La Vie rurale/39

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Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 133-136).

XIII

LA SOURCE

Mon pauvre village est en fête,
Hommes et femmes sont joyeux.
Quelle fortune ont-ils donc faite
Qui met ce rayon dans leurs yeux ?

Sur ces hauteurs longtemps arides,
Après des siècles de travaux,
Ils ont trouvé, mineurs avides,
La veine aux jaillissantes eaux.

« C’est elle ! ont-ils crié, c’est elle ! »
Et tous, à genoux près du bord,
Disent encore : « Qu’elle est belle !
Et de quel jet cette onde sort !


» Du flanc déchiré de la roche,
À bouillons on la voit monter :
Le cœur tressaille à son approche,
Et la bouche a soif d’y goûter ! »

De la bourgade haletante
Dont le soleil gerce les toits,
C’était le vœu, c’était l’attente,
Avortés déjà tant de fois !

Que de labeurs, que de voyages,
Coûtait ici le flot bourbeux
Qui désaltérait cent ménages,
Familles, et jardins, et bœufs !

Là-bas, au creux de la vallée,
Par des sentiers au long détour,
Il fallait, pour une eau troublée,
S’acheminer deux fois le jour :

Les vieillards y menant leur bête
Dont les barils chargeaient le dos,
Les femmes portant sur la tête
Leurs vases de grès, lourds fardeaux.


Que l’été mît la terre en cendre,
Qu’un vent glacé soufflât du nord,
Lentement il fallait descendre,
Et remonter avec effort.

Maintenant, on viendra sans peine
Recueillir un flot toujours bleu.
Le village aura sa fontaine
Dressée en face du saint lieu.

Monument au gré des familles,
Chef-d’œuvre d’un humble maçon,
Où puiseront les jeunes filles
Sans interrompre leur chanson.

Tu la verras, devant ta porte,
Dieu qui fécondes le rocher,
Mêler sa voix limpide et forte
Au carillon de ton clocher.

Ô Seigneur ! toi qui désaltères
Chaque brin d’herbe et chaque oiseau ;
Toi qui, suivant la soif des terres,
Verses le fleuve ou le ruisseau !


Ne borne pas à ce village
Les dons qui coulent de tes mains.
L’onde n’est pas le seul breuvage
Qu’attende la soif des humains.
 
Durant ces jours mauvais pour l’âme,
Livrés au doute, aux faux savants,
Ouvre à quiconque la réclame
Une autre source aux flots vivants !

Et que tout esprit qui t’implore,
Et que tout cœur penché vers toi,
À tes fontaines boive encore
L’eau jaillissante de la foi !