La description géographique des provinces/Livre 2 - 08 à 15

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Edition de E. Groulleau (p. 115-125).


Deſcription de la forme & ſtature
de l’Empereur Cublai,
& de ſes femmes & concubines.
Chap. VIII.



L’Empereur Cublai est fort bel homme, de mediocre stature, ne trop gras ne auſſi trop meigre. Il a la face un peu rouge, entremeſlée de blanc, les yeulx grandz, beau nez, & tous autres delineamentz de ſon corps bien & devëment proportionnez. Il a quatre femmes qu’il repute legitimes, de la premiere deſquelles le filz aiſné luy ſuccede au royaulme. Et chaſcune de ces quatre femmes a ſon train apart, & tient maiſon comme Royne, au meſme Palays de l’Empereur, ayant chacune environ troys cens damoiſelles d’eſlite en ſon ſervice, & pluſieurs ſerviteurs qui ſont chaſtrez, & grand nombre d’autres ſerviteurs domeſtiques. Oultre cela le Roy a pluſieurs concubines : car entre les Tartares y a certaine nation particuliere qui est appellée Ungrac.Ungrac, en laquelle y a des femmes belles par excellence, de bonne grace, & bien appriſes, entre leſquelles l’Empereur en faict prendre & choiſir des plus belles, qu’il entretient ordinairement en ſon Palays, juſques au nombre de cent, & leur baille des gouvernantes, qui n’ont autre charge que de les traicter, & ſoigneusement prendre garde qu’elles ne tumbent malades, ou quelque tache leur ſurvienne : car autrement elles n’oſeroient coucher avec l’Empereur. De ces concubines on en prend ſix, qui sont deputées pour gardes de la chambre Imperialle par trois jours & trois nuyctz. Service de concubines.Et quand le Roy s’en va coucher, ou que au matin il ſe leve du lict, incontinent elles ſe preſentent à luy comme ſervantes, & couchent en ſa chambre. Le quatrieſme jour, ſix autres ſuccedent à ceſte charge, & par trois autres jours & autant de nuictz font le ſervice de la chambre. Et ainſi ſucceſſivement les unes apres les autres, y ſont commiſes, & continuent leur ordre jusques à ce que tout le nombre des cent concubines ayt eſté employé au ſervice de l’Empereur. Or des quatre femmes legitimes l’Empereur a eu vingtdeux enfans maſles. Le filz aiſné de la premiere d’icelles fut nommé Chinchis, & devoit ſucceder à l’Empire, mais il deceda au paravant ſon pere, toutesfois il delaiſſa un filz nommé Temir.Temir, qui est homme magnanime & prudent, & fort adextre aux armes : celuy doibt ſucceder a l’empire de son ayeul, par repreſentation de ſon deffunct pere. Au ſurplus l’empereur Cublai a eu de ſes concubines & chambrieres vingtſept enfans, qui ſont tous grandz seigneurs & barons en ſa court.


Du palays & lieux de plaiſance
de la ville de Cambalu.
Chap. IX.



