La carte postale (Dandurand)/Scène IV

La bibliothèque libre.
C. O. Beauchemin & Fils (p. 13-15).

SCÈNE IV.

MARGOT, PAUL.
Margot dans la porte au fond, mangeant une tartine.

Tu dis que les hommes ne pleurent jamais…

Paul à part, alarmé.

M’aurait-elle vu ?

Margot.

Eh bien ! ce n’est pas dommage parce qu’ils ne sont pas beaux quand ils pleurent.

Paul affectant de regarder par la fenêtre.

Et vous autres, donc ?

Margot.

Il y a dans la cuisine le grand Pierre qui braille parce que sa vache s’est perdue. Il fait comme ça tout le temps (passant sa manche sous son nez) : « Mamz’elle Victoire, je r’trouve pas ma vache !… Quoi’sque poupa va dire ? » (Imitant Pierre.) Faut voir le bec quand il dit « poupa ! »

Paul.

Tu ne devrais pas rire ! quand un homme pleure, c’est que c’est sérieux !… (Il regarde du côté de la corbeille.) Très sérieux !… (À part, soupirant.) Elle a bien de la chance, elle, de ne l’avoir pas lue !

Margot.

C’est vrai, son « poupa » va se fâcher… le battre peut-être !

Paul à lui-même.

Si elle avait été à ma place, elle l’aurait bien lue, la carte…

Margot.

Pauvre Pierrot !

Paul de même.

Si Margot avait été indiscrète elle aussi, au moins nous serions deux, comme Adam et Ève, pour nous consoler.

Margot qui s’est rapprochée du secrétaire.

Mon Dieu, la carte ! (Regardant sous le meuble et à côté.) Elle est partie !

Paul à la fenêtre, avec émotion.

Voilà Tantine qui monte le perron.

Margot se sauvant vers sa poupée, à part.

Ah ! je tremble comme une feuille.

Paul de même.

Mes jambes sont comme de la laine ! (Il va pour sortir en affectant un air naturel.)