La distribution des prix au Conservatoire

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Heugel (p. 1-3).

LA DISTRIBUTION DES PRIX AU CONSERVATOIRE


La distribution des prix a eu lieu mercredi dernier au Conservatoire, sous la présidence de M. Rambaud, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, qui avait tenu à rehausser par sa présence l’éclat de cette séance toujours si intéressante. Assisté de M. Henri Roujon, directeur des Beaux-Arts et de M. des Chapelles, chef du bureau des théâtres, le ministre, accompagné de M. Tirman, chef adjoint de son cabinet, a été reçu par MM. Théodore Dubois, directeur du Conservatoire, et Émile Réty, chef du secrétariat. Sur l’estrade, à côté du ministre, avaient pris place MM. Guillaume, Lenepveu, membres de l’Institut ; Jules Claretie, administrateur de la Comédie-Française ; Bertrand, directeur de l’Opéra ; les membres du comité des études et les professeurs du Conservatoire. Cette cérémonie se trouvait être en quelque sorte comme la consécration officielle de la nouvelle direction. Le ministre l’a fait justement remarquer dans son discours, et il en a saisi l’occasion pour faire en peu de mots du nouveau directeur, M. Théodore Dubois, un éloge à la fois plein de grâce et de discrétion, qui a été tout naturellement accueilli par les applaudissements unanimes de l’assemblée.

En rappelant le nouveau règlement de l’école, qu’il s’est félicité d’avoir signé, et en soulignant ses principales dispositions, le ministre n’a pas hésité, en dépit des critiques et des criailleries dont elle ne cesse d’être l’objet de la part de gens qui n’en connaissent ni la nature, ni le fonctionnement, à faire l’éloge de cette école qui est en son genre la première de l’Europe, et qu’il a qualifiée de la façon la plus heureuse en l’appelant l’« Université de France des arts du théâtre ». On ne saurait vraiment ni plus ni mieux dire, et l’expression était tout particulièrement caractéristique.

Où l’orateur s’est trouvé involontairement à côté de la vérité, c’est lorsqu’il a cru pouvoir affirmer que « le Conservatoire a été en faveur sous tous les gouvernements. » Hélas ! il en est un qui pourrait s’étonner de recevoir cette marque d’estime qu’il est loin d’avoir méritée : c’est celui de la Restauration, qui, en haine de l’origine révolutionnaire de cette institution si admirable et si utile, mit tout en œuvre pour la ruiner méthodiquement, systématiquement et de la façon la plus complète. L’excellent abbé de Montesquiou, ministre de l’intérieur de Sa Majesté Très Chrétienne, celui qui passait pour le principal, sinon l’unique rédacteur de la Charte, employa tous ses efforts pour réduire, pour amoindrir l’école au point de la rendre méconnaissable et de lui enlever en quelque sorte toute possibilité d’être utile. Il n’est pas jusqu’à ce nom de Conservatoire qui n’offensât l’oreille de ce singulier protecteur des arts et qui dut être proscrit et remplacé par celui d’École royale de musique. Sarrette, son fondateur, son directeur si intelligent, si dévoué, si désintéressé, voulut réclamer : il fut non seulement révoqué brutalement, mais chassé comme un valet, de la façon la plus indigne et la plus odieuse, et sans qu’on lui accordât à peine le temps de déménager. Le Conservatoire fut alors placé sous la tutelle d’un fonctionnaire subalterne auquel on donna simplement le titre d’inspecteur général. Une réforme ( !) générale fut opérée, et tandis que le nombre des professeurs était ridiculement réduit, les traitements de ceux qui restaient subissaient une réduction analogue. Quant aux trois inspecteurs de l’enseignement, les trois artistes illustres qui avaient nom Gossec, Cherubini et Méhul, à qui l’École devait tant de reconnaissance, on leur enlevait ce titre avec les prérogatives attachées à la fonction pour en faire de simples professeurs de composition. Enfin, le budget du Conservatoire était rogné à ce point qu’on n’avait même plus de quoi chauffer les classes l’hiver, et que, pour ne pas geler absolument, on en fut réduit à faire du feu avec des instruments superbes, devenus inutiles, et qui aujourd’hui auraient acquis une valeur inappréciable.

