « folâtre » si reposante pour un homme las et blasé. Cette fillette devient mère, et sa maternité, qui la rend plus éclatante, rend plus vif le caprice du Roi. Il la fait venir à Versailles, la montre à ses familiers. Bientôt, elle n’est plus la petite Murphy, fille d’une revendeuse à la toilette et d’un savetier ; elle est Mlle O’Murphy (?) d’une noble maison irlandaise (?) La maréchale d’Estrées la flatte, lui arrache des confidences, lui suggère de se faire « déclarer ». Et Murphy, sans prudence et sans malice, profite de l’intimité pour demander un jour, au Roi : « Où en êtes-vous, avec votre fameuse vieille ? » Le Roi, étonné, l’interroge. En véritable enfant, elle se met à pleurer et raconte tout. L’histoire arrive aux oreilles de Mme de Pompadour. Il suffit d’un mot d’elle, au Roi. Mme d’Estrées est exilée de la cour, et Murphy est mariée avec un major du régiment de Beauvoisis qui reçoit 50.000 livres pour prix de sa complaisance, avec les 200.000 livres de la dot et un superbe trousseau. Quant à la petite fille, née des amours du Roi, elle sera mise dans un couvent, avec une rente viagère de 3.000 livres.

D’autres pensionnaires, Mlles Fouquet, Hénault, Robert, Nicquet, Tresson, succédèrent à la Murphy dans le pavillon mystérieux. Quelle était, parmi ces jeunes filles, celle dont Mme du Hausset dut prendre soin, et qui accoucha non pas dans la maison du Parc aux Cerfs, dont on l’avait retirée provisoirement, mais dans une autre maison de l’avenue de Saint-Cloud ? La suite du récit de Mme du Hausset nous apprend seulement que cette demoiselle était de la plus jolie figure, mise fort élégamment, très gaie, et singulièrement naïve. Elle reçut l’aigrette de diamants avec la plus vive joie. Après souper, elle demanda à Mme du Hausset : « Comment se porte monsieur le comte ? — C’était le Roi qu’elle appelait ainsi. — Il sera bien fâché de n’être pas auprès de moi, mais il a été obligé de faire un assez long voyage… C’est un bien bel homme, et il m’aime de tout son cœur. Il m’a promis des rentes, mais je l’aime sans intérêt, et s’il voulait, je le suivrais bien dans sa Pologne. »

Elle parla ensuite de ses parents et de Lebel qu’elle connaissait sous le nom de Durand.

« Ma mère, ajouta-t-elle, avec fierté, était une grosse épicière-droguiste, et mon père n’était pas un homme de rien… Il était des Six-Corps, et c’est, comme on sait, tout ce qu’il y a de mieux. Enfin, il avait pensé deux fois être échevin. »

Elle dit encore que sa mère, devenue veuve, avait « essuyé des banqueroutes », mais Monsieur le Comte avait sauvé la famille en lui donnant 1.500 livres de rente et 6.000 francs d’argent comptant.

« Six jours après, elle accoucha. On lui dit, suivant mes instructions, que c’était une fille, quoi que ce fût un garçon et bientôt après, on devait lui dire que son enfant était mort, pour qu’il ne restât aucune trace de son existence pendant un certain temps. Ensuite on le remettrait à la mère… Le Roi donnait sept ou huit mille livres de rente à chacun de ses enfants. Ils héritaient les uns des autres, à mesure qu’il en mourait. Il y en avait déjà sept ou huit de morts. »

Madame du Hausset reçut une tabatière d’or, fort grande, où étaient deux rouleaux de vingt-cinq louis, et la demoiselle, dont le Roi s’était dégoûté, fut mariée en province, avec quarante mille écus de dot et quelques diamants.

Toutes les pensionnaires du Parc aux Cerfs n’avaient pas cette parfaite crédulité. L’une d’elles, que le « comte polonais », avait vue plusieurs fois et fort tendrement, montra un désespoir étrange quand elle apprit l’attentat de Damiens. La « mère abbesse », Mme Bertrand, l’interrogea et lui fit avouer la vérité : poussée par la curiosité et peut-être par la jalousie, elle avait fouillé les poches du Roi et trouvé des lettres — l’une du roi d’Espagne, l’autre de l’abbé de Broglie — qui l’avaient instruite. Le même jour, le Roi étant venu voir secrètement l’autre pensionnaire, la délaissée se précipita, en bousculant tout, dans la chambre où était le couple. Elle se jeta aux genoux de Louis XV. « Oui, vous êtes le Roi, criait-elle, et de tout le royaume, mais ce ne serait rien pour moi, si vous ne l’étiez pas de mon cœur. Ne m’abandonnez pas, mon cher Sire ! J’ai pensé devenir folle, quand on a manqué vous tuer ».

— Mais vous l’êtes encore ! criait l’abbesse.

Le Roi embrassa la pauvre fille, et ne sachant qu’en faire… la fit conduire dans une maison d’aliénées où elle demeura quelques jours. On lui affirma qu’elle avait rêvé toute son aventure, mais elle savait bien, par le témoignage de ses yeux et l’instinct de son cœur, que le Roi avait été son amant.

Ce qu’il y avait de cruel dans cette conduite du Roi, Mme du Hausset ne le sentait pas, et Mme de Pompadour, moins encore. Bien mieux — on le voit clairement par les passages cités — la marquise admirait la « bonté » du Roi, et le Roi la « bonté » de la marquise.

