La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre XVI

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P. Fort (p. 60-63).

CHAPITRE XVI

JEAN-BAPTISTE S’EN MÊLE

Établissons quelques dates précises pour taquiner un brin les partisans de la fable chrétienne.

Il est reconnu, grâce à des témoignages irréfutables[1], qu’Hérode mourut au mois d’avril 750 de la fondation de Rome. D’autre part, suivant ce qu’ont décidé les papes infaillibles, l’ère chrétienne commence à l’année de la naissance de Jésus, laquelle, toujours selon les papes, correspond à l’an de Rome 753.

Entre la mort d’Hérode et la naissance du Christ, il s’est donc écoulé : neuf mois de l’an 750, tout l’an 751, tout l’an 752 et l’an 753 moins six jours ; soit environ quatre ans.

L’Église nous dit encore que Jésus commença ses prédications à trente ans, qu’il prêcha trois ans et qu’il mourut à l’âge de trente-trois ans ; c’est très net, cela.

Or, saint Luc déclare ceci dans son Évangile (chapitre III, verset 1-2) : « L’an quinzième de l’empire de Tibère César, Ponce-Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode[2] étant tétrarque de la Galilée, son frère Philippe l’étant de l’Iturée et du pays des Trachonites, et Lysanias, de la contrée d’Abila, sous le pontificat d’Anne et de Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert. »

Le Nouveau Testament affirme, en outre, que la prédication de Jean précéda de quelques mois à peine les débuts du ministère de Jésus.

Par contre, il est certain que César-Auguste, à qui succéda Tibère, mourut le 19 août, an 767 de Rome ; donc, la quinzième année du règne de Tibère commence le 19 août, an 781 de Rome ; en conséquence, Jésus avait alors vingt-huit ans, et non pas trente.

D’où il résulte que, bien qu’inspiré par le pigeon, l’Évangile est encore une fois en flagrante contradiction avec lui-même. Pour que le Christ ait effectué ses débuts à trente ans, il faut nécessairement qu’il soit né deux ans avant l’ère chrétienne. Ce qui est assez comique.

Mais ne nous arrêtons pas davantage à ces balourdises.

Arrivons à ce Jean, fils de Zacharie, dont nous avons constaté la naissance dans nos premiers chapitres.

Jean, avons-nous dit, fit l’école buissonnière dès les premiers jours de son enfance. Au lieu de fréquenter ses jeunes amis, il s’en allait dans le désert, et là, il prenait plaisir à parler tout seul.

Son désert, à lui, était la partie inculte du territoire qui s’étend d’Hébron à Jérusalem : ce n’est qu’une suite de collines entrecoupées de vallons desséchés. De chétifs arbustes y rompent à grand’peine la monotonie des terres crayeuses dont l’éclat fatigue les yeux. Cette maigre verdure disparaît même complètement dès qu’on approche de la mer Morte ; la désolation y est absolue.

Tel est l’aspect du désert où Jean demeura jusqu’à l’âge de trente ans. On se demande de quoi il pouvait bien se nourrir. Sabaoth lui envoyait-il des cailles rôties du haut du ciel ? — L’évangéliste Matthieu raconte qu’il mangeait des sauterelles fumées à son déjeuner et à son dîner.

Quoi qu’il en soit, de rares voyageurs rencontrèrent notre homme, en firent part aux gens du pays, et pas mal de curieux s’en vinrent examiner cet original qui du matin au soir ne cessait de crier :

— « Préparez la voie du Seigneur, rendez droits ses sentiers ; toute vallée sera remplie, toute montagne sera abaissée ; les chemins tortus seront rectifiés, et les raboteux seront unis. » (Luc, chapitre III, versets 4-5.)

En outre, l’Écriture relate que ce saint homme ne se coupa jamais les cheveux. Sa longue tignasse, une ceinture de cuir et un manteau en poil de chameau constituaient tout son vêtement.

Ces diverses cocasseries ne tardèrent pas à faire une petite célébrité à Jean.