Voilà c que le gouvernement de la Restauration fit du Conservatoire, fondé par la République. Voilà ce qu’il n’est pas inutile que l’on sache. Voilà pourquoi il n’est malheureusement pas exact de dire que « le Conservatoire a été en faveur sous tous les gouvernements. »

Le ministre a rendu dignement à la mémoire d’Ambroise Thomas le digne hommage qu’elle méritait. Il a loué comme il convenait le grand artiste qui a tenu une si large place dans l’histoire de l’art contemporain, et en énumérant ses œuvres, en rappelant la millième de Mignon, et cette représentation d’Hamlet qui, après la mort du maître, fut « comme une fête d’apothéose », il lui a donné un souvenir ému et attendri. Et il a, d’une façon très heureuse, associé à l’éloge de l’illustre mort « celui d’un vivant, et bien vivant, » M. Émile Réty, dont les services inappréciables n’ont pas pris fin par son départ absolument volontaire, puisqu’il a « sa place marquée d’avance dans le nouveau conseil supérieur ». Sur ces mots encore les applaudissements ont éclaté, chaleureux et unanimes.

Après le chef, les serviteurs et les disciples. Le ministre a donné un regret à tous ceux, anciens professeurs, anciens élèves, que le Conservatoire a perdus au cours de l’année écoulée : Ernest Mocker, Obin, Henri Fissot, Dorus, Anaïs Fargueil, Mme Dorus-Gras[1]. Il a enfin tracé par un brillant éloge, très intéressant et très étudié, d’Alexandre Dumas et de son œuvre théâtral.

Voici le texte complet du discours de M. le ministre des beaux-arts, dont le succès a été très grand :

« Mesdames et Messieurs,

Cette cérémonie n’est pas seulement la distribution annuelle des récompenses au Conservatoire ; elle est destinée à inaugurer une direction nouvelle, celle que j’ai confié à M. Théodore Dubois. Cette maison l’a eu d’abord, depuis 1871, comme professeur d’harmonie, depuis 1891 comme professeur de composition ; il lui appartient depuis plus de vingt ans. Il n’est pas seulement l’auteur de tant d’œuvres exquises, mais, dans ses Notes et études d’harmonie, un savant théoricien de l’art. Il est aussi un administrateur avisé et vigoureux, qui saura maintenir dans la grande tradition de l’art français cette institution dont les origines remontent à l’une des années les plus glorieuses et les plus fécondes de la Révolution.

Nous inaugurons aussi, en quelque sorte, la charte nouvelle qui a été donnée au Conservatoire par le décret du 5 mai 1896.

Désormais, le directeur, comme il l’a voulu lui-même, est assisté d’un conseil supérieur où siégeront les maîtres les plus illustres de la littérature, de la musique et du théâtre. C’est sur les propositions de ce conseil, c’est-à-dire sur des présentations faites par leurs pairs, que le ministre nommera les professeurs, comme il le fait déjà pour les grands établissements scientifiques et pour les facultés. Le règlement nouveau du Conservatoire est, dans ses lignes essentielles, celui qui régit l’école des beaux-arts, cet autre conservatoire de l’esprit artistique dans notre pays.

Si j’ai eu l’honneur d’apposer ma signature au décret de constitution, je ne puis oublier qu’il avait été préparé par une imposante consultation des plus hautes compétences, et que votre nouveau et cher directeur, après avoir contribué à l’élaboration de ce règlement, a été heureux de l’apporter au Conservatoire comme don de joyeux avènement.

Tout ce que le ministre, tout ce que votre directeur ont ainsi abandonné de leurs prérogatives anciennes, je crois qu’ils l’ont remis entre bonnes mains. Je crois désirable que l’administration des beaux-arts soit, plus que jamais, conseillée et inspirée par les artistes.

