La Vie rurale/10

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Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 39-41).

IX

L’INCONNU


Petit sentier de mousse
Qu’ombrage l’églantier,
Par une pente douce,
Où vas-tu, vert sentier ?

Le long de la charmille,
Tu suis, au bruit des eaux,
Une onde qui babille
À travers les roseaux.

De tremblante lumière
Et d’ombres revêtu,
Sans bruit et sans poussière,
Où donc me mènes-tu ?


Vas-tu vers la vallée
Où l’œil aime à revoir
Le lac, nappe isolée,
Immobile miroir ?

De clairière en clairière,
Vas-tu, par le coteau,
Vers l’aimable chaumière
Ou le sombre château ?

Vas-tu vers la colline
Où surplombe, au levant,
Le vieux cloître en ruine
Qui penche sous le vent ?

Tracé par le caprice,
Vas-tu, chemin fleuri,
Vers le noir précipice
Ou le tranquille abri ?

Après tout, que m’importe ?
À ta guise j’irai.
J’aime tout ce qui porte
Vers un but ignoré.


À la banale route
Que foulent tous les pieds,
Je préfère le doute
Des sentiers non frayés.

Par la montagne ardue
Ou par les gazons gras,
Va donc, route perdue,
Va donc où tu voudras.

Dans la peine et la joie
Et l’espoir ingénu,
Ici-bas, toute voie
Nous mène à l’inconnu !