La conférence de Carlsruhe sur l’hygiène scolaire

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La conférence de Carlsruhe sur l’hygiène scolaire
Revue pédagogique, premier semestre 1884 (p. 268-271).

Nous trouvons dans les Archives pédagogiques (dirigées par le Dr Brumme à Brunswick) et dans le Journal de Carlsruhe le compte-rendu d’une conférence qui a eu lieu dans cette dernière ville sur la convocation du conseil supérieur de l’instruction publique du grand-duché de Bade. Outre les membres de ce conseil, la conférence comprenait les directeurs des gymnases et de plusieurs établissements d’instruction, un certain nombre de médecins et de députés. Il s’agissait surtout de questions relatives à l’hygiène scolaire.

Nous allons résumer le plus rapidement possible les principales idées qui ont été échangées.

Le conseil d’hygiène demande que les enfants aient chaque semaine deux après-midi libres, que le nombre des heures obligatoires, sauf _celles consacrées à la gymnastique, soit de 28 par semaine pour les classes de sixième, cinquième et quatrième et ne dépasse pas 28 à 30 pour la troisième, et que la mesure des devoirs à faire à la maison soit strictement limitée.

Il demande également qu’on tende à simplifier les matières de l’enseignement, qu’on cesse d’exciter outre mesure l’émulation, qu’on évite les préparations écrasantes aux examens, et qu’enfin les maîtres aient soin d’indiquer, dans la correction des devoirs, les éloges aussi bien que les blâmes, afin d’encourager et de soutenir le moral des enfants.

La plupart de ces réclamations ont trouvé de l’écho dans la conférence. Toutefois le directeur du gymnase de Heidelberg a fait remarquer que, tout compte fait, les élèves du grand-duché de Bade ne sont pas plus surchargés que ceux des autres États allemands, qu’ils le sont même moins au point de vue de la grammaire dans la troisième, et au point de vue des mathématiques dans les classes supérieures. Les plaintes élevées contre l’excès de travail imposé aux enfants lui paraissent, en général, fort exagérées.

La conférence est d’avis qu’il ne faut pas laisser ébranler la pierre fondamentale sur laquelle repose l’instruction des gymnases, l’étude du grec et du latin ; mais elle est unanime à exprimer le désir que les livres de classe, et surtout les grammaires, soient plus clairs et plus simples et que l’étude purement philologique des langues cède le pas à la lecture et à l’interprétation des auteurs.

Plusieurs assistants voudraient qu’on restreignit le plus possible le nombre des études accessoires, et qu’on facilitât l’examen de sortie (examen à la suite duquel l’élève obtient un « certificat de maturité » qui correspond à notre baccalauréat), ou même qu’on le supprimât tout à fait, car il est bien superflu, disent-ils, d’examiner des élèves qui viennent de faire neuf années de classes dans des établissements publics, comme si personne ne les connaissait. L’administration a répondu qu’un accord était intervenu entre les différents États allemands pour exiger l’examen avant l’octroi du certificat de maturité, mais qu’elle était d’ailleurs disposée à introduire dans cet examen certaines facilités.

Ceux des membres de la conférence qui n’appartenaient pas au corps enseignant ont demandé avec instance que les notes de correction de devoirs fussent moins sévères, qu’elles fussent mesurées sur la force des élèves moyens et non des premiers ; ce n’est pas la surcharge de travail, c’est la sévérité des notes qui indispose souvent bien des pères de famille soit contre leurs enfants, soit les maîtres.

Les directeurs de gymnases ne contestent pas qu’il y ait bien des améliorations à apporter en toutes ces matières ; ils font remarquer que dans les dernières années ils se sont appliqués avec énergie et persévérance à supprimer toute surcharge de travail qui leur a été signalée, que les autres États allemands ont des exigences plus élevées pour le grec et le latin, que beaucoup de familles intelligentes commencent à déclarer que leurs enfants ne sont pas trop chargés dans les classes supérieures. Enfin, ajoutent-ils, il faut se garder d’aller trop loin dans cette voie, sous prétexte d’humanité et d’hygiène, et ne pas oublier qu’il s’agit d’habituer de bonne heure la génération future à un travail régulier et soutenu, qui ne peut en aucune façon nuire à la santé. Dans les petites villes : où les pères gagnent leur pain à la sueur de leur front, dans l’atelier ou aux champs, ils se montrent plus exigeants pour leurs fils et ne font pas entendre de plaintes sur la surcharge de travail imposée aux écoliers.

Il est à la fois désirable et possible, d’après les directeurs, de diminuer le nombre d’heures de leçons et surtout les matières d’enseignement dans certaines classes ; si l’on ne peut accorder deux après-midi entièrement libres, dans toutes les institutions, la faute en est à la difficulté d’établir au même moment les leçons de gymnastique, soit à cause des maîtres, soit à cause des locaux qui ne sont pas toujours libres quand on en aurait besoin ; mais, en principe, ils accordent que ce serait une excellente chose.

