La Vie nouvelle/Commentaires/Chapitre XIV

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La Vita Nuova (La Vie nouvelle) (1292)
Traduction par Maxime Durand-Fardel.
Fasquelle (p. 157-159).


CHAPITRE XIV


Coll’ altre donne mia vista gabbate

Je ne divise pas ce sonnet en plusieurs parties, parce que l’on n’établit de divisions que pour expliquer le sens des parties ainsi divisées. Il n’y a donc pas lieu de le faire pour que la signification en soit comprise.

Il est vrai que, parmi les expressions relatives au sens de ce sonnet, il en est qui demeurent douteuses. Ainsi, quand je dis que l’Amour tue tous mes esprits et ne laisse en vie que ceux qui leur servent d’instrumens, ceci demeure inexplicable à qui n’est pas au même degré fidèle de l’Amour. Et il est certain que ces mots douteux seraient compris de ceux qui le sont.

Il n’est donc pas nécessaire de donner cette explication qui serait inutile et même superflue.


La scène qui vient d’être reproduite ne rappelle-t-elle pas ce que faisait ressentir aux Anciens l’approche imaginaire d’un Dieu, et surtout l’approche de sanctuaires particulièrement redoutés ? Il s’agissait là de phénomènes d’hystéricisme soit isolés, soit communiqués aux foules par une véritable contagion. L’état général des esprits pendant toute la durée du moyen âge était tout à fait favorable à des manifestations de ce genre. Quelque part que l’on puisse faire à l’enveloppe romanesque dont sont entourés la plupart des incidents de la Vita nuova, même les plus sûrement réels, on peut être assuré que le Poète n’a pas inventé de toutes pièces les sensations extraordinaires que l’aspect ou seulement l’approche de Béatrice déterminaient en lui.

Il m’a été reproché d’avoir parlé d’hystérie à propos des phénomènes singuliers qu’il s’attribue à lui-même dans mainte circonstance[1]. Ce sont des témoignages significatifs d’une nervosité véritablement maladive. Il faut ici que ce trouble du système se soit produit avant même que la présence de celle qui en était la cause se fût révélée ou fût même prévue. Il s’agit là d’un phénomène qui rentre dans ceux auxquels se rapporte la télépathie ou action à distance. Si je l’osais, je dirai que Dante eût pu faire un excellent medium.



  1. Giornale Dantesco.