La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre XI

La bibliothèque libre.
P. Fort (p. 39-43).

CHAPITRE XI

LA SAINTE FAMILLE DÉTALE

Pas méfiants le moins du monde, nos trois rois-mages se proposaient de tenir leur promesse à Hérode. Ils comptaient revoir le tétrarque et lui indiquer l’écurie où trônait son futur concurrent : ils allaient commettre là une fière boulette. Heureusement, du haut du ciel, Jéhovah veillait sur son Fils, — ainsi nommé parce qu’il avait été engendré par le pigeon.

Les trois mages eurent une nuit le même songe.

Une voix leur dit :

— Gardez-vous bien de revoir le roi Hérode. C’est un méchant qui en veut au gosse que vous avez si bien adoré. Ne remettez plus les pieds à Jérusalem, et retournez dans votre pays par un autre chemin.

Nos mages obéirent.

Comment parvinrent-ils dans leur pays en ne prenant pas la même route qu’ils avaient suivie pour venir ? — L’Écriture sainte ne le mentionne pas. Une étoile nouvelle (ou peut-être la même) leur aura sans doute servi encore de guide. — À leur arrivée, à coup sûr, ils trouvèrent leurs peuples inquiets de leur absence, et ils reprirent les rênes du gouvernement comme par le passé. Seulement, ce qui est curieux, c’est que ces rois, qui avaient exécuté une promenade de huit mois, y compris l’aller et le retour, pour venir adorer un dieu nouveau, n’aient pas songé ensuite à établir sa religion dans leurs États. Aucun historien, en effet, ne rapporte que l’on ait adoré, à n’importe quelle époque, le Christ en Perse, région où se trouvaient les royaumes des mages.

Mais ce sont là des détails insignifiants.

Revenons à Joseph.

Peu après l’adoration des mages, le charpentier revit en rêve — les songes jouent décidément un grand rôle dans l’Écriture

Hérode fait égorger 20.000 innocents dans Bethléem (chap. XII).
Hérode fait égorger 20.000 innocents dans Bethléem (chap. XII).
Hérode fait égorger 20.000 innocents dans Bethléem (chap. xii).
sainte — l’archange Gabriel. Ce messager du ciel l’informa du péril que courait le petit Jésus.
 

— Lève-toi, Joseph, dit l’archange. Prends le poupon et sa maman, et fichez tous le camp. Allez en Égypte, c’est à deux pas ; vous n’avez qu’à traverser l’Arabie ; Abraham, d’après la Bible, a mis quelque soixante ans à parcourir ce chemin ; mais, avec le progrès qui envahit tout, vous irez beaucoup plus vite. Fuis, fuis, ô Joseph, car le roi Hérode va, dès demain, rechercher le petit Jésus pour lui faire passer le goût du biberon.

Joseph ne se le fit pas dire deux fois. Il n’attendit pas le lever de l’aurore.

Il secoua sa femme qui, sur la paille de l’étable, était en train de rêver du Saint-Esprit, et lui cria :

— Hoh ! hop ! ma femme, debout !

— Quoi ? qu’y a-t-il ? demanda Marie en se frottant les yeux.

— Debout ! debout ! répétait l’autre.

— Oh ! Joseph, que vous êtes ennuyeux ! Ne pourriez-vous pas me laisser dormir en paix ?

— Il ne s’agit pas de taper de l’œil, ma femme. Il y a que le roi Hérode veut tuer Jésus. Voulez-vous lutter contre ce puissant monarque ? Je sais bien que votre fils, qui est un dieu, ne se laisserait pas égorger ; mais mon avis est qu’il ne faut pas compter encore sur le pouvoir souverain du moutard. Donc, il est plus sage de ne pas risquer notre peau dans l’égorgement qui se prépare. Attrapez votre nourrisson, madame, et prenons illico de la poudre d’escampette !

À cette exhortation, qui ne souffrait pas de réplique, Mme  Joseph se leva.

— Soit ! dit-elle, j’adhère à votre projet de départ ; mais qui portera tous mes ustensiles ? Vous pensez bien que je ne vais pas me charger d’un autre colis que du poupon.

— Qu’à cela ne tienne, madame ; nous emmènerons avec nous cet âne.

— Mais il n’est pas à nous. On l’a placé dans cette écurie pour l’y abriter. En vertu de la plus vulgaire probité, nous ne pouvons nous en emparer.

— Pardon, ce n’est pas pour nous que nous allons agir ; c’est pour le compte et le salut de votre fils. Or, Jésus n’est-il pas le maître du monde ?

Il n’y avait plus d’objection à faire. On s’empara de l’âne. Marie se plaça dessus, prit le gosse dans ses bras, et l’on partit[1].

Quand le soleil parut à l’horizon, la sainte famille était déjà loin de Bethléem.

On chemina toute la journée.

Sur le soir, à la tombée de la nuit, des hommes de mauvaise mine entourèrent les émigrants.

— La bourse ou la vie ! cria le chef de la bande.

Marie n’avait pas dit à Joseph qu’elle emportait une cassette pleine de l’or du roi mage.