Cette « bonté » fut mise à l’épreuve en 1762, lorsque, dans la vie secrète du souverain, une jeune femme entra, plus redoutable, à elle seule, que tout le harem du Parc aux Cerfs. Il ne s’agissait pas d’une « petite fille sans éducation » offerte à Louis XV comme un bouquet de roses ou un panier de pêches veloutées. Après les grâces et les « folâtreries », les ingénuités libertines et les douceurs moutonnières, dont il était rassasié, le Roi découvrait soudain la grande beauté sculpturale, la majesté du corps unie à la fierté du caractère, une personne bien née, bien élevée, plus royale d’aspect que les reines, et près de laquelle il semblait, lui, le plus bel homme de son royaume ! « un écolier, un demi-roi ». Cette vivante statue, qui dépassait de la tête les autres femmes, et dont les cheveux noirs, déroulés, tombaient jusqu’à terre, c’était Mlle Anne de Coupiers de Romans, fille d’un avocat de Grenoble. Elle fut présentée au Roi dans les jardins de Marly. Louis XV en fut épris, dit Mme du Hausset « autant qu’il pouvait l’être ». Pour cette belle, il n’était pas question du Parc aux Cerfs. Elle fut logée à Passy, dans une maison achetée pour elle, où son amant, de plus en plus fou, l’allait voir. Elle devint grosse, et mit au monde un fils dont elle ne voulut pas se séparer et qu’elle nourrit elle-même. Dans ce bel enfant — vivant portrait du Roi — baptisé sous le nom de Louis-Aimé de Bourbon, « fils de Charles de Bourbon, capitaine de cavalerie », Anne de Romans voyait un futur duc du Maine. Souvent, aux Tuileries ou au Bois de Boulogne, elle allait s’asseoir, ayant son fils dans une corbeille, et, devant les gens qui les admiraient tous deux, elle ouvrait son fichu de dentelles pour allaiter l’enfant du Roi. Mme de Pompadour, dévorée d’inquiétude et de curiosité, voulut connaître sa rivale. Un jour, avec Mme du Hausset, elle se rendit au Bois de Boulogne, la figure cachée dans ses coiffes et tenant un mouchoir sur sa bouche, comme une personne qui souffre des dents.

« Nous nous promenâmes quelques moments dans un sentier, raconte Mme du Hausset, d’où nous pouvions voir la demoiselle allaitant son enfant. Ses cheveux, d’un noir de jais, étaient retroussés avec un peigne orné de quelques diamants.

Elle nous regarda fixement, et Madame la salua. Puis, me poussant le coude, elle me dit :

« Parlez-lui »

Je m’avançai et lui dis :

« Voilà un bien bel enfant ! »

— Oui, répondit-elle, je peux en convenir, quoique je sois sa mère.

Madame, qui me tenait sous le bras, tremblait. Je n’étais pas trop rassurée. Mlle de Romans me demanda :

« Êtes-vous des environs ? »

— Oui, Madame, je demeure à Auteuil avec cette dame, qui souffre en ce moment d’un mal de dents cruel.

— Je la plains fort, car je connais ce mal qui m’a souvent bien tourmentée.

Je regardai de tout côté, dans la crainte qu’il ne vînt quelqu’un qui nous reconnût. Je m’enhardis à lui demander si le père était un bel homme.

« Très beau, répliqua-t-elle, et si je vous le nommais, vous diriez comme moi.

— J’ai l’honneur de le connaître, Madame ?

— Cela est très vraisemblable…

Mme de Pompadour n’en voulut pas entendre davantage. Elle prit congé, en hâte, et regagnant sa voiture, elle soupira :

« Il faut convenir que l’enfant et la mère sont de belles créatures, sans oublier le père… L’enfant a ses yeux… »

Cette rencontre lui laissa une tristesse profonde. Peut-être se souvenait-elle d’Alexandrine, peut-être craignait-elle, chez le Roi, un sursaut inconnu d’amour paternel. La maréchale de Mirepoix, qui avait du bon sens et de l’expérience, la rassura en affirmant que le Roi se souciait fort peu d’enfants ; qu’il ne faisait rien pour le comte du Luc ; qu’il n’en parlait même jamais et qu’encore une fois, « on n’était pas sous Louis le Quatorzième… Je ne vous dirai pas qu’il vous aime mieux qu’elle, ajouta la maréchale ; et si, par un coup de baguette, elle pouvait être transportée ici, qu’elle lui donnât ce soir à souper et fût au courant de ses goûts, il y aurait peut-être pour vous de quoi trembler ; mais les princes sont gens d’habitude ; l’amitié du Roi pour vous est la même que pour votre appartement, vos entours ; vous êtes faite à ses manières, à ses histoires ; il ne se gêne pas ; il ne craint pas de vous ennuyer ; comment voulez-vous qu’il ait le courage de déraciner tout cela en un jour, de former un autre établissement, et de se donner en spectacle au public par un changement aussi grand ? »

Le dénouement de l’aventure fut terrible pour Mlle de Romans. Elle avait la beauté, la jeunesse, une maternité brillante, l’amour du Roi, tout ce qui manquait à Mme de Pompadour ; mais il lui manquait ce que possédait sa rivale : l’art de plier et de patienter. Elle fatigua Louis XV par ses prétentions. Aussi vite détaché que conquis, il ne vit plus, en elle, qu’une personne imprudente, indiscrète, dont les propos hardis le gênaient. Sans pitié, il fit enlever l’enfant, qu’on éleva loin de sa mère, et qui devint, plus tard, après une jeunesse malheureuse, l’abbé de Bourbon, protégé par Louis XVI et par Mesdames.

Anne de Romans épousa, quasi par force, un M. de Cavanhac, et la route fut libre, devant Mme de Pompadour, la route qui n’était plus bien longue…