La Vie de saint Ronan
LA VIE DE SAINT RONAN.
Saint RONAN estoit Hybernois de nation, de Parens de mediocre fortune & Idolatres, lesquels, soigneux de son avancement, l’envoyèrent aux écolles, où il profita si bien, qu’il devint, en peu de temps, fort docte és sciences prophanes mais Dieu, luy ayant fait connoistre la superstition du Paganisme,
luy fit naistre dans l’Ame un ardent désir de chercher la vraye Religion. À cette fin, il passa en l’Isle de la Grande Bretagne, où, ayant conversé parmy les Chrétiens & s’estant enquis de leur Religion, il reconneut que c’estoit l’unique, laquelle conduisoit au salut éternel, & se résolut de l’embrasser, se fit Cathcchiser & receut le S. Baptesme, &, depuis, s’adonna du tout à l’Oraison & lectures des Saintes Escritures, lesquelles, pour la pluspart, il aprit par cœur. Ayant fait penitence de ses péchez passez, il résolut de se faire d’Église ; &, ayant receu, en leur temps, les Ordres Mineures, de Sous-Diacre & Diacre, il mérita, par sa vertu & bonne vie, de parvenir au Sacerdoce[1].
II. Mais, considerant ce que dit Nostre Seigneur que a quiconque ne renonce à tout ce qu’il posséde ne peut estre son Disciple, » il suivit ce conseil Evangelique, quittant tout, pour l’amour de celuy qui luy avoit tout donné, monta sur mer & aborda heureusement à la coste de Léon, en la Bretagne Armorique, où, ayant trouvé un lieu désert & inhabité, il s’y arresta & bastit un petit Hermitage, résolut d’y passer ses jours en Penitence, Jeusnes & Oraisons. Il pensoit estre en ce lieu si bien caché, que personne ne le connoistroit que Dieu, seul témoin de sa Sainteté, mais il en arriva tout autrement. Car quelques pauvres malades estans, de cas fortuit, ou plûtost par speciale providence de Dieu, venus à son Hermitage chercher l’aumône, le Saint, pauvre volontaire pour Jésus- Christ, ne leur donna ny or ny argent, mais bien ce qu’il avoit & qu’il pouvoit donner, à sçavoir la santé, qui leur fut beaucoup plus chere que tout l’or du monde. Ces pauvres gens le remercierent, &, allans, sains & dispos, mandier l’aumône par les villages circonvoisins, publierent par tout que saint Ronan les avoit gueris par sa priere ; cela fut cause que, de tout le Leonnois, on accouroit vers luy, les uns pour luy presenter des Paralytiques, Sourds, Muets, Aveugles & autres malades, mais particulierement des possedez ; les autres pour consulter avec luy des affaires de leur conscience ; mais ces visites troublans le repos de sa solitude, il se resolut de quitter ce lieu & de chercher séjour ailleurs.
III. Il consulta l’Oracle divin en l’Oraison & fut confirmé en sa sainte resolution, pour laquelle effectuer, il se mit en chemin à travers ce pays à luy inconnû ; mais un Ange luy servit de guide. Il traversa le Leonnois, &, ayant passé le Golfe de Brest, entra en Cornoüaille, jusques en la forest de Nevet à trois lieües de Kemper-Corentin, où, s’estant arresté, il jugea le lieu propre à son dessein & commença à y bastir une petite Cellule, ce qu’il fit en peu de jours, par l’assistance que luy donna un paysan du voisiné, fort bon Chrestien & grandement charitable ; lequel, un jour, supplia saint Ronan de luy dire d’où il estoit & ce qu’il faisoit en ce pays: « Je suis (dit saint Ronan) Hybernois de nation, qui volontairement ay quitté mon pays, mes parens, mes biens & possessions pour l’Amour de Jesus-Christ, & me suis banny de mon pays, esperant pouvoir mieux luy servir, estant détaché de toutes ces choses. » Son hoste, ayant entendu cela, luy resta plus affectionné qu’auparavant & luy promit de l’assister en tout ce qu’il pourroit.
IV. Saint Ronan, ayant pris congé de son hoste, se retira dans la forest de Nevet, vaquant à prieres, jeusnes & penitence, son charitable hoste luy fournissant soigneusement ses necessitez ; mais il n’y fut gueres, que Dieu le manifesta, par le moyen de grands miracles qu’il faisoit, guerissant les malades qui, de toutes parts, le venoient trouver ; à l’endroit desquels Dieu faisoit des œuvres merveilleuses par ses merites. Les yeux chassieux de quelques Chrêtiens débauchez, ne pouvans supporter l’éclat des vertus dont l’Ame de saint Ronan estoit ornée, l’accuserent malicieusement & à tort devant le Roy Grallon (lequel estoit lors à Kemper), le calomniant d’estre Sorcier & Negromantien, faisant comme les anciens Lycantrophes qui, par magie & art diabloique, se transformoient en bestes brutes, courroient le garou & causoient mille maux par le Païs. L’Enfant d’une femme du voisné estant mort, ils persuaderent à la mere du defunt que le Saint, par ses sorcelleries, avoit tué son fils & l’amenerent à Kemper, où, en presence du Roy & de toute la Cour, elle demanda justice de saint Ronan.