Ils insistent surtout sur le déplorable effet des classes trop nombreuses. Une classe de plus de 40 à 50 élèves rend absolument impossible qu’on s’occupe de chacun d’eux en particulier ; il n’y a plus de relations personnelles possibles entre maître et élèves, et la correction des devoirs ne peut en aucune façon tenir compte des individualités. Ils ajoutent que cinq pour cent des élèves n’ont d’autre but que celui d’obtenir le certificat d’études nécessaire au volontariat, et ne se préoccupent en aucune façon de s’instruire et de cultiver leur esprit : cet élément pour ainsi dire étranger est un obstacle a la bonne marche des classes.

Si tout le monde est d’accord dans le sein de la conférence sur la nécessité de réduire les matières de l’enseignement, on cesse de l’être quand il s’agit de déterminer sur quelles matières devra peser la réduction. Les philologues demandent instamment qu’on ne raccourcisse pas la part du grec et du latin ; ils aiment mieux qu’on fasse porter le sacrifice sur les mathématiques et les études accessoires ; les médecins rompent une lance en faveur des mathématiques et des sciences naturelles ; la majorité de la commission est d’avis qu’on pourrait tout ensemble rogner la part des études de grammaire pour les langues anciennes et des mathématiques pures sans nuire réellement à la cause des humanités.

Un membre de la conférence, qui appartient au conseil supérieur d’hygiène, recommande à la conférence d’introduire dans le plan d’études trois heures de gymnastique par semaine au lieu de deux, et de ne pas les placer dans les premières heures du jour ; il voudrait aussi qu’à côté de ces études régulières, on laissât le temps nécessaire pour d’autres exercices du corps tels que nager, patiner, etc., pour des jeux en plein air et des excursions en commun. Plusieurs personnes expriment le désir que les leçons ne dépassent jamais une durée de quarante minutes, et que les classes aient toutes lieu dans la matinée, afin d’éviter autant que possible les travaux à la lampe.

Les directeurs admettraient en principe l’augmentation des heures de gymnastique, mais le temps, les locaux et l’argent même font défaut pour cet objet. D’ailleurs, quelque intérêt qu’on prenne légitimement à la gymnastique, on ne peut sacrifier à cet intérêt celui du progrès intellectuel des élèves, spécialement confié aux établissements d’instruction publique ; le soin de la santé et des exercices du corps revient surtout à la famille. (Il ne faut pas oublier qu’il s’agit exclusivement d’externats.)

Déjà depuis trois ans, au gymnase de Carlsruhe, les classes moyennes et supérieures n’ont de leçons que le matin, pendant cinq heures, ce qui rend possible de renoncer à l’éclairage des après-midi d’hiver et de donner plus de deux demi-journées de liberté par semaine. Maîtres, élèves et parents sont enchantés de cette pratique et presque tous les médecins de la ville l’ont approuvée ; du reste, le même usage est pratiqué depuis longtemps dans les grandes villes du nord de l’Allemagne. Cette augmentation des leçons du matin se recommande aussi à cause des écoliers du dehors ou des quartiers éloignés.

Des repos réguliers entre les leçons et une disposition bien aménagée des diverses matières d’enseignement permettent ces cinq heures de leçons sans la moindre fatigue pour les élèves.

Cette manière de distribuer le temps soulève néanmoins d’assez nombreuses objections ; les heures de repas des familles où les en fants ne suivent pas les mêmes établissements en sont troublées ; certains parents ne voient pas avec plaisir ces après-midi de liberté et plusieurs directeurs craignent que la jeunesse n’en retire plus de dissipation que de vrai profit. Quelques médecins même, parmi les membres de la conférence, se prononcent contre cette suite de cinq heures de leçons, malgré les pauses qui les coupent. On décide de s’en tenir aux diverses habitudes locales sur ce point.

Une assez longue discussion s’est engagée sur l’hygiène de la vue. On sait combien la myopie est fréquente dans les gymnases d’Allemagne ; dans les classes inférieures elle atteint 30 % des enfants, et dépasse parfois 70 et 80 % dans les classes supérieures. C’est un mal la plupart du temps héréditaire dans les familles allemandes, mais qu’on doit d’autant plus se garder d’augmenter. La négligence pourrait, en certains cas, conduire jusqu’à la cécité complète. Les médecins recommandent à la conférence un large éclairage des classes, de larges et hautes fenêtres, la lumière provenant du côté gauche, et des deux côtés ensemble dans les locaux assez vastes. Les salles de dessin doivent recevoir la lumière d’en haut. Il faut éviter autant que possible l’éclairage artificiel des classes, et, dans les heures obscures du matin ou de l’après-midi, si celles-ci ne peuvent être supprimées tout à fait, l’enseignement oral doit remplacer absolument le livre. Enfin, là où il n’est pas possible d’éviter l’éclairage, le gaz doit être préféré au pétrole.