La description géographique des provinces/Epistre
À ADRIAN DE LAUNAY SEIGNEUR
de ſainct Germain le Vieil,
Viconte de ſainct Silvain,
Notaire & Secretaire du Roy
F. G. L. S.
ncores n’ay je pas mis en oubly la promeſſe que Vous feis de la traduction preſente, lors que ſi avant entraſmes en propos, ſur les choſes admirables du pays de Tartarie, meſmement qu’il vous ſembloit incroyable, ce que Munster deſcrivant en ſa coſmographie la province de Mangi, diſoit qu’en la ville de Quinsai, entre autres ſingularitez y avoit douze mil pontz de pierre si hault eſlevez que ſoubz iceulx paſſoient facilement grans navires leurs mastz dreſſez a voilles tendues & deſployées. À quoy vous feis reſpondre qu’il n’en parloit que ſoubz l’aſſeurance de Marc Paule Venetien, qui ainſi long temps auparavant l’avoit deſcript, pour l’avoir veu, & demouré sur le lieu pluſieurs années eſtant bien receu & favoriſé du grand Cham Empereur des Tartares, ſoubz laquelle faveur continuee par dixſept ans entiers, il avoit eu le moien de recongnoiſtre grande partie des regions & provinces orientales, enſemble les meurs & couſtumes des habitans, natures & proprietéz des beſtes, qualité & condition de la terre, & autres choſes memorables que luy meſmes aſſeuroit avoir curieusement recherchees & deſcouvertes pour nous en faire participans. Ce qui vous cauſa une affection bien grande (encores que la langue Latine vous ſoit aſſez congneue) de veoir reduict en noſtre vulgaire François ce qu’en avoit deſcrit icelluy M. Paule, affin que par sa lecture voſtre eſperit deſireux, & affectionné en la congnoiſſance de telles choſes fuſt aucunement raſſaſié, comme auſſi par raiſon la vraye source donne plus de contentement que les ruiſſeaux qui en derivent : & de faict vous tournant vers moy, donnaſtes aſſez a congnoiſtre le deſir qu’aviez de m’en faire entreprendre la charge. Laquelle je receuz de vous auſſi affectueuſement, comme j’aurois bien le vouloir en pluſgrande choſe m’employer : & touteſfois premier que vous en faire ſi promptement la promeſſe, je devois eſprouver mes forces, & conſiderer que noſtre langue Françoise eſt pour le jourdhuy ſi ſuperbement illuſtrée & enrichie par tant de nobles eſperitz, que le mien foible & imbecille n’y pourroit non seulement attaindre, mais en approcher : encores craindrois beaucoup par ceſte peu adviſee entrepriſe leur avoir oſté l’occaſion & moien d’y mettre la main, & d’en encourir blaſme, n’eſtoit que le bon vouloir que j’ay de faire chose qui vous ſoit agreable me faict croyre que facilement ilz excuſeront & mon inſuffiſance, & mes affaires qui n’ont permis d’y pouvoir vacquer ſi exactament & avec telle diligence que l’œuvre le requiert. J’auray en oultre a reſpondre a la cenſure de pluſieurs nouveaulx eſperitz curieux de termes innovez ou empruntez des langues eſtrangeres, pour rendre la noſtre plus fertile & copieuſe, qui me taxeront d’avoir uſé de langaige trop vulgaire & trivial : meſmes de n’avoir obſervé l’orthographe des modernes. Ce que de propos deliberé j’ay voulu faire : me voulant pluſtost accommoder a la commune uſance de parler & eſcrire, pour a tous indefferemment ſatisfaire : qu’a telles nouvelles traditions & curieuſes ceremonies qui ne peuvent donner contentement ſinon a ceulx a qui elles plaiſent. Non que je vueille blaſmer leur invention, que pluſtoſt je l’eſtime digne de louange immortelle, comme choſe qui redonde grandement à la decoration de la langue Françoise. Or en advienne ce qui pourra advenir : car ce me sera aſſez, ſi ce peu de mon labeur vous eſt agreable, & me ſert en voſtre endroict pour acquict de ma foy & promeſſe. De Paris ce xviii. jour d’Aouſt 1556.