La folie érotique/L’excitation sexuelle/Satyriasis

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Librairie J.-B. Baillière et Fils (p. 103-109).

VI

satyriasis


Le satyriasis ne diffère de la nymphomanie que par sa gravité plus grande encore et par le caractère agressif des malades, qui se précipitent volontiers sur les personnes de sexe opposé pour satisfaire leurs désirs.

C’est sous ce nom de satyriasis que les anciens étudièrent la folie érotique en général.

Galien, Aétius d’Amède[1] et Rufus d’Ephèse[2] confondaient ensemble le satyriasis et le priapisme.

Paul d’Egine, le premier, établit la distinction entre un symptôme (le priapisme) et une maladie (le satyriasis) ; cependant il semble n’avoir pas eu de notions plus nettes que ses prédécesseurs.

Arétée est le premier qui ait étudié sérieusement cette affection. Il en savait le caractère grave et la marche aiguë. Il avait observé que les malades en meurent pour la plupart au bout de sept jours. Nam plerumque in septima die hominem consumit. Cœlius Aurelianus[3] définit la maladie, en donne les causes et en indique les symptômes.

Il reconnaît que c’est une forme d’aliénation mentale, mentis alienatio. Ses observations sont précises, il a bien vu la maladie, quoique l’on puisse regretter qu’il ne l’ait pas distinguée des autres formes de la folie érotique.

Jean Hartmann[4] a observé que l’issue de la maladie est fatale per virium exolutionem tetanum et mortem.

Wolfgang Wedel[5], le célèbre professeur de l’Université d’Iéna et beaucoup d’autres observateurs ont cité des observations toutes affirmatives sur la gravité de cette affection.

Le satyriasis est une maladie rare et surtout rare dans nos climats ; elle est bien moins fréquente que la nymphomanie. Le nombre des observations connues est très restreint.

Mais, comme la nymphomanie, le satyriasis peut résulter d’une lésion des centres nerveux.

On a même vu ce phénomène résulter d’un traumatisme direct.

Chauffard, d’Avignon[6], rapporte un fait très curieux de ce genre.

Un homme de cinquante ans, de mœurs douces et d’un caractère paisible, fait une chute dans sa chambre, et se frappe violemment la nuque contre un des angles du lit : il survient de l’empâtement à la région occipitale inférieure ; les habitudes de cet homme présentent une altération remarquable ; il est pris d’une salacité extraordinaire.

Jusqu’alors pieux et modeste, il tombe peu à peu dans le délire le plus érotique.

Cet état s’accroît pendant environ trois mois ; en même temps son intelligence et ses forces s’affaiblissent, lorsqu’à la suite d’une ardente colère que lui occasionnent les refus de sa femme, il tombe en convulsions, se plaint ensuite d’une vive douleur en avant du sommet de la tête, et ne ressent plus celle qu’il éprouvait à la partie postérieure et inférieure du crâne. Commencement de paralysie du côté gauche, cessation du satyriasis et du délire érotique ; délire religieux, marmottement continuel de prières, tels sont les phénomènes qui durent jusqu’à la mort, arrivée huit jours après cette transformation des phénomènes morbides.

L’autopsie du cadavre n’eut pas lieu. Il eût été curieux de constater l’état du cerveau et du cervelet, si tant est que celui-ci ait été primitivement et spécialement affecté.

Il est évident qu’il s’agit ici, selon toute probabilité, d’une lésion du bulbe.


Vous le voyez, le satyriasis et la nymphomanie sont des maladies très graves (c’est sous le nom de folie génésique que Moreau de Tours les désigne)[7] associées le plus souvent à des maladies organiques, et qui diffèrent absolument de la folie érotique. Je crois, par conséquent, qu’il faudrait désigner par le mot aphrodisie, les excitations sexuelles que nous venons de décrire et qui peuvent répondre, comme dans l’observation de Trélat, à une santé physique absolument parfaite.

Par nymphomanie ou satyriasis, il faudrait désigner au contraire un état morbide très grave, se terminant par la mort, et caractérisé par des lésions anatomiques.

Cette réforme du langage médical nous paraît utile au point de vue de la clarté scientifique.


Il me reste à vous parler des perversions de l’instinct sexuel. Ce sera le sujet de notre prochaine conférence.



  1. Aétius in Rufus, Œuvres, trad. par Daremberg et Ruelle. Paris, 1879 p. 119.
  2. Rufus, Œuvres, trad par Daremberg, Paris, 1879, p. 431.
  3. Cœlius Aurelianus, De morbis acutis et chronicis. ’ Amsterdam, 1709, p. 249.
  4. Jean Hartmann, Officina sanitatis. Noribergæ 1677, p. 640.
  5. Wolfgang Wedel, Physiologia medica. Iéna, 1580. Caput XVI, p. 572 et seq.
  6. Chauffard, Journal universel des Sciences médicales, décembre 1828, et Archives générales de médecine. t. XIX, p. 263.
  7. P. Moreau de Tours. Aberrations du sens génésique. Paris, 1884.