Le Conservatoire, dès sa naissance, a été comme le centre et le cœur de la production artistique en France. Il est peu de grands artistes de théâtre qui n’y aient fait leur éducation première ; presque tous les grands compositeurs dramatiques ou lyriques y ont siégé comme maîtres ou comme membres des jurys. Les gloires contemporaines ont le souci de cette maison comme d’une pépinière d’interprètes pour leurs œuvres ; et c’est vers ces gloires que s’orientent nos élèves. On pourrait dire que tout sort du Conservatoire et que tout se reporte vers lui. Par lui, artistes dramatiques et lyriques, professeurs, compositeurs, auteurs, forment comme une grande corporation vouée au culte du Beau, comme l’Université de France des arts du théâtre.

C’est pour cette raison que les deuils de l’art son les nôtres, et que, dans nos séances de clôture annuelles, le bilan des pertes subies par l’esthétique française prend toujours une si large place.

Cette année, nous devons un souvenir à Ernest Mocker, mort à quatre-vingt-quatre ans, témoin d’un autre âge et d’un autre Paris artistique, qui, pendant plus de trente années, charma les habitués de la salle Favart dans ses rôles du Déserteur, du Maçon, du Pré aux Clercs, et qui, rappelé au Conservatoire, y devint un éminent professeur d’opéra-comique ;

À Obin, dont nos pères n’ont point oublié l’immense succès à l’Opéra, dans les Huguenots, dans Don Juan, dans Moïse, dans Herculanum, dans Don Carlos, et qui, sorti à vingt ans du Conservatoire, y rentra en 1871 comme professeur d’opéra ;

À Mme Anaïs Fargueil, qui, en 1835, l’avait quitté avec le premier prix de chant, qui débuta non sans éclat à l’Opéra-Comique, mais qui, par un avatar inattendu, ayant perdu sa voix de cantatrice, entra au Vaudeville, y fut la merveilleuse comédienne que nous avons connue, car nous n’avons point oublié la belle invocation à la « sainte mousseline » dans la Famille Benoiton. Elle a suivi le génie du maître dans ses évolutions, et après avoir donné à M. Victorien Sardou une admirable interprète de ses comédies, elle lui donna la tragédienne qu’il rêvait pour ses drames, la superbe Dolorès de ce chef-d’œuvre : Patrie !

À Henri Fissot, ce musicien consommé, ce pianiste et cet organiste de premier ordre, ce compositeur de grand style, que des succès précoces avaient signalé dès sa dix-huitième année et qu’une mort prématurée enlevait, en janvier dernier, à sa classe féminine de piano du Conservatoire ;

À Mme Dorus-Gras, d’abord la gloire de l’Opéra de Bruxelles, bientôt rappelée à l’Opéra de Paris, où elle fut la créatrice des rôles d’Alice dans Robert le Diable, de Térésina dans le Philtre, d’Eudoxie dans la Juive, de Marguerite dans les Huguenots ; puis à l’Opéra-Comique, où elle créa celui d’Isabelle dans le Pré aux Clercs ;

À son frère Dorus, le célèbre flûtiste, qui ne lui a survécu que trois mois. Il était un des vôtre de toute façon : élève de cette maison, lauréat du Conservatoire en 1828, virtuose de notre orchestre de l’Opéra, puis de la Société des concerts, maître de tant d’artistes : je me contenterai d’en citer un des plus illustres, M. Taffanel.

Parmi ceux qui ont quitté cette rive, la vie, pour passer sur l’autre bord, il en est deux qui ont laissé, dans le double domaine de l’art dramatique et de l’art lyrique, un vide qui ne se pourra combler. Ils appartiennent à l’histoire intellectuelle non plus seulement de la France, mais du monde.

