La Vie rurale/29

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Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 99-102).

III

GLORIA IN EXCELSIS !

à l’alouette.


Esprit de l’air, je te salue !
Je te salue, oiseau lointain,
Qui montes, comme une âme élue,
Dans la lumière du matin.

Je te salue, esprit sonore,
Virtuose inspiré des cieux,
Qui dans l’ivresse de l’aurore
Répands ton cœur mélodieux !

De cette flamme qui t’anime
Quel art divin sut t’embraser ?

De qui tiens-tu ce chant sublime
Que tu redis sans t’épuiser ?

Rien n’amortit ce zèle étrange ;
Rien ne fatigue cet essor :
Dans son ciel de pourpre et d’orange,
Le soir te voit flotter encor.

Autour de toi l’azur s’efface,
La lumière même où tu cours :
L’œil enfin te perd dans l’espace,
Mais l’oreille te suit toujours.

Qui donc es-tu, chose légère ?
J’admire en toi, divin chanteur,
Moins un oiseau qu’une prière
De la nature à son auteur.

Comme une jeune et blonde reine
Qui chante au créneau de sa tour,
Du haut de l’air ta voix égrène
L’immortelle chanson d’amour.

Et moi, de là-bas, je recueille
Ces purs accents de ton gosier,

Comme on récolte, feuille à feuille,
La fleur qui tombe d’un rosier.

Frisson du vent sous une treille,
Bruit du ruisseau dans le gazon,
Rien pour le cœur ni pour l’oreille,
Rien n’a l’attrait de ta chanson.

Le clairon sonne la victoire,
Le luth s’inspire de l’amour :
Toi, frêle oiseau, tu chantes gloire
Au Dieu très-haut, père du jour !

Le Te Deum, l’épithalame,
Le son des coupes d’un festin,
Portent moins d’allégresse à l’âme
Que tes cadences du matin.

Poursuis, poursuis ta stance folle ;
Recommence-la mille fois.
L’homme n’a pas une parole
Qui vaille le son de ta voix.

Même à côté d’une maîtresse,
S’il veut chanter l’amour en fleur,

L’ennui se mêle à son ivresse,
Le chant s’éteint sous la douleur.

Il vit de misère et de hontes,
Il rampe au niveau de son sol ;
Toi tu t’élances, toi tu montes,
Toi tu t’enivres de ton vol !

Toujours plus haut dans l’étendue,
Tu resplendis au ciel vermeil,
Comme une étincelle perdue
Qui se détache du soleil !

Va donc ; laisse-nous la tristesse,
Et garde à jamais ta gaîté,
Et sois l’éclatante allégresse
De chaque matin de l’été !