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La flamme qui vacille/03/09

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 30-32).

IX

LA NOUVELLE SECRÉTAIRE


— Voilà !… Est-ce bien ?

— La frappe est parfaitement égale et nette, la disposition impeccable. Vous êtes mûre pour me remplacer.

Cécile frappa des mains, avec une joie enfantine, tandis que Simone, son petit professeur, ayant relu la copie, appréciait :

— Il n’y a aucune erreur, c’est parfait !

Cette scène se passait dans le bureau de Monsieur Merville, deux mois après la soirée dramatique qui avait ranimé l’amour assoupi.

Depuis un mois, Cécile avait consacré toutes les matinées, tandis que son mari était à la bourse, à l’étude des travaux du bureau. Instruite et intelligente, adroitement dirigée par la jeune femme, qui achevait son premier mois de vie conjugale, elle avait fait de rapides progrès et pouvait, dès maintenant, être une secrétaire très convenable.

Simone, ignorant la rancune, avait eu cette généreuse idée : Puisqu’elle serait bientôt obligée de quitter son patron, puisque Madame Merville rêvait de redevenir l’associée de son mari et se plaignait de son oisiveté, n’était-elle pas la remplaçante rêvée ? Elle fit part de ses réflexions à Madame Merville qui accepta avec enthousiasme ; toutefois, pour éviter que Julien ne s’opposât à la réalisation de ce projet, les jeunes femmes, devenues amies, complotèrent de faire l’apprentissage en cachette pour, le jour venu, mettre l’importateur en présence du fait accompli.

Cependant, Cécile craignait que les affaires de son mari pâtissent de son inexpérience, mais Simone la rassurait.

— Vous lui donnerez entièrement satisfaction.

— Sauf pour la sténographie ?

— Oh ! vous êtes encore un peu lente, peut-être, mais, pendant quelques temps, vous jouirez certainement de toute l’indulgence de… votre patron.

— C’est en effet fort probable. Savez-vous bien, chère petite amie, que vous avez été la bonne fée de notre ménage ? Depuis la scène ridicule que je vous ai faite un soir…

— Oh ! madame…

— …le bonheur a repris place à notre foyer. J’ai compris que je n’avais peut-être pas toujours été assez prévenante, fait assez de concessions, montré suffisamment d’égards envers mon mari, enfin, que les torts étaient le plus souvent de mon côté. Lui-même, depuis ce jour, se montre aimable, tendre et charmant pour moi. En un mot, grâce à votre heureuse intervention, nous traversons une seconde lune de miel, plus belle, plus resplendissante que l’ancienne !

Simone était certes plus touchée qu’elle ne voulait le laisser voir. Ce mot de « lune de miel » évoquait en elle un monde magique de rêve qu’elle ne connaissait pas. Elle avait trouvé le bonheur d’une affection solide et loyale, mais elle ignorait les ineffables joies dont parlent les romans d’amour et que Cécile, elle, avait pleinement goûtées ! Pour cacher son regret, elle plaisanta :

— Je vous souhaite de tout cœur que cette nouvelle lune ne connaisse jamais d’éclipse !

Le ton de gaieté sonnait faux et Cécile, trop intuitive pour ne pas le sentir, interrogea avec un sincère intérêt :

— Et vous, petite amie, êtes-vous heureuse ?

Simone répondit d’une voix calme et ferme, mais qui manquait d’élan :

— Mai oui ! Comment ne le serais-je pas ? Mon mari est très bon, travailleur et rangé, sobre et affectueux. Que pourrais-je demander de plus ?… Oh ! sans doute, son instruction, et même peut-être son éducation laissent un peu à désirer, mais sa modestie et son bon vouloir lui permettront de se perfectionner.

Cécile, déconcertée de voir tant de sagesse, elle, qui avait vibré passionnément, et connu la flamme ardente d’un amour idéal, ne put s’empêcher de dire :

— Déjà des restrictions ? Ma pauvre enfant ? Vous n’êtes pas parfaitement heureuse !

Simone répondit avec une inébranlable conviction :

— Je le serai. Mon mari est un brave homme, que j’aime et qui m’aime. C’est une nature simple et droite, sérieuse et positive, qui ne changera pas, si ce n’est pour s’améliorer. Je tâcherai de ne pas être en reste avec lui et, nous faisant tous deux des concessions mutuelles, nous avancerons chaque jour vers un bonheur plus parfait, plus complet.