Alexandre Dumas, par un sentiment de noble modestie ou peut-être par dédain pour la parole publique dont il avait noté l’abus, exigea par testament qu’aucun discours ne fût prononcé sur sa tombe. Si respectueux que nous soyons de ses volontés suprêmes, nul ne s’étonnera que, dans cette réunion presque intime, dans cette maison qu’il aimait tant, on rende hommage à sa vie laborieuse, à sa conscience sévère de moraliste, à son éclatant génie dramatique, ne fût-ce que pour tirer de sa vie des enseignements utiles à ces jeunes élèves du Conservatoire dont il suivait avec une sollicitude paternelle les travaux et les concours.

La prodigieuse fécondité littéraire de son père, qui, de ses récits de voyages, de ses contes et chroniques, de ses romans taillés en plein cœur de nos annales, se reposait en donnant au théâtre des drames dont nous subissons encore l’émotion ; cette fantaisie si riche, étincelante, qui se prodiguait sans compter, fertilisant tous les sujets et tous les genres de littérature, s’épandant comme un fleuve sur la France, sur l’Europe, sur le monde, où ses œuvres furent traduites en toutes les langues civilisées, — tout cela, dans le fils sérieux et réfléchi, se concentra en une énergie intense d’observation et de méditation. On a dit que le père avait été comme une force de la nature : le fils fut la science de la nature et du genre humain. La postérité le placera au même rang que nos grands classiques du dix-septième siècle ; mais tandis que les uns, dans la tragédie, n’ont su exprimer que l’héroïsme ou les passions d’êtres supérieurs et presque étrangers à l’humanité, d’êtres de légende ; tandis que les autres, dans la comédie, se sont attaqués à des travers qui sont presque à la surface de notre nature, — lui, il est le fils d’un siècle où la sévère méthode des sciences domine jusqu’à la littérature ; d’un siècle où l’on devrait moins souffrir qu’il y a deux cents ans et où l’on sent davantage la souffrance ; qui, comme réveillé tout à coup, s’est effrayé et effaré d’une infinité de questions qui laissaient paisibles nos ancêtres, qui s’est ému de pitiés qu’ils ignoraient, d’injustices qui ne les touchaient point ; qui paraît moins moral que ses devanciers, mais qui l’est bien plus, précisément parce qu’il s’inquiète de ce qu’il y a d’évolution et en apparence d’incertain dans la loi morale. Sous la complexité de notre société, de nos mœurs, de nos croyances, de nos superstitions, à travers ce kaléidoscope de vices, de ridicules, de misères, sans cesse secoué comme par une main invisible et folle, c’est l’humanité qu’Alexandre Dumas a prise corps à corps.

Il l’a vue, sous la frivolité de ses modes changeantes, simple comme l’humanité antique, souffrante des mêmes maux, c’est-à-dire de l’amour, de ses perversions, de leurs conséquences tragiques, et personne n’a ressenti pour elle plus de pitié virile. Il a été presque uniquement le poète de l’amour, d’un amour non pas entouré des Ris et des Jeux, mais escorté de meurtres et de suicides, de l’Éros dévastateur qu’ont entrevu les plus austères des poètes antiques. Son théâtre, si osé parfois, est cependant le plus sain qu’il y ait au monde. C’est avec raison qu’on a salué en lui le moraliste par excellence : non celui qui déclame sur le vice, mais celui qui en voit, avec une acuité de vision jusqu’alors inouïe, le caractère réel et les inévitables conséquences.

Il est original surtout parce qu’il eut l’intuition de ce qu’il y a d’éternel et d’immuable dans la nature humaine, et qu’en même temps il l’aperçut sous le caractère le plus moderne et le plus français. C’est pourquoi il est vraiment un classique du dix-neuvième siècle. De là cette variété dans la langue qu’il parle, ces pensées qui tantôt sont un reflet de la vie qui passe et tantôt une évocation de la vie perpétuelle ; ces mots profonds, ces mots de surprise qui font passer un frisson d’infini. Les rôles créés par Alexandre Dumas sont de ceux que nos élèves ont le plus à redouter et le plus à envier. C’est à la manière dont ils les interpréteront qu’on reconnaîtra les comédiens de race.

