La Vie rurale/23

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Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 78-79).

XXII

SOUS LES TROËNES


Arbustes penchés sur les claires eaux
Du ruisseau d’argent qui dans l’herbe glisse !
De rameaux en fleurs mobiles réseaux,
Où l’avide abeille erre avec délice !

Vous vîtes un jour, — ô cher souvenir
Dont leur âme encore est tout embaumée ! —
Vous vîtes un jour lentement venir
L’hôte souriant et la bien-aimée.

À son frais corsage un œillet vermeil,
Dans ses blonds cheveux une hémérocale ;
Qu’elle était charmante, et que le soleil
Illuminait bien sa beauté royale !

 
Au penchant du mont ils vinrent s’asseoir ;
Et, sous les rameaux dont l’odeur enivre,
Inclinant leurs fronts dorés par le soir,
Ils lurent tous deux dans le même livre.

C’était un beau livre, un livre divin,
De vie et d’extase immortel poëme.
Tant que le cœur dort on l’épelle en vain,
On ne le comprend que du jour qu’on aime.

Les feuilles tournaient sans fin sous leurs doigts,
Riches d’harmonie et riches d’images,
Et le tiède vent qui soufflait des bois
En semait les fleurs sur toutes les pages !