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La Vie rurale/04

La bibliothèque libre.
Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 17-20).

III

AUX PAYSANS

À ceux qui vous diront la ville et ses merveilles
N’ouvrez pas votre cœur, paysans, mes amis !
À l’appel des cités n’ouvrez pas vos oreilles ;
Elles donnent, hélas ! moins qu’elles n’ont promis.

Laissez chanter le chœur des machines stridentes ;
Laissez les noirs engins hurler à pleins ressorts.
De vos sages aïeux gardez les mœurs prudentes ;
Et, comme ils ont vécu, vivez — calmes et forts !

La cité pour son peuple en vain se dit féconde ;
Le pain de ses enfants est rude à presque tous.
Sous un luxe qui ment, tel rit aux yeux du monde
Qui tout bas porte envie au dernier d’entre vous.


Paisibles et contents, la tâche terminée,
À votre cher foyer vous rentrez chaque soir.
Combien de citadins, au bout de leur journée,
Ne rapportent chez eux qu’un morne désespoir !

De beaux enfants vermeils, une chaste compagne,
Voient se pencher sur eux votre front adouci.
Pour le pâle ouvrier que la misère gagne,
La femme et les enfants sont un âpre souci.

À vos champs, à vos bois demeurez donc fidèles :
Aimez vos doux vallons, aimez votre métier.
Auguste est le travail de vos mains paternelles :
C’est à votre sueur que vit le monde entier.

De l’air qui vous entoure une sagesse émane ;
La plante vous conseille et le sol vous instruit :
« Restez, » dit le sillon dont vous cueillez la manne ;
Et le frêne du seuil : « Malheur à qui me fuit ! »

Les saisons, il est vrai, vous sont parfois cruelles ;
Aux caprices des cieux vos labeurs sont soumis.
Les blés, tendres encor, sont broyés par les grêles ;
Les vergers sont battus par les vents ennemis.


Le désastre pourtant n’est jamais sans remède ;
Avant peu, sous vos toits, la douleur s’interrompt.
L’olive a fait défaut, les prés viendront en aide ;
Si les blés ont manqué, les pampres donneront.

Redoutez seulement la misère des villes !
De quels affreux haillons ses membres sont vêtus !
Que d’opprobres en elle et de passions viles ! —
La pauvreté rustique est mère des vertus.

Elle a sa dignité ; sans envie et sans haine,
Elle va poursuivant le travail de ses bras.
Virile et bienfaisante, elle ressemble au chêne,
D’autant plus généreux sur des sols plus ingrats.

C’est elle qui revêt d’une indomptable force
Vos fils, durs à la neige, insensibles au feu ;
Par elle vous gardez, sous une rude écorce,
Les tendresses du cœur et la croyance en Dieu.

Si la France un matin vous aligne en phalange.
Fiers, vous faites honneur à votre humble berceau.
Vous tous, les héritiers des gloires sans mélange,
Frères de Jeanne d’Arc, de Hoche et de Marceau !


Vous allez, votre foule aux frontières se rue ;
Pieds nus, vous bondissez, vous courez en sarraux ;
Et le fer se transforme, et, d’un soc de charrue,
Vous forgez en chemin la lance des héros !

À ceux qui vous diront la ville et ses merveilles
Fermez bien votre cœur, paysans, mes amis !
À l’appel des cités fermez bien vos oreilles ;
Elles ne donnent pas ce qu’elles ont promis.