Bien que son âme romanesque se révoltât devant ce renoncement, le cœur noble de Cécile ne pouvait s’empêcher de l’admirer, s’extériorisant en ces termes, elle ajouta :

— Vous avez raison d’avoir foi en l’avenir, ma chère petite Simone. Dieu vous donnera… ce que vous méritez !

— Oui, j’ai confiance en lui. Déjà, il m’a envoyé l’avertissement d’un autre bonheur auquel il n’y a de limites que les bornes de notre propre cœur !

— Vraiment ? Vous aussi ?

Les deux femmes se regardèrent avec émotion, après cette confidence intime qu’elles étaient encore seules à connaître. Puis, elles restèrent silencieuses, le regard ennobli d’une tendresse déjà maternelle et souriant, dans leur rêve, à cet autre bonheur, que toutes deux avaient le droit d’espérer.

Elle furent ramenées sur terre pour l’arrivée de Mélanie, qui salua Cécile sans surprise, ce qui inquiéta celle-ci. Simone la rassura :

— Pardonnez-moi, Madame. Mélanie est mon amie intime, ma confidente et je n’ai rien pu lui cacher ; j’étais si heureuse de notre idée.

— C’est vous seule, chère petite, qui l’avez imaginée.

— Ça m’étonne pas d’elle, intervint Mélanie ! Elle en a toujours des idées comme ça !… En tous cas inquiétez-vous pas pour moi, je suis le tombereau, pardon, le tombeau des secrets.

— Merci. J’avais si peur que Julien sache ! Et comment vous trouvez-vous de la vie conjugale, Mademoiselle Mélanie ?

— Oh ! je la conjuge « all bean ! » Mon vieux est bien fin pour moi et moi pour lui. Puis, je vous passe un papier qu’il ne s’en plaint pas. Souvent, il me regarde en soupirant : « Mélanie, qu’il me dit, depuis que tu es ma femme, mes affaires sont plus prospères. D’abord, comme comptable, t’es pas battable et avec toi, je peux avoir confiance. Ensuite, comme cuisinière, t’es de première classe. Et puis, quand j’ai l’esprit tranquille et l’estomac plein, je travaille de meilleur cœur ! » Non, mais, y m’aime-t’y, c’t’homme-là, y m’aime-t’y !

— Mais comment se fait-il que tu ne travailles pas, un samedi matin ?

— Le magasin est fermé, pour cause de deuil.

— De deuil ?

— Oui, c’est notre meilleur client…

— Qui est mort ?

— Non, qu’est parti en Europe en oubliant de payer son « bill. » Il l’a oublié de bonne souvenance, comme de juste. Aussi bien dire qu’on peut en faire son deuil. Ce qui fait que mon vieux a pas le cœur à l’ouvrage, ni a la gaieté, non plus ! Aussi, moi, je suis sortie, parce que j’aime pas ça, le voir triste.

Bientôt, Cécile eut une nouvelle alerte, en entendant frapper à la porte. Mais c’était Paul et papa Rosaire qui venaient faire une petite visite « en passant. »

Ils bavardaient joyeusement tous les cinq, car l’ouvrage était terminé ; pourtant Simone prêtait l’oreille. Tout à coup, elle chuchota :

— Vite ! Cachez-vous tous ?

Et, tandis qu’ils se sauvaient par la porte de l’escalier de service, comme des collégiens se préparent à jouer un bon tour, Simone s’installait au bureau. Julien entra. Il était transformé ; ses traits détendus, son regard vif, ses couleurs revenues, son sourire franc, son allure dégagée, sa voix joviale, tout dénotait l’homme heureux, pressé de terminer sa besogne pour aller retrouver son foyer. Dès le seuil, il lança gaiement :

— Bonjour, Simone. Le courrier est terminé ?

— Le voici, Monsieur Merville.

— Merci !

Il relut les lettres, les signant au fur et à mesure et parut satisfait. Puis, l’heure n’étant pas sonnée de fermer les bureaux, il bavarda un peu :

— À part cela, rien de neuf ?

— Oui, Monsieur Merville. Nous partons dans l’Ouest, mon père, mon mari et moi, pour nous établir. Je dois vous quitter ?