V. Le saint Hermite, d’un costé, asseuré du fidelle temoignage que luy rendoit sa conscience ; d’ailleurs aussi, bien aise d’endurer quelque chose pour l’amour de Jesus-Christ, se resolut à la patience, &, ayant esté cité à comparoir devant le Roy à Kemper, s’y en alla, en compagnie des Satellites, Sergens & autres Ministres de Justice qui l’estoient venus prendre comme criminel. Estant arrivé à Kemper, il fut mis en prison ; &, le lendemain, le conseil estant assemblé, il fut mené au Palais, où les crimes dont il estoit accusé, recitez, il se purgea de tous, l’un aprés l’autre, rendant raison de sa vie & de toutes ses actions, se déchargeant de ces calomnies, lesquelles il dissipa, comme le Soleil feroit quelques nuages & broüillards ; &, pour confirmation de son innocence, & fermer la bouche à cette femme dont l’enfant estoit mort, laquelle ne cessoit de crier aprés luy, il fist apporter le corps mort de l’enfant, &, en presence du Roy, de son Conseil & de toute sa Cour fit sa priere ; laquelle finie, prenant la main de l’enfant, il luy commanda, au nom de Jesus-Christ, duquel il estoit serviteur, de se lever ; à laquelle voix le mort obeïssant se leva sur pieds & fut rendu à sa mere, laquelle se jetta aux pieds du Saint, luy demanda pardon de la calomnie qu’elle avoit forgée contre luy, découvrant la malice de ceux qui l’avoient persuadée de l’accuser ; lesquels, s’estant évadez de bonne heure, échapperent la juste punition que le Roy s’estoit resolu de leur faire sentir ; l’enfant aussi, declarant la cause de sa mort ne proceder, en façon quelconque de saint Ronan, le déchargea entierement, au grand contentement des gens de bien, confusion & honte de ses envieux.
VI. Le Roy Grallon, ayant veu ce miracle fait en sa presence, honora fort saint Ronan, comme aussi tous les Seigneurs de sa Cour & le peuple ; duquel s’estant, à grande peine, dépestré, il s’en retourna en son Hermitage, où il estoit si souvent visité par les Kemperrois & autres Habitans de Cornoüaille, que, dans peu de temps, le grand chemin fut ouvert de Kemper-Corentin à son Hermitage. Le Roy mesme, Prince fort Religieux, alloit souvent en propre personne le visiter en son Oratoire, &, ayant receu sa benediction, s’en retournoit fort édifié. Le bon Homme qui l’avoit receu, dés son arrivée, & accomodé de ses necessitez en son Hermitage, ravy des œuvres merveilleuses qu’il faisoit, ne se pouvoit separer de luy ; mais, collé à ses pieds, estoit attentif aux Predications qu’il faisoit au Peuple qui le venoit visiter. Cette maniere de vie ne plaisant pas à sa Femme, elle le tançoit rudement de ce qu’il estoit si faineant, sans se soucier du mesnage ; &, s’en prenant au Saint, fut si effrontée que de l’attaquer & luy dire que c’estoit luy qui avoit charmé son mary & l’avoit rendu si fâcheux. Le Saint patienta les paroles indiscretes de cette insolente femme, taschant de l’adoucir par belles paroles, mais en vain. Un jour, lisant un livre, à la porte de sa Cellule, il apperceut un loup qui entroit dans la forest, portant une brebis en sa gueule ; saint Ronan l’appella & luy commanda de rendre la brebis, ce qu’il fit à l’instant, la mettant en ses pieds, & le Saint la rendit à son maistre ; mesme miracle fit-il à plusieurs autres fois.
VII. Ayant vescu un long-temps en grande Sainteté, en ce sien Hermitage, chargé d’ans & de merites, il changea cette vie mortelle à l’immortelle & fut ensevely en son Hermitage. Depuis, par laps de temps, s’est basty le Bourg, qui, de son nom, s’appelle Loc-Ronan-Coat-Nevent, à la croupe de la Montagne de saint Ronan, où nos anciens Princes Bretons ont reveré & honoré sa memoire par la structure & dotation d’une belle Chappelle, frequentée par les Pelerins de tous les Cantons de Bretagne, qui y viennent reverer ses saintes Reliques ; partie desquelles y sont richement enchassées, le reste estant gardé en l’Eglise Cathedrale de Cornoüaille. L’Hermitage de saint Ronan a esté, un long-temps, habitué par plusieurs personnages signalez en Sainteté, lesquels y ont passé leur vie en solitude, entre-autres Robert, lequel, l’an 1102, fut sacré Evesque de Cornoüaille, aprés la mort de Budik III du nom. De sept ans en sept ans, se fait la Procession qu’ils appellent de saint Ronan, le jour de sa Feste, en laquelle on porte ses Reliques sur un branquart à bras, richement paré, tout à l’entour de sa montagne ; à laquelle Procession se trouve, d’ordinaire, une grande affluence de peuple de tout le pays circonvoisin. Il y a plusieurs Chapelles en Bretagne dediées à ce saint, entr’autres de Loc-Ronan-ar-fancq en Leon, où il y a une Barre Royalle & dont la Paroisse est dediée à saint Ronan, qu’ils nomment Renan.
- ↑ Et même à l’épiscopat, comme il est dit plus loin dans une annotation. Outre l’avis de dom Lobineau nous avons pour nous fixer sur ce point la Vie de saint Ronan écrite au XIe siècle, d’après des documents anciens ; elle porte pour titre « Vie du saint et vénérable Pontife Ronan » et dans le texte l’auteur dit « Par la grâce de Dieu Ronan est élevé au trône pontifical. » Aussi la liturgie et l’iconographie font invariablement de lui un évêque. – A.-M. T.