La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre LXIX

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P. Fort (p. 357-360).

CHAPITRE LXIX

DE LA TERRE AU FIRMAMENT, TRAIN DIRECT !

Unanimes furent les apôtres à reconnaître, cette fois, que le Christ était bien vivant.

Jésus, du reste, se signala encore par plusieurs miracles ; mon impartialité m’oblige à dire, néanmoins, qu’il est profondément regrettable que tous ces prodiges n’aient pas été accomplis coram populo, au nez et à la barbe de Pilate, d’Hérode et de Caïphe.

Jamais personne, en dehors des apôtres, n’en entendit parler. Voyez comme cela est malheureux ! Les impies peuvent dire que le fils du pigeon n’est jamais ressuscité et que ce sont les apôtres qui ont fait courir ce bruit.

Il est vrai que les impies peuvent aller plus loin et dire même qu’il n’a jamais existé, et que ce sont les fondateurs de la religion chrétienne, dans la première moitié du deuxième siècle, qui ont fabriqué cette légende.

En effet, si aucun historien ne relate ce fait merveilleux de la résurrection d’un particulier cloué à une potence, d’autre part aucun historien non plus ni aucun acte authentique ne font allusion seulement à l’existence de l’individu.

Les divers écrits de l’époque[1] nous parlent bien du tétrarque Hérode, du gouverneur Ponce-Pilate ; mais ces personnages, auxquels l’Évangile seul a mêlé le nom de Jésus, ne sont nulle part représentés comme ayant jamais eu affaire à un homme quelconque de ce nom. Sa mort même, qui aurait dû avoir du retentissement à cause des circonstances qui la provoquèrent et l’accompagnèrent, n’est constatée dans aucun ouvrage contemporain de l’empereur Tibère-César.

Les impies ont donc beau jeu à critiquer l’Évangile, dont non seulement les dires ne sont confirmés par aucun auteur recommandable, mais qui encore fourmille de contradictions extravagantes.

Ces réserves faites, je n’éprouve aucune difficulté à abonder un instant dans le sens des théologiens catholiques.

Jésus, disent-ils, sortit du tombeau. — Mais certainement, aimables farceurs !

Il se montra à ses apôtres. — Parbleu !

Il réédita les miracles d’avant son supplice. — Mais comment donc !

D’abord, un beau jour que Simon-Pierre était allé à la pêche et ne prenait pas le moindre goujon, suivant sa noble habitude, le fils du pigeon surgit tout à coup sur le rivage, au moment où les apôtres revenaient penauds de leur infructueuse expédition.

— Enfants, leur dit-il, n’avez-vous rien à manger ?

— Non.

— Eh bien, jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez.

Pierre et ses collègues obéirent. Quelques instants après, ils avaient pêché tant de poissons que leur barque faillit s’enfoncer ; leurs filets craquaient.

Lorsqu’ils furent descendus à terre, Pierre fit le compte et constata la capture de cent cinquante-trois gros poissons. Pas un de plus, pas un de moins ; c’est parole d’Évangile.

— Venez, dit Jésus, et mangez.

On s’en fourra tant qu’on put ; mais plus on boulottait, plus les gros poissons se multipliaient.

Ah ! les pauvres ! que n’ont-ils pas le pouvoir surnaturel de Jésus ! comme ce pouvoir leur serait utile pour les aider à subvenir aux besoins de leurs familles !

Le dîner fut excellent, les poissons étaient tout ce qu’il y avait de mieux dans le lac ; mais on manquait de dessert. En guise de dessert, Jésus servit à ses disciples un petit discours.

Il s’adressa à Simon-Caillou et lui dit :

— Pierre, m’aimes-tu ?

— Oui, Seigneur, je vous aime.

— Eh bien, tu feras paître mes brebis.

Au bout de cinq minutes, Jésus réitéra sa question :

— Pierre, m’aimes-tu ?

Et Simon-Caillou répondit comme la première fois.

À quoi le Verbe, qui adorait les répétitions, dit encore :

— Je te donne le soin de faire paître mon troupeau.

C’est en vertu de ces paroles que l’Église nous raconte que Pierre fut le premier pape.

Jésus apparut encore, à plusieurs reprises, à ses apôtres.

Un matin, d’assez bonne heure, il les emmena sur une autre colline.

Les apôtres, chemin faisant, se demandaient ce qui allait arriver.

— Est-ce qu’il va nous exciter encore à l’insurrection et se faire crucifier une seconde fois ?

Quelques-uns étaient inquiets, pensant que ce pourrait bien être leur tour. Ils n’envisageaient pas avec gaieté la perspective d’une potence.

Quand on fut au sommet de la colline, le Verbe leur parla ainsi :

— La comédie est terminée ; nous allons baisser le rideau. Ma mission est accomplie ; je n’ai plus rien à fricoter dans cette vallée de larmes. Je vais donc rejoindre au ciel le père Jéhovah. Embrassez-moi, et au revoir dans un meilleur monde.

Les apôtres étaient stupéfaits.

— Quoi ! vous nous quittez !

— Il le faut, c’est écrit dans le livre du destin.

— Mais que deviendrons-nous, si vous n’êtes plus dans notre compagnie pour nous fortifier par vos exemples ?

— Soyez sans crainte, je veillerai sur vous. J’ai soufflé sur vos têtes ; mon père no 2, le Saint-Esprit, descendra vous confirmer les dons précieux que j’ai tenu à vous transmettre. Allons, une dernière risette au patron ! L’heure de mon départ est sonnée.

On s’embrassa.

Après quoi Jésus, non sans avoir caressé la Magdeleine, posa le pied droit sur une pierre, plia le jarret, pour se donner du ressort, et s’élança en l’air.

Thomas eut, une seconde, l’idée qu’il allait retomber.

Pas du tout.

Le Verbe se soutenait dans le vide, et il montait, montait, avec une certaine vitesse.

Il monta tant et si bien, qu’à la fin les apôtres s’aperçurent… qu’ils ne l’apercevaient plus.

Alors, deux anges parurent à leurs côtés, et leur voix mélodieuse susurra ces paroles :

— Hommes de Galilée, ne regardez plus en haut comme ça ! Jésus est parti, et bien parti. Il ne reviendra qu’à la fin du monde pour juger les vivants et les morts.

Et les apôtres s’en retournèrent au cénacle, baissant le nez, et convaincus que leur existence, désormais, n’allait pas être semée de roses. (Matthieu, XXVIII, 16-20 ; Marc, XVI, 15-20 ; Luc, XXIV, 44-53 ; Jean, XXI, 1-25.)


  1. Et ils sont nombreux, car la civilisation romaine était alors à son apogée.