La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre XLIV

La bibliothèque libre.
P. Fort (p. 212-215).

CHAPITRE XLIV

LA FOI TRANSPORTE LES MONTAGNES

Tout en causant de la sorte, Jésus et ses trois apôtres préférés étaient arrivés aux environs de la ville. Ils rencontrèrent les autres disciples, entourés d’une grande foule.

Ceux-ci venaient d’essayer, mais en vain, de guérir un jeune sourd-muet épileptique. Confiants dans la promesse que le maître leur avait faite de leur repasser son don de miracles, ils avaient pensé opérer à leur tour un prodige.

Quand le père du malade s’était présenté, André avait dit :

— Votre fils est sourd-muet et épileptique, monsieur ?… Oh ! ce n’est rien, cela ! nous possédons un pouvoir magique… Nous allons vous guérir votre fils en un clin d’œil.

Le sourd-muet s’était livré à quelques contorsions. On l’avait maintenu, et les apôtres avaient commencé leurs simagrées à l’instar de Jésus. Seulement, eux, ils n’obtenaient aucun succès.

Vainement, chacun d’eux, tour à tour, avait craché dans la bouche du sourd-muet ; vainement, ils lui avaient mis leurs doigts dans les oreilles ; vainement, ils avaient étendu leurs mains au-dessus de sa tête, en prononçant des mots barbares. C’était un four complet.

Les scribes, qui n’aimaient pas les gens de la bande à Jésus, riaient de cette déconvenue et en triomphaient insolemment. La scène changea d’aspect, quand parut le fils du pigeon.

— Ah ! voilà le patron ! fit Barthélemy, dont le front ruisselait de sueur ; il arrive bien à point.

— À propos de quoi vous disputez-vous ? demanda le maître.

Un homme sortit de la foule.

— Rabbi, dit-il, j’ai amené mon fils qui, depuis sa naissance, a une maladie étrange. Non seulement il est sourd et muet, mais encore parfois il lui prend des convulsions affreuses : il se roule par terre, il écume, grince des dents et se dessèche. Vous comprenez que cela n’est pas naturel ; il faut qu’il ait un diable dans le ventre pour se livrer à ces acrobaties. J’ai prié vos disciples de chasser ce démon, ils n’ont pu y parvenir ; mais vous, Seigneur, qui n’êtes pas un homme comme les autres, vous pourrez facilement, j’en ai la confiance, venir à bout de l’esprit malin et guérir mon fils. Rendez-moi ce service, je vous en supplie ; c’est mon unique enfant.

En disant cela, il se prosternait aux pieds de Jésus. Le grand rebouteur était flatté.

— Faites approcher votre fils, commanda-t-il.

L’enfant fut amené. À peine vit-il Jésus que, saisi d’un transport, il se jeta contre terre et se roula en écumant.

— Ça lui prend-il souvent ? interrogea l’Oint.

— Très souvent. Une fois, il souffrait tellement qu’il s’est jeté dans l’eau pour se faire périr ; une autre fois, il s’est roulé dans le feu… Oh ! c’est toute une histoire !… C’est le démon qui le pousse à ces actes de désespoir… Rabbi, rabbi, ayez pitié de lui ! ayez pitié de nous !

— Si vous croyez en moi, repartit Jésus, votre fils sera délivré du diable.

Le père du sourd-muet avait peur de ne pas être assez croyant ; il pleura.

— Rabbi, dit-il, je fais tout mon possible pour croire en vous ; mais, si je ne crois pas assez, aidez mon incrédulité.

La foule cependant s’amassait et entourait le fils du pigeon ; il se tourna vers l’enfant qui écumait sur le sol.

— Esprit sourd-muet, fit-il, je te le commande, sors de cet enfant, et n’y rentre plus.

Le démon souleva le corps du possédé, le secoua violemment et en sortit, comme toujours, avec un grand cri.

L’enfant retomba sur le flanc ; nulle écume sur les lèvres, nulle convulsion dans les membres ; l’enfant était raide sans aucun mouvement.

— Ah bien ! si c’est là une guérison, firent les scribes gouailleurs ; le moutard est mort !

Jésus prit l’enfant par la main, le releva, et le gosse guéri se tint debout. Les scribes baissèrent l’oreille et la foule applaudit. C’était un vrai succès. Modeste comme la violette, l’Oint se déroba devant l’enthousiasme des assistants et entra dans une maison voisine, où les apôtres le suivirent, honteux de leur impuissance et ne sachant à quoi l’attribuer.

Quand ils furent seuls avec le patron, ils lui demandèrent des explications.

— Enfin, dit l’un d’entre eux parlant au nom des onze autres, qu’est-ce que cela signifie ? Il y a six mois, quand vous nous avez envoyés en mission, vous nous aviez donné le pouvoir d’opérer des prodiges ; nous en avons usé ; grâce à nous, quelques guérisons ont été opérées. Aujourd’hui, nous voulons recommencer le truc, et ça ne biche plus !… Parlez franchement, nous avez-vous retiré le don des miracles ? Alors, pourquoi ?

— Mes petits agneaux, répondit le Christ, cela tient tout bêtement à ce que vous n’avez plus autant de foi qu’il y a six mois. En vérité, en vérité, je vous le dis, tout homme qui aura en moi une foi sans limites, possédera une puissance inouïe ; tout homme croyant en ma divinité pourra dire à une montagne : « Change de place », et la montagne ira où il aura voulu. La foi, sachez-le bien, transporte les montagnes[1].

Cette parole de Jésus, qui est consignée dans l’Évangile, et que les catholiques ne peuvent renier, me fait faire une réflexion : elle prouve, à mon avis, que les évêques de France sont de bien mauvais patriotes. En 1870, la France, que les théologiens appellent la fille aînée de l’Église, était envahie par les armées allemandes ; les Allemands, au dire des catholiques, sont un peuple hérétique voué à l’enfer. Or, si des individus ont la foi, ce doit être les évêques ; car, si les évêques ne croyaient pas à la divinité de Jésus-Christ, je ne vois pas pourquoi nous y croirions, nous qui ne sommes que de simples pékins. Eh bien, puisque les évêques ont une foi sans limites, ils peuvent, d’un simple mot, transporter les montagnes. Voyez un peu comme la France aurait triomphé de la Prusse, si les évêques français avaient eu pour deux liards de patriotisme : au fur et à mesure que les armées allemandes se seraient avancées sur le territoire, les évêques auraient accumulé les obstacles. L’invasion était même impossible. Au commandement de l’archevêque de Paris, toute la chaîne de l’Himalaya, qui est infranchissable, serait venue se placer sur la frontière française, et les Prussiens auraient bien été obligés de rester chez eux. Si même, par suite d’une ténacité indomptable, ils avaient gravi les pics de l’Himalaya transportés par les évêques au bord du Rhin, le cardinal de Lyon aurait saisi le moment où les troupes du roi Guillaume se seraient trouvées au sommet de ces diverses montagnes et aurait commandé :

— À présent, monts de l’Himalaya, allez vous placer au pôle Nord !

Du coup, la France était débarrassée pour jamais des armées prussiennes, et Garibaldi n’avait pas besoin de venir à son secours.


  1. Matthieu, XVII, 14-20, Marc, IX, 13-29, Luc, IX, 37-41.