Trois mois de l’année, aſçavoir Decembre, Janvier & Febvrier l’Empereur Cublai faict ſa reſidence en ſa ville royalle de Cambalu, ou il y a un palays ſumptueux & baſty de grand artifice. Il a de circuit environ deux lieues lieues, ayant mil pas de longueur en chaſcune quadrature, les murailles d’iceluy ſont de groſſe eſpeſſeur, ayans de haulteur cinq toiſes, les paremens deſquelles par le dehors ſont des couleurs blanc & rouge. En chacune encoigneure des quatre murailles, y a un palays beau & grand, enfermé de quatre tours pour ſervir de fortereſſes. Et au mylieu de chaſcune des quatre murailles y a semblablement un palays brave & ſumptueux, tellement que ce ſont en tout huict palays, eſquelz on retire & garde les armes, artillerie, inſtrumens & munitions de guerre, comme arcs, fleſches, trouſſes, eſperons, freins, lances, maſſues, cordes darc & autres choses neceſſaires pour la guerre, & chaſcune eſpece d’armes sont diviſement & par ordre en chaſcun palays. Or du coſté du palays qui regarde vers midy, y a cinq portes & entrées, deſquelles celle du mylieu eſt la pluſgrande, & n’eſt jamais ouverte, ſinon pour l’entrée de l’empereur. Car il n’eſt permis à aucun d’entrer par icelle, sinon à l’empereur, mais il y a de chaſcun coſté deux autres portes, par leſquelles entrent tous ceulx qui ſuyvent l’empereur. Et au regard des autres trois pentes & coſtez de muraille, n’y a qu’une porte en chacune, par laquelle peult entrer au palays qui veult, mais entre ces premieres murailles, & au dedans d’icelles, y a un autre mur faict comme le premier, ayant en chaſcune encongneure & sur le mylieu de la muraille huict autres palais, eſquelz on retire la vaiſſelle & joyaulx precieux de l’Empereur. Et sur le mylieu de ceſte cloſture est le palais Royal, auquel l’Empereur faict sa demeure. En ce palais n’y a qu’un estage, car de plancher par dessus n’y en a point, mais aussi le paviment d’iceluy est eslevé, & plus hault de dix paulmes que l’ayre de la court. Le lambriz en est fort hault, enrichi de diverses painctures, les murailles & cloisons des chambres sont reluysantes de l’or & argent dont elles sont enrichies. En tous endroictz on y void de singulieres painctures, & histoires de guerres memorables, figurées de vive couleurs, enrichies d’or. En la Salle magnifique.grande salle se peuvent asseoir à table ensemblement, environ six mille hommes. Entre ces grandes & premieres murailles qui environnent tout le chasteau, y a plusieurs jardins, & preaux plantez de diverses sortes d’arbres fruictiers, esquelz semblablmeent on veoid courir infinies bestes sauvaiges, comme cerfz, les bestes qui portent le musc, chevreux, dains & autres especes de bestes. Sur la coste de Septentrion y a des viviers esquelz on nourrist des meilleurs poissons qui se puissent trouver, & pour les remplir d’eaua y passe un petit fleuve, l’entrée & sortie duquel sont garnies de grilles de fer pour empescher que le poisson ne sorte hors, & suyve le cours de l’eaue. Hors ce palais à distance environ d’une lieue, y a un Montaigne Royalle.coustau de haulteur de cent pas, qui a de tour & circonference environ mille pas, lequel est planté d’arbres en tout temps verdoyantz. En ceste motte l’Empereur faict apporter de toutes pars arbres exquis & singuliers, les faisans charger sur des elephans, & transporter de païs loingtain, avec les racines pour les y transplanter. Et pource que ce coustau est tousjours verd, on l’appelle La verde montaigne.la verde montaigne, au sommet duquel y a un beau palais, tout painct de verd, auquel le grand Cham va souvent prendre son plaisir. Aupres du palais dessusdict, y en a un autre magnifique & sumptueux, auquel demoure Temir le filz aisné, celuy qui doibt succeder à l’Empire, qui y tient son train, & vit royallement & magnifiquement avec ses gentilz hommes & ceulx de sa maison. Car il a tresgrande authorité & puissance, mesmes a le seau Imperial, toutesfois il est subject au grand Cham comme à son seigneur.


Description de la ville de Cambalu.
Chap. X.



La ville de Cambalu est située en la province de Cathay, aupres d’une grosse reiviere. De tout temps & ancienneté elle a esté ville royalle & fameuse, aussi le mot Cambalu signifie la cité du seigneur. Ceste ville a esté transferée par le grand Cham de l’autre costé de la riviere. Car il avoit entendu par ses astrologues & divinateurs, qu’elle devoit estre au temps à venir rebelle à l’empire. La ville est construicte en quadrature egalle, & a de circuit vingtquatre mille, qui peuvent estre huict lieues françoises : car en chascune quadrature elle à six mille. Les murailles en sont blanches, de la haulteur de dix toyses, & de largeur cinq, toutesfois ceste espesseur en montant est beaucoup diminuée & amoindrie. En chacun quarre y a trois portes principales, qui sont en nombre douze, chascune garnie de portaulx magnifiques, & sumptueux. Il y a aussi aux encoigneures des murailles, de beaux palais ou les armeures de la ville sont gardées. Les rues & places de la ville sont si droictes qu’on peult aisément, & sans aucun empeschement veoir d’une porte à l’autre opposite, aussi les maisons d’une part & d’autre y sont magnifiquement basties, & semble que ce soient petitz palais. Au mylieu de la ville y a une maison sumptueusement bastie, au feste de laquelle est pendue une grosse cloche, de laquelle sur le soir on sonne par trois fois : & apres le troisiesme coup sonné, il n’est permis à aucun sortir hors de sa maison jusques au lendemain, si ce n’estoit pour cause urgente comme pour malades ou proches parens : encores ceulx qui par telle necessité sont contrainctz aller par la ville, De n'aller de nuict sans lumiere.fault qu’ilz portent avec eulx de la lumiere. Chascune des portes de la ville à mille hommes commis pour la garde d’icelle, non point pour craincte qu’ilz ayent des ennemis, mais pour les larrons & volleurs, car sur tout le Roy veult donner ordre de chasser & punir les brigans & larrons, a ce que son pays n’en soit infecté.