— Me quitter ? Quand cela ?

— Aujourd’hui même !

— Mais c’est une trahison ! Et votre notice !

— Je me suis trouvé une remplaçante qui vous plaira beaucoup.

— Dites donc, petite Simone, savez-vous que vous n’êtes pas gênée de choisir vous-même votre remplaçante ?

— J’étais certaine qu’elle vous plairait plus que toute autre.

— Plus que vous, ce serait difficile. A-t-elle des connaissances professionnelles ?

— Elle est très instruite et, depuis un mois, elle s’entraîne ici, sous ma direction. Aujourd’hui, elle est parfaite et pourra, dès lundi, me remplacer.

— Savez-vous que ce n’est pas très gentil de me quitter aussi brusquement, après m’avoir fait des cachotteries ? Je vous en veux un peu.

— Oh ! Monsieur Merville !

— Allons ! quittez cet air désolé, petite Simone, vous savez bien que je n’ai pas le droit de vous en vouloir. Vous avez été la bonne fée…

— …de votre ménage ?

— Mais oui. Grâce à vous, le bonheur a repris sa place…

— …à votre foyer ?

— Oui. J’ai compris que je n’avais peut-être pas toujours été assez prévenant, fait assez de concessions, montré suffisamment d’égards envers ma femme, enfin, que les torts étaient…

— …le plus souvent de votre côté ?

— Mais… oui, en effet !… Elle-même se montre aimable, tendre et charmante pour moi. En un mot, grâce à votre heureuse intervention…

— …vous traversez une seconde lune de miel, plus belle, plus resplendissante que l’ancienne ?

Julien la regardait avec une surprise croissante. Elle expliqua :

— C’est curieux !… Toutes les phrases que vous prononcez, il me semble que je les ai entendues, ici-même, il y a quelques minutes.

— Entendues ici même ? Mais de qui ?

— J’y suis ! De votre nouvelle secrétaire.

— Ma nouvelle… Au fait, qui est-ce ?

— Je vais vous l’envoyer !

Et le laissant abasourdi et fort intrigué, elle sortit et Cécile entra, disant d’un ton gavroche de petite midinette :

— Bonjour, M’sieu Merville !

— Toi ?

— Êtes-vous satisfait de mon courrier. M’sieu Merville ?

— Comment, c’est toi qui as fait cela ? Et c’est toi qui, depuis un mois, t’exerces à ces ouvrages ?… Mais enfin, pourquoi ?

— Il y a deux mois, tu as retrouvé ta compagne aimante et douce. Je voulais te rendre aussi ton associée fidèle et dévouée.

— Quoi ? Tu veux…

— …ne rien négliger pour garder mon bonheur.

— Notre bonheur !

— Seulement…

— Quoi ?

Elle hésitait, trouvant difficile, après tant d’années de vaine attente, de faire l’aveu de ses espoirs :

— Je te préviens que… dans quelques mois… tu devras te chercher une autre secrétaire.

— Dans quelques mois ? Est-ce que… ?

— Je crois que oui.

Elle était devant lui, toute rose, les paupières baissées ; il l’attira dans ses bras !

— Oh ! ma chérie ! quelle heureuse nouvelle !…

Se soustrayant à la douceur de l’étreinte, elle se dégagea, soudain redevenue gamine :

— Chut ! Il y a du monde… là !

Elle alla prestement ouvrir et appela les visiteurs.

Déjà, Simone venait, la main tendue :

— Me pardonnez-vous, Monsieur Merville, de m’être permis de choisir votre nouvelle secrétaire ?

Plus ému qu’il ne voulait le laisser voir, il pressa la gentille menotte avec reconnaissance et s’écria gaiement :

— Mes amis, dans quelques minutes, nous fermerons le bureau et puisque nous voilà réunis, je vous invite au meilleur restaurant de la ville. Dans un dîner soigné, nous fêterons une très bonne nouvelle… que je viens d’apprendre.

Tous applaudirent et Mélanie entonnait comiquement :

« For he is a jolly good fellow, » quand, soudain elle songea à son mari :

— Mon doux ! Polyte que j’oubliais !

— Téléphonez-lui de venir nous retrouver, offrit Julien.

Elle accepta de bon cœur !

— Ah ! bien ! c’est pas de refus ! Ça l’aidera à supporter son deuil !