La Vierge sensuelle/05

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Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 66p. 26-28).
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v


Gérard avait naturellement été avisé l’un des premiers du prochain mariage de Mlle Laure Harmel avec M. Albert Duchemin.

En apprenant le nom de son rival plus heureux, il avait d’abord eu la pensée de le provoquer. Mais il avait ensuite réfléchi qu’il jouerait un rôle ridicule. Cet homme, après tout, ne lui devait aucune réparation.

Il enrageait cependant à la pensée que ce viveur allait devenir l’époux de Laure.

Et il enrageait d’autant plus qu’il avait la conviction que la jeune fille était devenue la maîtresse de celui qu’elle allait épouser.

Certainement, la même scène, dans laquelle il avait été si bien berné, avait dû se dérouler avec Duchemin qui n’avait cédé, lui, à aucun scrupule, pour posséder cette vierge sensuelle, mais ignorante.

Et il se prenait à insulter Laure.

— C’est une folle ! disait-il. Elle a un tempérament de prostituée. D’ailleurs, toutes les femmes sont semblables ; elles se cachent plus ou moins de nous, voilà tout. Mais elles sont toutes esclaves de leurs sens.

Et il en concluait :

— Elles ne méritent pas d’être traitées autrement que de jolis jouets dont on s’amuse, des bêtes à plaisir !

Même sa fiancée ne trouvait pas grâce devant lui.

La pauvre petite n’y comprenait rien. Gérard, qu’elle croyait très amoureux d’elle, avait de temps à autre des mots brusques à son adresse, il la regardait étrangement et elle se sentait mal à l’aise lorsque les yeux du jeune homme se fixaient sur elle avec cette expression étrange.

C’est qu’à ce moment, Gérard pensait à Laure, il identifiait celle-ci avec Éliane et se disait : « Peut-être que cette enfant, avec son air naïf, a envie, elle aussi, d’être possédée brutalement. »

D’autres fois, il avait envie de courir chez la belle ingrate et de la faire capituler sous son étreinte, pour la reprendre à l’autre.

Alors, pour calmer ses nerfs, pour que ses sens soient apaisés, il allait vers les lieux de plaisir où il savait rencontrer des femmes faciles.

Il s’étourdissait, s’oubliait en des orgies crapuleuses qui le rendaient encore plus dur à l’égard des femmes.

Il se plaisait à demander à ses amies de rencontre des caresses qui les avilissaient davantage à ses yeux.

Il avait ainsi lié connaissance avec une grande fille brune, qui était devenue presque son amie en titre et à laquelle il avait demandé un jour :

— Comment t’appelles-tu ?

— Carmen, avait répondu la femme en riant.

— Ce n’est pas ton vrai nom.

— Qu’est-ce que ça peut te faire. Carmen ou autrement !

— Non, je veux savoir ton vrai nom.

— Ah bien ! mon petit ! Tu es drôle, toi, enfin, si ça te fait plaisir, je m’appelle Julie.

Pourquoi avait-il insisté en espérant qu’elle lui répondrait : Laure ? Il l’ignorait. Il avait obéi à une impulsion dont il n’était pas maître.

En entendant le nom de Julie, il fit la moue.

— Ça ne te plaît pas ? Tu vois, dit la femme, ce n’était pas la peine de me le demander, Carmen, c’est bien plus beau. Et puis, ça me va mieux, parce que je suis brune.

Mais il lui avait répondu brusquement :

— Pour moi, tu t’appelleras Laure.

— Laure… c’est un drôle de nom. Tu dois avoir eu une maîtresse qui s’appelait comme ça et qui t’a plaqué, au moins ?

— Qu’est-ce que ça te fait ?

— Ça se voit bien. Pauvre gosse, va !

Il regarda cette femme déchue qui avait ainsi pour lui, malgré elle, une expression de pitié. Il était surpris. Elle reprit :

— Faut pas t’en faire pour une femme, va ! Ça n’en vaut pas la peine. Appelle-moi Laure si tu veux.

— Oui, je le veux. Et je veux aussi que tu fasses tous mes caprices, tous, tu entends ?

— Bien sûr, grand fou que tu es… Je te la ferai oublier cette vilaine femme. Tu verras, je serai tout plein gentille, mon petit loup chéri.

Et il s’abîmait avec cette fille, en des étreintes renouvelées, des caresses et des agaceries qu’il lui semblait exiger de l’autre, qu’ainsi il abaissait dans son esprit.

Laure s’identifiait pour lui avec la fille qu’il prenait dans ses bras, avec laquelle il soupait dans les cabinets particuliers des restaurants de nuit.

Lorsqu’il la possédait, rageusement elle lui disait :

— Ça, ce n’est pas de l’amour pour moi ! C’est pour l’autre. Vrai ! Faut-il qu’une femme soit rosse pour lâcher un type qui a un pareil béguin pour elle ! Moi, ça ne m’est jamais arrivé qu’on m’aime comme ça ! Je suis pas une femme pour avoir des grandes passions.

— Tais-toi, lui répondait-il, tais-toi.

Il ne voulait pas qu’elle parlât. Il préférait la posséder dans le silence pour ne pas que fût rompu le charme de l’illusion.

Puis, il se retrouvait en présence de sa fiancée. Et un sentiment nouveau naissait en lui ; il était arrivé à identifier la Laure qui l’avait repoussé avec sa nouvelle amie. Alors, Éliane apparaissait à ses yeux comme la pureté, faisant contraste avec l’autre qu’il avait faite impudique et sensuelle.

Mais, quand même, malgré tout, il n’arrivait pas à préférer sa fiancée ni à arracher de son âme l’amour qu’il aurait voulu tuer.

Pourtant, il le fallait, puisque Laure appartenait maintenant à un autre. Et quel autre ! Ce Duchemin, il l’avait rencontré une ou deux fois dans les boîtes de nuit, s’amusant avec des filles, presque toujours ivre et se plaisant dans la basse orgie. Chaque fois une rancœur lui était venue, chaque fois il avait davantage méprisé celle qui s’était donnée à cet homme indigne d’elle, ou du moins il avait cru la mépriser davantage !