Des faulxbourgs de la ville de Cambalu,
& marchans y demourans.
Chap. XI.



A l'entour de la ville de Cambalu y a douze grandz faulxbourgs, situez & joignans chacune des douze portes de la ville, esquelz y a grande affluence de marchands & autres gens estrangiers : Car tant à l’occasion de la court de l’Empereur, que pour les diverses traffiques de marchandises, une infinité de peuple y arrive, qui toutesfois s’arreste es faulxbourgs pour faire & expedier leurs traffiques. Aussi ne sont les faulxbourgs moindres en magnificence & sumptuosité de maisons, que la ville, hors mis le Palais royal. Au dedans de la ville jamais ne se faict sepulture ou funerailles d’aucun corps mort, mais hors les faulxbourgs, assavoir on fait brusler les corps de ceulx qui adorent les idoles, & des autres sectes, ilz sont inhumez & enterrez. Et pource qu’en tout temps en ce lieu y a grande affluence de gens estrangiers, y a aussi dedans les faulxbourgs ordinairement environ vingt mille putains, mais dedans l’enclos de la ville jamais on n’en souffre aucune. Il est impossible de declairer la quantité des marchandises & richesses qui de toutes partz sont apportées en ceste ville : Car on estimeroit y en avoir à suffire pour tout le monde. On y apporte des pierres precieuses, perles, soyes, & diverses espiceries des Indes, de Mangi, Cathay, & autres regions. Car ceste ville de Cambalu semble estre le centre & mylieu de toutes les regions & provinces circonvoisines. Et ne se passe jour en l’année qu’on n’y ameine par les marchans estrangers environ mille charrettes chargees de soyes, desquelles sont faictz par les ingenieux artizans de la ville de fort singuliers draps, & habillemens.


Des gardes du corps du grand Cham
qu’il a ordinairement en ſa compaignie.
Chapitre XII.



Le grand Cham à en ſa court douze mille chevaliers qui ſ’appellent Queſitan.Queſitan, c’eſt à dire Chevaliers fideles à leur ſeigneur, leſquelz ſont commis à la garde de ſon corps : & ont quatre capitaines, chacun deſquelz à la charge de trois mil chevaliers. Leur office eſt de ſuyvre la perſonne de l’Empereur, & eſtre ſubjectz de le garder jour & nuict, auſſi ilz font à ſes gaiges. Et diviſent leur ſervice en tel ordre, que quand un capitaine de trois mil chevaliers aura avec ſe acompaignie ſervy, & faict la Gardes du Grand Chamgarde dedans le Palais de l’empereur par trois jours entiers, les autres trois jours ſubſequentz un autre capitaine (qui ce pendant ſe ſera repoſé) luy ſuccedera, & ſervira par meſme eſpace de temps avec trois mil autres chevaliers, puis trois jours apres un autre avec ſemblable nombre de chevaliers. Ainſi continuent leur ſervice ſucceſſivement par toute l’année, non point qu’il ſoit beſoing à l’empereur de ſi grandes gardes, pour qu’il ſoit en danger de ſa personne, mais affin que ſa magnificence ſoit plus apparente et plus grande.


De l’excellence des bancquetz & festins du
grand Cham.         Chap.     XIII.



