La carte postale (Dandurand)/Scène II

La bibliothèque libre.
C. O. Beauchemin & Fils (p. 8-12).

SCÈNE II.

Margot, Paul.
Paul qui mange une tartine de confitures, s’approche de sa sœur et la regarde habiller sa poupée.
Margot.

Qu’est-ce que tu manges ?

Paul.

Une tartine de confitures.

Margot suppliante.

Veux-tu m’en laisser prendre une bouchée ?

Paul la laissant mordre dans sa tartine.

Pourquoi mets-tu sa belle robe neuve à ta Madeleine ?

Margot.

Tiens ! c’est pour la fête de maman…

Paul.

Tu ne sais pas si c’est aujourd’hui.

Margot vivement.

Si !

Paul.

Qui te l’a dit ?

Margot baissant les yeux.

Tante a dit qu’elle pensait… C’est presque certain.

Paul lui mettant le doigt sous le nez.

Presque, c’est-à-dire qu’on n’en sait rien…

Margot.

Paul ! laisse-moi donc ! tu as les doigts pleins de confitures, tu me colles le nez.

Paul taquin, lui touchant le nez.

Ça te fera un petit nez sucré, les mouches viendront le goûter comme un bonbon.

Margot.

Laisse-moi ! Tiens, écoute : veux-tu jouer ?

Paul sarcastique.

Jouer à la poupée ?

Margot.

Oui ; tu feras le père. Tu irais à ton bureau, tu serais bien occupé. Je te téléphonerais tout le temps, tu te fâcherais !… Dis, veux-tu ? Oh ! nous dirions que la petite est malade. Tu lui ferais prendre de l’huile de ricin, moi je lui tiendrais les mains…

Paul secouant la tête.

Non, non. Je ne joue pas avec une poupée.

Margot chagrinée.

Pourquoi ?

Paul avec hauteur.

Parce que je suis un garçon.

Margot.

Elle mourrait tu sais, puis nous aurions du chagrin. Tu pleurerais… Ce serait amusant comme tout.

Paul.

Les hommes, ça ne pleure pas !

Margot.

Eh bien, si tu ne veux pas ça, tu irais au marché ; je te donnerais de l’argent…

Paul dédaigneux.

Heu ! es-tu folle ! Tu sais bien que les femmes ne donnent pas d’argent aux maris. C’est nous qui le gagnons et qui vous donnons tout.

En se détournant avec fierté, les mains derrière le dos, il se trouve à offrir sa tartine à sa sœur qui est assise.

Margot lui arrachant sa tartine.

Vraiment !

Paul la reprenant avec impétuosité.

Rends-moi ça !

Margot souriant.

Si vous donnez tout, ce n’est pas pour longtemps !

Paul radouci.

Pourquoi n’en demandes-tu pas une à Victoire ? Tu aurais ta tartine… personnelle, comme dit papa…

Margot le regardant de tout près.

Et toi aussi, pas vrai ?

Elle sort.