La fille du brigand/Le bonheur va commencer

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Imprimerie Bilodeau Montréal (p. 123-127).

XIV

LE BONHEUR VA COMMENCER


Un jour radieux va paraître. Cessez de gémir, Helmina et Julienne, pauvres jeunes filles qui n’avez soupiré jusqu’à présent que les plaintes de la mort et de la captivité ; le malheur ne doit pas toujours subsister ; l’orage ne peut pas toujours durer…

Assez longtemps vous avez pleuré dans les ténèbres d’une existence infortunée ; assez longtemps vos yeux se sont noyés dans les larmes, votre cœur s’est brisé dans la douleur ; voici le jour des consolations arrivé… l’orage ne peut pas toujours durer…

N’entendez-vous pas au dehors de votre cachot l’oiseau naguère plaintif qui gazouille l’hymne de la délivrance, le chant de l’hymen, le triomphe de l’amour constant ? n’entendez-vous pas au-dedans de vous-mêmes une voix mystérieuses qui vous répète souvent : Espérez… l’orage ne peut pas durer toujours…

Ô Helmina… ô Julienne, filles de prédilection, vierges chéries du ciel ; nous vous le répétons avec toute la nature : Espérez, le temps du bonheur va paraître ; car il est bien en nous aussi une voix qui nous dit : L’orage ne peut pas durer toujours…

Les jeunes filles venaient d’ouvrir les yeux à l’obscurité de leur prison, lorsqu’elles entendirent tout à coup le craquement lointain des branches, et un bruit de pas précipités qui approchaient sensiblement ; puis, bientôt après, elles entendirent le murmure d’une conversation assez animée.

— Voilà une voix, dit Helmina en prêtant l’oreille, qui ne m’est pas tout à fait inconnue ; je puis assurer au moins que ce n’est pas celle de maître Jacques ; qu’en dites-vous, Julienne ?

— Ô mon Dieu ! s’écria Helmina en tremblant au bruit de deux coups de feu qui retentirent et allèrent se perdre lentement dans l’épaisseur du bois. Puis, aussitôt après, la porte s’ouvrit violemment, et deux hommes parurent.

— Que vois-je ? dit Helmina ; Maurice ! est-ce bien vous ?

Et elle tomba à ses genoux.

— Et toi, Julienne, tu ne me reconnais donc pas ? dit Julien en la serrant dans ses bras.

— Ciel ! mon père !… je vous vois donc encore une fois avant de mourir… je ne demande plus rien, je mourrai contente…

— Tu ne mourras pas, ma chère fille ; tu vivras pour pardonner à ton malheureux père.

— Et vous aussi, pauvre Helmina, dit Maurice, vous vivrez pour m’inspirer votre vertu !

— Vous allez enfin être rendues à la liberté ; un bonheur sans bornes vous attend ; il y a déjà assez longtemps que nous risquons notre vie pour le crime, aujourd’hui nous devons la risquer pour le bien, pour arracher l’innocence des mains d’un brigand qui nous a malheureusement perdus, mais que nous haussons.

— Que dites-vous, Maurice ? dit Helmina ; je ne vous comprends pas.

— Le temps est trop précieux pour que je vous détaille aujourd’hui cette malheureuse histoire, vous la connaîtrez plus tard ; qu’il me suffise de vous dire pour le moment que j’ai été le complice de maître Jacques, votre bourreau.

— Malheureux !

— Et vous mon père, dit Julienne, par quel hasard ?

— Complice aussi, dit Julien en se jetant aux genoux de sa fille… Pardon ! pardon pour nous deux ; le repentir a fait votre délivrance, j’espère qu’il fera le reste. Pardon, ma fille, grâce Helmina !… nous renonçons au crime.

— Parlez jeunes filles ; dites-nous que vous nous pardonnez, dit Maurice en pleurant ; hâtez-vous, Helmina ; il est à quelque distance de cette caverne un homme qui attend avec impatience l’heureux moment où il pourra vous presser dans ses bras.

— De qui voulez-vous parler ? dit Helmina avec précipitation ; mon Dieu, serait-ce encore quelque… ?

— Il n’y a plus de mystère, dit Maurice ; votre père, M. des Lauriers, vous attend à la sortie du bois.

— Mon père !… oh ! mais c’est un rêve… un rêve de bonheur ; mon père !… ah ! Maurice, vous vous jouez de ma sensibilité !…

— Sortons, dit Julien, qui ne pouvait plus résister à ces émotions ; sortons.

— Ô mon Dieu ! qu’est-ce que cela ? dit Helmina à la vue de deux cadavres sanglants étendus à la porte de la caverne, qu’elle reconnut pour ceux de Lampsac et de Mouflard ; qu’avez-vous fait ? un meurtre… horrible !…

— Non, Helmina, dit Maurice ; nous avons défendu notre vie contre eux ; les misérables ont voulu soutenir jusqu’à la fin leur scélératesse !

— Quelle mort ! dit Helmina… et quelles terribles suites… Que Dieu ait pitié de leurs âmes…

Il y a quelques jours, Helmina traversait les mêmes sentiers qu’elle parcourt aujourd’hui ; mais alors c’était une marche pénible, affreuse ; elle allait à la mort, guidée par ses bourreaux, à présent elle court vers le bonheur ; ses pas sont légers, sa marche est aisée… l’espérance donne des ailes. Ce bois du Cap-Rouge qui lui avait paru si effrayant lui paraît aujourd’hui majestueux ; il n’est plus éclairé par la lueur rapide de l’éclair, mais par les rayons d’un soleil radieux qui commence à s’élever au-dessus de la cime des plus grands arbres ; elle n’y entend plus les jurements et les imprécations des brigands, mais le ramage d’une foule de petits oiseaux qui se bercent sur toutes les branches, et semblent vouloir partager son bonheur.

Helmina ne peut alors fermer son cœur à des sentiments de reconnaissance et d’admiration pour Dieu ; alors elle commence à croire et à répéter en elle-même cet adage du vieux temps : L’orage ne peut pas toujours durer…

— Est-il bien vrai, Maurice, dit Helmina, que vous ne m’avez pas trompée en me disant que j’allais retrouver mon père ? Hélas ! comment pourrais-je le croire ?

— Croyez-le, Helmina, vous êtes sur le point de le voir ; j’entends les branches qui plient : c’est lui. En effet, M. des Lauriers, impatienté d’attendre et craignant qu’il ne fût arrivé quelque malheur, s’était avancé à une petite distance dans le bois. Maurice se mit à siffler, c’était le signal convenu pour se reconnaître ; et M. des Lauriers parut ; et se précipitant dans les bras d’Helmina :

— Ô ma chère petite fille, je te revois enfin ! s’écria-t-il avec joie.

— Ô mon père ! dit timidement Helmina…

Nous n’entreprendrons pas de peindre à nos lecteurs la scène touchante et expressive qui eut lieu alors dans le bois du Cap-Rouge. Ceux qui, comme M. des Lauriers, ont eu occasion de goûter le même bonheur, conviendront avec nous qu’il n’est pas de paroles assez fortes, assez énergiques pour l’exprimer. De pareils moments donnés à un père, à une épouse, à un parent, à un ami quelconque, et, généralement parlant, à l’amitié ou à l’amour, après une longue absence ou un retour inespéré, sont des délices que le cœur seul pourrait dépeindre…

M. des Lauriers, après avoir donné le temps nécessaire à la manifestation de son amour paternel, fit monter Helmina avec lui dans une voiture qu’il avait emmenée, et disparut comme l’éclair, après avoir dit tout bas à Maurice de chercher maître Jacques et de l’emmener chez lui, comme il était convenu avec lui.