Aussi, Joseph, à la sommation du brigand, répondit avec une ingénuité parfaite :

— Mes bons messieurs, vous vous trompez du tout au tout à notre propos. Nous ne sommes pas de riches voyageurs, comme vous paraissez le croire. Je suis, pour ma part, un malheureux charpentier, et je quitte très pauvrement mon pays. Je n’ai pour toute fortune que ma scie et mon rabot. Mademoiselle que vous voyez là est ma femme, et le petit n’est autre que le Messie promis aux Juifs par les prophètes.

Le bandit, à ce qu’il paraît, avait lu les prophéties, et même il y croyait.

Il se jeta aux genoux de la maman-pucelle et la pria de l’excuser pour son procédé un peu trop sans-façon.

— Madame ou mademoiselle, fit-il, je me nomme Dimas. Je suis voleur par profession, mais cela ne m’empêche pas d’avoir de bons sentiments. Je vous demande pardon de vous avoir arrêtée, et, pour la peur que ma bande vous a dû causer, je vous prie d’accepter l’hospitalité chez moi cette nuit. J’ai un enfant, moi aussi ; le pauvre chéri est malade. Venez à la maison ; vous trouverez un bon gîte ; et puisque votre moutard est le Messie, votre séjour chez moi me portera bonheur.

— Que penses-tu de cette offre ? demanda Joseph à Marie ; elle me semble faite de bon cœur. Au surplus, il risque de pleuvoir. Il ne serait pas honnête de laisser pincer un rhume au divin moutard dont Jéhovah nous a confié le dépôt.

— Il y a des honnêtes gens, même chez les voleurs, répondit la Vierge ; acceptons donc l’hospitalité qu’il nous offre[2].

Dimas était heureux de l’honneur que lui faisait la mère de son Dieu. Il conduisit la sainte famille à sa demeure et les reçut de son mieux.

La légende chrétienne ne nous a pas conservé d’autre incident de ce départ pour l’Égypte. La première nuit de déménagement du ménage Joseph fut passée chez le larron Dimas, que nous retrouverons plus tard, vers la fin de ce récit. Le lendemain, quand Jésus quitta le toit hospitalier du voleur, l’enfant malade était guéri.

Bien plus, en ce logis, se trouvait une fontaine où Marie lava les langes du divin poupon ; car, quoique Dieu, Jésus était soumis aux lois de l’humaine nature.

De nos jours, on montre encore aux pèlerins, dans les environs de Bethléem, cette fontaine de Dimas, où furent nettoyés les chiffons qui emmaillottaient le petit Christ ; et cette fontaine, en mémoire de ce nettoyage, accomplit souvent de grands miracles.


  1. D’après l’Évangile lui-même, Joseph et Marie étaient de vulgaires filous, dignes de la police correctionnelle. En effet l’Évangile nous représente d’abord le charpentier et sa femme se rendant à pied, le plus pauvrement du monde, à Bethléem pour le recensement. Ils sont refusés par les hôtelleries de l’endroit, et, comme Marie est prise des douleurs de l’enfantement, ils se réfugient dans une écurie, où se trouvent deux animaux, un bœuf et un âne, attachés au râtelier. C’est sur la litière même de ces bêtes que Jésus vient au monde, la maman lui arrange un berceau dans la paille de la crèche. Or, ce bœuf et cet âne avaient évidemment des propriétaires. C’est dans l’étable que la sainte famille reçut premièrement la visite des bergers, et, après, la visite des mages. La nuit même qui suit i’adoration des mages, l’ange apparaît à Joseph et lui ordonne de déguerpir avec la mère et l’enfant, sans attendre seulement le lever de l’aurore. Joseph et Marie partent ; toutes les légendes catholiques nous les représentent emmenant un âne dans leur fuite en Égypte. Cet âne est, à n’en pas douter, celui de l’étable, car ce n’est pas au milieu de la nuit qu’ils seraient allés en acheter un chez les marchands de bestiaux de la localité. D’ailleurs, cette fuite s’accomplit à la hâte et avec la discrétion que commandaient les circonstances périlleuses où se trouvait le poupon. Si, du reste, Joseph et Marie avaient acheté à quelqu’un l’âne qui servit à leur fuite, l’Évangile, qui donne des détails bien plus insignifiants, le dirait. En conséquence, cela est certain, la mère de Jésus et son mari ont volé l’âne, impossible de le nier.

    Je sais bien ce que me répondront les catholiques : « Tout dans l’univers appartient à Dieu, et, par suite, au Christ qui est une des trois personnes de la Trinité, donc, en prenant l’âne pour l’usage du petit Jésus, Marie et Joseph n’ont commis aucun vol. » — Je n’insiste pas ; ceci est affaire d’appréciation.

  2. En réalité, Marie et Joseph n’avaient guère le droit de poser pour l’honnêteté. Ils venaient eux-mêmes de filouter l’âne de l’étable de Bethléem et ne pouvaient pas rougir de se trouver dans la société d’un voleur de profession.