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La ceinture fléchée/Le détective Mainville

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 31).


CHAPITRE XVIII

LE DÉTECTIVE MAINVILLE


— Bonjour, monsieur. C’est vous, Monsieur Jérôme Fiola ?

— Oui, répondit le guide. Et je gage que vous êtes monsieur le détective…

— Mainville, vous avez deviné. Puis-je entrer ?

— Oh ! un instant ! s’écria le guide soupçonneux. Montrez-moi d’abord votre insigne de détective. Chat échaudé, vous savez… Et puis le curé n’est pas un fou.

Mainville, ahuri, fit voir un insigne en règle.

— Maintenant, monsieur le détective, puis-je savoir si vous avez un mandat d’arrestation ?

— Contre vous, non. Contre un autre, oui.

— Est-ce un vieillard que vous venez pour arrêter ?

— Non, c’est un homme dans la force de l’âge.

Jérôme laissa échapper un sourire de satisfaction et ouvrit la porte plus grande au visiteur afin de lui permettre d’entrer.

Quand ils furent installés dans la cuisine, le détective sortit d’une poche une engageante bouteille de Scotch et la déposa sur la table.

Le guide la regardait avec un air de convoitise. Il y avait longtemps qu’il ne s’était mouillé le gosier. L’envie était forte.

— D’abord, dit Mainville, prenons un petit verre de Scotch.

Le petit verre fut en réalité un presque plein verre à bière pour Jérôme.

Au bout de dix minutes, lorsqu’il prit son second coup, il commençait à être éméché.

— Je suis venu vous voir, monsieur Fiola, dit le détective, pour vous demander quelques renseignements. Savez-vous où loge un nommé Jacques Martial dans le moment ?

— Ce n’est toujours pas lui que vous voulez arrêter ?

— Non, c’est lui qui a porté plainte contre celui que je veux arrêter.

— Eh bien ! Jacques Martial est actuellement chez Madame Paquin.

— Où ça ?

— Oh ! pas loin d’ici. J’irai vous y conduire si vous voulez. Mais dites-donc, vous, vous ne connaîtriez pas par hasard un nommé Onésiphore Ouellette ?

— Quelle sorte d’homme est-ce ?

Jérôme lui en fit la description sans omettre le chapeau dur.

Le détective se donna une retentissante tape sur la cuisse :

— Sapristi ! s’écria-t-il, mais c’est Onésiphore Monette qui a changé son nom. Et Onésiphore Monette, c’est lui que je viens arrêter.

— Ah ! et pourquoi ?

— Jacques Martial l’accuse de vol. Ils travaillaient tous deux chez Albert Martineau, le fameux homme d’affaires de la Rivière-du-Loup.

— Albert Martineau ! Est-ce un vieillard ?

— Oui.

— Je gage que…

Mais le guide s’arrêta. Il n’était pas encore assez ivre pour oublier qu’il avait un secret à garder.

Mainville sourit :

— Vous pouvez parler en toute sûreté, dit-il. Le vieillard mystérieux, c’est Albert Martineau. Prenez donc un autre coup.

Pour la cinquième ou sixième fois, le guide emplit de Scotch son verre à bière et se le lança dans la gorge.

Mainville continua :

— Je disais donc que Martial et Monette travaillaient pour le père Martineau. Martial est le neveu du vieillard. Monette intrigua et réussit à faire croire à M. Martineau que Martial le volait. Ce dernier fut congédié. Mais les vols continuèrent. Le vieillard, quoique sain d’esprit, a l’intelligence affaiblie par l’âge. Il crut ce que Monette lui disait : c’est-à-dire que Martial, voleur habile comme Satan finirait par lui enlever toute sa fortune. En réalité c’était Monette qui volait. Le vieillard, sans en dire un mot à personne prit une grande résolution. Un matin on s’aperçut qu’il avait vendu à peu près tous ses biens et qu’il était disparu. Martial s’inquiéta. Il croyait que le vieux, avec son argent, avait acheté des pierres précieuses et les avait emportées. Son opinion était la vraie. Je me rendis à Québec et deux bijoutiers me dirent avoir vendu une quantité énorme de diamants au vieillard dont je leur montrai le portrait. Nous suivîmes le père Martineau à la piste jusqu’ici. Les employés du train le connaissaient presque tous et l’avaient vu descendre à Rimouski. Pourquoi il se cache et cache en même temps son identité ? C’est qu’il a peur que l’on ne lui vole ses diamants. Ses craintes sont justifiées puisque Monette est dans la région et cherche maintenant à le détrousser de nouveau. Mais il n’ira pas loin. Bientôt je lui mettrai la main au collet. Nous avons d’ailleurs une très forte preuve contre lui. Il va faire un très long stage au pénitencier.