La carte postale (Dandurand)/Scène I

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C. O. Beauchemin & Fils (p. 6-8).

LA CARTE POSTALE

SAYNÈTE ENFANTINE




La scène représente un boudoir. Large porte au fond ; une fenêtre et un secrétaire à droite, table au second plan, à gauche, etc.


SCÈNE I.


Margot seule, assise en face d’une cuvette posée sur une chaise devant elle, s’occupe à laver sa poupée.

Voyons ! voyons, mademoiselle ! Est-ce que c’est joli de pleurer quand on se baigne… Quoi ?… Vous n’aimez pas ça ? La belle raison ! Apprenez qu’on n’est pas dans le monde pour faire ce qu’on aime. (À elle-même.) C’est maman qui me dit toujours ça. (Secouant la poupée.) Qu’est-ce que c’est que ça ? Vous voulez rester sale et vilaine ! Ah ! c’est très bien, ma fille ! On se couchera à six heures pour parler comme ça. Et si maman… si votre grand’mère arrive ce soir et qu’on fasse sa fête après souper vous pleurerez bien ! mais ce sera inutile !… Quand on est mauvaise comme vous et qu’on meurt, savez-vous où ça que le Bon Dieu nous met ?… Dans le ciel des petits anges nègres ! Et ce sera bien fait pour vous, méchante, qui ne voulez pas qu’on vous décrasse ! (On sonne.) Chut ! entends-tu ? C’est le bonhomme Sept-Heures qui vient chercher la méchante !… (On sonne de nouveau.) Victoire n’entend donc pas ! (Criant très fort.) Victoire !

Une voix dans la coulisse.

Lettres ! Lettres !

Margot se levant.

Oh ! c’est le facteur ! Oui, monsieur, oui, monsieur ! (Elle sort et revient tout de suite en tenant une carte postale entre ses mains.) C’est une carte postale pour Tantine. Ah ! je crois que c’est l’écriture de papa ! C’est pour annoncer leur retour !… (Trépignant de joie.) J’espère que c’est aujourd’hui… (Elle retourne la carte.) Oh ! mais je ne peux pas regarder ! Il paraît que c’est très mal de lire les lettres des autres. (Trépignant d’impatience.) Que je voudrais bien savoir pourtant si ce sera ce soir le grand dîner et la fête de maman ! Que je voudrais savoir !… Dire que c’est là ! Et que… (Elle regarde la carte de travers.) Si je regardais rien qu’un petit peu comme ça… je le saurais ! Mais non ! J’aurais trop honte après… je ne pourrais pas m’empêcher de rougir quand tante arrivera, alors elle devinerait tout de suite… (Elle va à la fenêtre.) Oh ! que tante arrive ! qu’elle arrive donc ! (Désapointée.) Elle ne vient pas !… (Elle jette un regard sur la carte et fait un geste de saisissement.) « Sept heures ! » j’ai vu sept heures ! C’est le train du soir. (Elle hésite un peu et finalement lit : ) « Arriverons ce soir à sept heures. » (Consternée.) Je l’ai lue !… (Un temps. Croyant entendre du bruit elle tressaille, va porter la carte sur le secrétaire et revient précipitamment vers sa poupée.) C’est drôle ! je le sais, maintenant… tout de même, il me semble que j’aimerais mieux ne pas le savoir ! (Elle soupire, puis s’asseyant, elle se met à habiller vivement sa poupée.) Vite, Madeleine. Il faut bien te dépêcher ! (Regardant de tous côtés et chuchotant à l’oreille de sa poupée.) Tu ne sais pas… ta grand’maman arrive ce soir ! Chut !