Ce que voyant, le fils de Zacharie s’installa sur les bords du Jourdain. Il invitait ses visiteurs à se mettre dans l’eau jusqu’au nombril ; puis, il leur versait, par dessus le marché, des baquets sur la tête. Il y avait toujours, dans la foule des curieux, quelques bons vivants qui se prêtaient à cette plaisanterie.

Parfois, notre maniaque recevait assez mal son monde.

Des individus qui venaient lui demander son baptême[3], croyant lui faire plaisir, étaient accueillis par cette engueulade :

— « Races de vipères, serpents nés de serpents, qui vous a avertis de fuir la colère qui doit tomber sur vous ? » (Luc, chap. III, vers. 7)

Ou bien :

— « Vous n’avez pas besoin d’être fiers, vous autres, et de dire : « Nous avons Abraham pour père » ; car, je vous le déclare, Dieu peut faire naître de ces pierres mêmes des enfants à Abraham. » (Id., vers. 8).

Les gens se regardaient, abasourdis ; il y avait de quoi.

Alors, Jean, tout satisfait de l’effet produit, ajoutait :

— « Je vous baptise dans l’eau, c’est bien peu de chose ; après moi, il en viendra un autre bien plus puissant que moi, car je ne suis pas même digne de porter ses souliers ; et celui-là vous baptisera dans le feu. (Matthieu, chap. III, verset 11.) Celui dont je vous parle, vous le reconnaîtrez au van qu’il a dans sa main : il donnera à son aire un coup de balai complet et amassera son blé dans son grenier ; mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteindra jamais. » (Id., vers. 12).

Et voilà qu’un jour, Jésus, en personne, se rendit, en suivant la foule, auprès de son cousin.

Celui-ci ne l’avait jamais vu ; mais il le reconnut tout de même.

— Qu’y a-t-il pour votre service ? demanda-t-il au Christ.

— Dame ! répondit l’autre, je fais comme tout le monde, je viens me faire baptiser.

— Est-ce pour rire que vous dites cela ? répliqua Jean. C’est moi qui dois être baptisé par vous, et c’est vous qui venez à moi ?…

— Laissez, laissez ces politesses inutiles, repartit Jésus. Pour le quart d’heure, c’est à vous qu’incombe le soin de baptiser. Baptisez-moi !

Jean pensa qu’il ne serait pas convenable d’insister. Il empoigna le fils de Marie, le plongea dans le Jourdain et lui fit subir son ablution.

Quand le Christ sortit de la rivière, secouant son corps mouillé, tout à coup les cieux s’entr’ouvrirent, un pigeon, qui pourrait bien avoir été un canard, en descendit, vint se percher sur l’épaule de Jésus, et Jean entendit le volatile prononcer d’une voix très distincte les mots suivants :

— « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. » (Matthieu, chap. III, verset 13-17).

Malheureusement, les gens qui assistaient à cette scène n’ouïrent pas ces paroles. Sans cela, ils se seraient convertis, séance tenante, il n’y a pas à en douter. Or, le baptême de Jésus, malgré cette apparition miraculeuse de l’oiseau Saint-Esprit, ne fit aucune conversion. C’est donc que Jean fut seul témoin du miracle ; les autres eurent, pendant qu’il s’exécutait, les yeux fermés et les oreilles closes.

Saint Justin ajoute que, sitôt le baptême de Jésus accompli, le Jourdain fut changé en fleuve de feu. (Dialogue avec Tryphon, parag. 88.)

J’aime à croire que c’était du punch qui coulait, et que les assistants en burent à tire-larigot.


  1. Divers passages de l’historien Josèphe mettent hors de doute la date précise de cette mort. M. Wallon lui-même, bon catholique, s’incline et avoue dans son ouvrage sur la croyance due à l’évangile, chapitre iv, partie II.
  2. C’est d’Hérode Antipas qu’il s’agit cette fois. Cet Hérode Antipas est l’un des fils d’Hérode-le-Grand, lequel, quoique mort quatre ans avant Jésus-christ, n’en ordonna pas moins le massacre des innocents. Antipas succéda à son frère Archélaus.
  3. C’est ainsi qu’il appelait sa douche.