La magnificence qui est observée es banquetz de l’empereur, est en ceste maniere ordonnée. Quand l’empereur a l’occasion de quelque feste ou pour autre cause raisonnable, veult faire banquet en sa grande Salle, sa table sera eslevée par dessus toutes les autres, & assise en l’endroit de la salle le plus apparent, tirant vers Septentrion, en sorte que l’empereur estant assis à table aura la face tournée vers Midy, & pres de luy à main senestre sera asisse la principale & mieulx favorisée de ses femmes, & a la main dextre seront assis ses enfans, & nepveuz, & ceulx qui seront du sang royal : toutesfois leur table sera dressée plus bas, tellement que leur teste a peine pourra toucher aux piedz de l’Empereur. Les autres grandz seigneurs, barons & chevaliers, seront encores en une table plus basse, ayans chacun leurs femmes assises pres d’eulx a costé senestre, en maniere que chacun duc, chevalier ou gentilhomme, tient son ordre & degré, comme aussi sont leurs femmes. Car tous les gentilz hommes qui doivent assister au festin & banquet de l’Empereur, y ameinent avec eulx leurs femmes : & lors l’empereur estant assis au lieu plus eminent, peult regarder tous ceulx qui sont assis a table en la salle. Oultre ceste grande salle royalle, y a encores d’autres sallettes a costé d’icelles, esquelles en ces jours de feste on traicte quelquesfois bien quarante mil hommes, desquelz la pluspart sont gens de sa court, ou autres qui viennent renouveller leurs foy & hommaiges à l’empereur. OUltre y a une infinité de farseurs & bastelleurs, qui s’y trouvent. D’avantaige y a au milieu de la grande salle royalle un grand vase d’or, en forme de fontaine qui produict & distille incessament vin, ou autre breuvaige excellent, lequel tumbe, & est receu dedans quatre autres vaisseaux d’or, esquelz on l’espuise en grande abondance, pour servir & distribuer à ceulx qui sont assiz à table, lesquelz semblablement ne sont serviz, & ne boivent point en d’autres vaisseaulx que de fin or. Brief, il seroit impossible d’exprimer la grande magnificence & sumptuosité, soit en vaisselle ou autres meubles & utensilles, dont on use quand le grand Cham mange publiquement en sa salle royalle. Et au regard des escuyers qui servent l’empereur à table, ilz ont tous la bouche couverte d’un taffetas, ou linge delié, de peur de jecter leur halaine sur le boire & manger préparé pour la bouche de l’empereur. Et quand l’empereur prend sa couppe pour boire, tous les haulxbois & menestriers commencent à sonner de leurs instrumentz fort melodieusement : & ce pendant tous les autres serviteurs de salle se mettent à genoulx. Il n’est besoing au surplus de declairer la quantité de viandes qui sont portées & apposees à sa table, ne combien elles sont exquises & delicates, & de quelle pompe & magnificence elles luy font presentées. Le disner finy, viennent les musiciens & joueurs d’instrumentz harmonieux, semblablement les farceurs & nigromanciens, lesquelz tant par leurs chantz & sons melodieux, que par leurs gestes & bastelleries, qu’ilz font devant l’empereur, le resjouyssent merveilleusement, & luy donnent grand plaisir & passetemps.


Quelle magnificence on observe au jour natal de l’Empereur.
Chapitre     XIIII.



Tous les Tartares observent ceste coustume de celebrer en grand honneur & magnificence le Jour de la naissance du grand Cham.jour natal de leur seigneur. Or le jour de la nativité du grand Cham Cublay est le vingthuitiesme Septembre, & n’ont point de jour plus solennel & ferial en toute l’année, hors mis la solennité des Calendes de Febvrier, esquelles Commencement d’année des Tartares.ilz commencent leur année. Donc en ce jour de sa nativité l’empereur sera vestu d’une precieuse robe de fin drap d’or, & semblablement tous de sa court seront vestuz de leurs meilleurs & plus riches habillemens, & à chacun d’eulx l’empereur donne une ceinture d’or de grand prix & valeur, & des souliers faictz de chamoys, cousuz de fil d’argent, de sorte que chacun tasche de s’acoustrer & parer ce jour le plus bravement qu’il peult en l’honneur de leur prince, qu’il semble à les veoir que ce soient petitz Roys. Et non seulement au jour natal de l’Empereur ceste braveté est observée, mais aussi aux autres festes que les Tartares celebrent par chacun an, qui sont en nôbre treze, esquelles l’empereur faict present aux gentilz-hommes de sa court de robes precieuses enrichies d’or, de perles, & autres pierreries singulieres, auec leurs ceinctures & souliers telz que cy dessus auôs dict, & ne sont telles robes de couleur differête à celle de l’empereur. Oultre est obseruée vne autre coustume entre les Tartares, que au jour natal du grand Cham, tous les Roys, princes & seigneurs qui sont subiectz & tributaires à l’empereur, luy envoyent leurs presentz, enrecognoissance de sa maiesté imperialle. Et ceulx qui veulent impetrer de luy quelque charge, administration, ou offices, ilz presentent leurs requestes à douze Barôs, qui à cela sont cômis & deputès, & ce qui est par eulx ordonné & accordé, est valable comme si l’empereur de sa bouche l’auoit commâdé & ordonné. Semblablement sont contrainctz tous les peuples à luy subiectz de quelque sorte, foy ou nation qu’ils soient, Chrestiês, Juifz, Sarrazins, Tartares, & tous autres Payens, de inuoquer & de faire prieres solênelles à leurs dieux, chacun en son endroict, pour la vie, prosperité & santé du grand Cham.