Ambroise Thomas l’a suivi de près dans la tombe. Celui-là, c’était la musique même. Sous la direction de son père, à quatre ans, il commença l’étude du solfège et à sept ans celle du piano et du violon. Par lui, nous sommes en communication directe avec les aèdes de la Révolution, ces pères glorieux de la musique moderne ; car, en ce même Conservatoire où nous sommes, il eut Cherubini comme directeur et Lesueur pour maître de composition. Vous savez par quelle série d’œuvres il a conquis le renom d’un des charmeurs de ce siècle : le Caïd, le Songe d’une nuit d’été, Psyché, La millième de Mignon a été une fête nationale. Ce fut une autre fête, mais comme l’apothéose après la mort, que cette représentation d’Hamlet qui, sur la tombe à peine fermée, fit retentir, ainsi qu’un chant de résurrection, les fraîches mélodies du ballet du Printemps. Ce patriote que la guerre a privé de sa ville natale, qui, soldat en cheveux blancs, étalant sur sa vareuse de mobile la croix de commandeur, monta la garde aux bastions de Paris assiégé, a du moins retrouvé une patrie dans la maison qui abrita son enfance. Directeur du Conservatoire depuis près d’un quart de siècle, il en a, pour ainsi dire, fixé la tradition ; vingt-quatre générations d’élèves sont sorties de ses mains. Si à tous il laissa la liberté de leur vocation personnelle, à tous il donna le haut exemple de l’amour du métier, de la probité artistique, du plus noble patriotisme.

Inséparable de ce grand nom est celui d’un vivant, et bien vivant, celui de votre secrétaire général M. Réty. Vous savez quel précieux auxiliaire il fut pour son chef et quel précieux conseiller pour vous tous. De cette maison où il est né, où il n’a jamais eu que des amis, il ne pouvait sortir que par sa volonté expresse, et il a fallu qu’elle fût bien tenace pour vaincre nos résistances. Du moins ne pourra-t-il nous abandonner entièrement. Au moment où il quittera son cabinet d’administrateur, il trouvera sa place marquée d’avance dans le nouveau conseil supérieur.

Mesdames, Messieurs,

Si la Convention nationale, au moment où elle avait à lutter contre l’Europe coalisée, a trouvé cependant le temps de fonder, il y a un siècle et une année, le conservatoire ; si cette grande école a été en faveur sous tous les gouvernements, à commencer par celui de Napoléon ; si les ministres de la République tiennent à honneur de présider à votre fête annuelle, c’est que les intérêts de l’art français sont au premier rang parmi ceux dont l’État doit avoir le souci. Notre démocratie n’est pas comme cette rude République romaine à laquelle un de ses plus grands poètes conseillait de se borner à commander aux nations et de laisser à d’autres le soin de modeler des statues et de donner la vie à l’airain. La France, qui a repris sont rang de grande puissance militaire et qui, en Asie et en Afrique, a pour vassaux des rois, ne croirait pas à sa grandeur si celle-ci ne resplendissait, comme il y a deux cents ans, de l’éclat que donnent les arts et les lettres. Elle est fière de ses soldats, de ses hardis explorateurs, de ses savants, de la prospérité de ses industries ; elle est fière aussi de ses artistes. Chaque Français peut, dans la carrière qu’il a choisie, être quelque chose dans la gloire de la patrie commune.

Les artistes de la musique et du drame ajoutent à sa puissance de propagande, à son rayonnement dans le monde. Les uns apprennent aux orchestre de l’Europe entière les mélodies du pays de France ; les autres, devant les foules d’Europe et d’Amérique, qui cependant ignorent notre idiome, les font, par la puissance du verbe artistique, par un miracle renouvelé du joue où des langues de feu se posèrent sur les têtes des hommes, tressaillir des mêmes émotions qu’une foule parisienne un jour de représentation populaire. Votre art, tenu en apparent dédain en des temps où l’on redoutait sa future puissance, est un des plus nobles parmi les arts libéraux. Vous êtes les interprètes, vous êtes les collaborateurs des grands dramaturges, des grands compositeurs. Sans vous, ils ne se révêraient au monde que par la froide lecture ou resteraient dans les limbes du manuscrit.