De quelle solennité les Tartares celebrent le commencement de l’année. Chapitre XV.


Le iour des Calendes de Feburier, qui est le premier iour du moys, & le cômencemêt de l’année en toute la Tartarie, le grand Cham, & tous les Tartares en quelque pays qu’ilz soient, celebrent vne grande feste & solennité, & tous vnanimemêt, tant hômes que femmes, curieusement s’estudient d’estre parez & vestus dacoustremens blancz, & appellent ce jour ferial la feste des Blancz : car ilz se persuadent le vestement blanc leur porter bon heur, & que toute l’année la fortune leur sera propice & favorable, si le commencement d’iclle ilz sont vestus d’habillements blancz. Or les Lieuxtenans & gouverneurs des villes & pruinces, pour le deu de leurs estatz & offices, envoyent ce jour ferial leurs presentz à l’empereur, comme d’or, d’argêt, perles, pierres precieuses, & draps excellens : & principalement des cheuaulx blancz auoir esté ce iour presentez, & offerts à l’Empereur. Semblablement les Tartares s’enuoyent des presens l’vun à l’autre au commencement de l’année. Oultre à ceste feste tous les elephans de l’Empereur (qui sont en nombre cinq mil) sont amenez à la court, couuertz de riches tapisseries, esquelles sont figurées & depainctes toutes sortes de bestes & oyseaulx, & sont ces elephans chargez sur le doz de grands bahuz pleins de la vaisselle d’or & d’argent, & autre vtensilles dont ilz ont afaire pour magnifiquement celebrer la feste des blancz. Aussi y sont amenez plusieurs chameaux couuertz d’excellentz tapiz, qui apportent les autres prouisiôs necessaires pour vn tel bâquet. Or des le poinct

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Manquent les feuillets 53 (verso) et 54 (recto) qui doivent comporter le titre du chapitre XV.

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du jour de la feſte des blancz, tous les Roys, Ducz, Barons, Chevaliers, Medecins, Aſtrologues, les gouverneurs des provinces, capitaines & chefz de guerre, & autres officiers de l’Empereur, s’aſſemblent en la grande ſalle Royalle, & ceulx qui n’y peuvent entrer, à cauſe que le lieu n’eſt pas capable pour recepvoir ſi grande multitude, ſe retirent es autres ſalles qui ſont à coſté. Eſtans donc aſsis chacun en ſon ordre, & degré ſelon ſa dignité, & office, quelqu’un ſe levera au mylieu d’entre eulx, qui dira à haulte voix : Enclinez vous & adorez. Et lors un chaſcun ſe levera ſoubdainement de ſon ſiege, ſe proſternant & baiſſant la face en terre, comme ſ’ilz adoroient Dieu, & font cela par quatre fois. L’adoration finie, ilz vont tous en leur ordre à l’autel, qui eſt préparé au mylieu de la ſalle, ſur une grande table paincte de couleur rouge, en laquelle eſt eſcript le nom du grand Cham, & prenans l’encenſier, qui eſt fort riche & ſumptueux, ilz y mettent des gommes aromatiques & odoriferentes, dont avec grande reverence ilz perfument la table & l’autel en l’honneur du grand Cham, puis chacun ſ’en retourne en ſa place. Ayans parachevé & finy leurs ceremonies, chacun ſe preſente à l’Empereur, & luy offre ſon preſent, (comme cy deſſus avons dict.) Puis apres que tout ce eſt faict & acomply, on dreſſe les tables, & lors ſe faict un banquet magnifique, auquel ilz ſont traictez ſumptueuſement en grande joye, & au contentement de tous. Les tables levées, & le diſner finy, viennent les chantres & haulxbois, enſemble les farceurs, leſquelz chacun en son regard, de leur harmonie & jeux resjouissent toute la compaignie. Oultre on ameine a l’Empereur un lyon privé, lequel se couche à ses piedz aussi doux & paisible qu’un petit chien, & le recongnoist comme son seigneur.