Après leur avoir donné la vie, vous leur maintenez l’immortalité. Par vous, ni Corneille ni Molière, pas plus que Rossini ou Ambroise Thomas, ne sont morts. Vous faites encore vibrer leur parole dans les vers héroïques du Cid ; vous faites chanter leur âme dans le duo d’amour des Huguenots ou dans les soupirs de Mignon vers « le pays des fruits d’or ».

Souvenez-vous donc que vous avez en garde le renom de cette séculaire maison, qui sans cesse se rajeunit de votre jeunesse ; et que vous avez en garde l’art français, élevé si haut par vos devanciers et dont Marie-Joseph Chénier annonçait à la Convention qu’il « a gagné des victoires et qu’il fera les délices de la paix ». »


À la suite de ce discours, fréquemment interrompu par les applaudissements, le ministre a procédé aux nominations d’usage. Il a commencé par remettre la croix de chevalier de la Légion d’honneur à M. Charles Lefebvre, professeur de la classe d’ensemble instrumental, et il n’est pas besoin de dire si cette distinction a été bien accueillie. Puis il a proclamé les nominations suivantes : officiers de l’instruction publique : MM. Berthelier, professeur de violon, Diémer, professeur de piano, et Alphonse Duvernoy, professeur de piano ; officier d’académie : MM. Viseur, professeur de contrebasse, Franquin, professeur de trompette, Mme Féraud, répétiteur de solfège, et M. le docteur Gouguenheim, médecin du Conservatoire.

Est venue ensuite, à la grande joie des élèves, la distribution des récompenses, la proclamation des prix étant faites, d’une voix excellente, en dépit d’une fluxion insolite, par M. Dorival, second prix de tragédie, qui, selon la coutume, a été accueilli par de vifs applaudissements lorsqu’il s’est nommé lui-même. Puis, la partie officielle étant terminée, le cortège s’est formé et tous les personnages présents se sont rendus dans la grande loge, où ils ont prit place pour assister au concert-spectacle qui allait clôturer cette séance intéressante et dont voici le programme :

1. 
Carnaval (op. 9) (R. Schumann).
Mlle Hansen.
2. 
Concertino pour clarinette (Weber).
M. Guyot.
3. 
Premier morceau du 29e Concerto (Viotti).
M. Sechiari.
4. 
Scène du Médecin malgré lui (Molière).
Sgnarelle MM. Prince
Géronte MM. Garbagny.
Lucas MM. Berthier.
Valère MM. Barbier.
Lucinde Mlle Maufroy.
5. 
Scène du 3e acte de Manon (J. Massenet).
Manon Mlle Guiraudon.
Des Grieux M. Beyle.
6. 
Scènes d’Iphigénie en Tauride (Gluck).
Orèste M. Sizes.
Iphigénie Mlle Akté.
Pylade MM. Cremel
Un prêtre MM. Vieuille.

Gros succès pour tous, mais surtout pour M. Guyot et M. Sechiari, qui se sont montrés l’un et l’autre extrêmement remarquables, pour Mlle Guiraudon et M. Beyle dans la scène de Manon, et pour M. Sizes dans celle d’Iphigénie en Tauride.

Arthur Pougin.

  1. Chose assez singulière : en rappelant trois ouvrages dans lesquels Mocker avait brillé à l’Opéra-Comique : le Maçon, le Déserteur, le Pré aux Clercs, M. Rambaud n’a justement pas cité un seul de ceux dans lesquels il avait fait des créations : les Mousquetaires de la Reine, la Tonelli, Polichinelle, Gilles ravisseurs, le Nabab, il signor Pascariello, le Toréador, le Val d’Andorre, les Porcherons, l’Étoile du Nord… Et puis, une petite erreur : Mme Dorus-Gras n’a pas, à proprement dire, créé le Pré aux Clercs ; elle n’a joué Isabelle qu’à partir de la seconde représentation, après le refus inqualifiable et resté toujours inexpliqué de Mme Casimir.