La franc-maçonnerie et la conscience catholique/4

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Imprimerie de l’Action Sociale Ltée (p. 24-30).

IV

CONTRE LA DÉNONCIATION


Sommaire : — Hésitation. — Ignorance. — Préjugés.


Nous voici rendu à la dernière partie de ce travail.

Il est évident qu’il faut arracher la peau de brebis des épaules du loup. C’est une obligation grave, de droit commun, en ce qui concerne les francs-maçons ordinaires, mais de droit positif et plus strict encore, quant aux chefs des loges maçonniques.

Et pourquoi tous ne font-ils pas leur devoir ? car il y en a bien sûr, qui hésitent, et qui refusent de parler. Nous voulons le dire en terminant, ce sera peut-être forcer ce boulevard du silence qui protège nos adversaires depuis trop longtemps.


1o Bien peu connaissent l’obligation que nous venons d’exposer. Ils ne sont pas avertis, et ils ne comprennent pas la portée d’une pareille loi, ne soupçonnant pas du tout le mal que la franc-maçonnerie peut faire à l’Église et à la société. Sans doute leur esprit est égaré par la profusion d’idées fausses qui circulent sur sa nature, son but et ses moyens d’action. Et puis, avouons-le donc, combien se sont laissé surprendre à cause de leur indocilité aux enseignements de l’Église !


2o Beaucoup sont indifférents, craintifs à l’excès, pour ne pas dire lâches et peureux. Comme on hésite et comme on recule devant un devoir grave ! Bien plus on évite de s’en rendre compte, on feint de l’ignorer, ou bien, on ne veut pas le connaître à fond, et on s’imagine après cela pouvoir échapper à ses obligations.

On ne tient pas non plus à se déranger, pas même pour avertir un voisin que sa maison brûle, c’est monstrueux, mais le fait existe. Ce n’est pas étonnant alors que l’on soit si timide en présence d’une obligation morale et religieuse vers laquelle on se sent si peu attiré parce qu’elle ne nous présente qu’un minime intérêt.

Ou encore, on rejettera la charge sur les épaules d’une autre personne, sous prétexte qu’elle en connaît tout aussi long, et qu’elle peut tout aussi bien faire cette révélation. C’est une erreur : l’une et l’autre sont tenues au même titre. L’une et l’autre, si elles refusent de faire leur devoir, encourent la même censure.


3o Il en est qui seront retenus par une certaine répugnance à passer pour délateurs ; comme s’il s’agissait de la délation — si odieuse aux écoliers — de ces fredaines ou gamineries qui ne peuvent nuire en aucune façon à la bonne renommée d’une institution, ni faire tort à personne… Oh ! les rapporteurs ! Il n’en serait pas de même évidemment, et la délation deviendrait un devoir et perdrait son caractère odieux, si l’écolier se faisait le fauteur de scandales, ou le destructeur de la propriété. On n’aurait plus alors le droit de se taire. Il en est de même des conspirations et des machinations des sociétés secrètes.


4o Une fausse pitié en arrête quelques-uns, « car, disent-ils, ce serait faire tort à ce brave homme de « franc-maçon », ce serait nuire à « ses affaires ». Pratique fort en vogue dans notre pays. C’est elle qui paralyse les efforts que l’on fait pour guérir certaines plaies sociales. Les luttes récentes contre l’alcoolisme nous en ont fourni plus d’une preuve. En somme c’est toujours l’exploitation de la faiblesse et de la naïveté des braves gens. Pitié chimérique qui permet au mal de s’étendre et de prendre racine partout.

Certains se retranchent derrière l’honneur. Rappelons-nous donc qu’il n’y a pas d’honneur ni de pitié qui tiennent devant un homme qui sort des rangs de l’honneur, du droit et de la justice. Il est, lui aussi, un malfaiteur, et il n’a pas plus droit à la pitié que les incendiaires et les pillards : il s’associe aux malfaiteurs, il participe à leurs méfaits, il se met par là-même au ban de la société. Et c’est pour cela que l’Église se montre sévère pour lui.

Mais si la pitié est due à quelqu’un, c’est bien à l’Église, la victime habituelle de ces institutions malfaisantes. Seule, l’aberration du sens moral est capable de nous empêcher de reconnaître ici notre devoir. Nous devons tous incontestablement assistance et protection à cette Église dont nous sommes les membres, la chair de sa chair, les os de ses os. Ce que l’on fait à une partie, le corps tout entier le ressent. Attaquer l’Église, c’est attaquer chacun de nous. Là doit aller notre pitié et pas ailleurs, c’est l’ordre de la charité.


5o. L’idée si répandue que les loges sont des sociétés de secours mutuel est aussi un grand obstacle à la dénonciation.

L’idée n’est pas tout à fait fausse, il y a du vrai, car c’est un manteau dont on couvre ces organisations pour les faire voir sous un jour favorable. C’est par ce moyen qu’elles s’insinuent et pénètrent si facilement. Elles accordent certains bénéfices à ses adeptes et leur assurent une certaine protection, efficace en plusieurs cas. Il arrive même que plusieurs de ses organisations réussissent à capter la confiance de certaines grandes compagnies de commerce, de finance ou de transport. On dit encore qu’elles disposent de la plupart des engagements et des promotions, dans ces institutions. S’il faut en croire la rumeur, certains quartiers du service civil auraient subi le même sort, mais, nous n’en voulons rien croire. Ces institutions deviennent un petit monde fermé, réservé aux adeptes, mais dont l’entrée est une prime pour les candidats et une récompense pour les affiliés.

Bien sûr, tout cela se fait à l’insu des autorités supérieures. Elles ont trop d’intelligence et de délicatesse pour l’autoriser, et leurs occupations ne leur permettent pas de voir à ce détail ; cependant le mal existe puisqu’on en constate la présence de temps à autre.

Nous engageons les directeurs des grandes compagnies et les chefs politiques à méditer les réflexions suivantes que nous trouvons dans l’Action Sociale :

« Que ces messieurs n’oublient donc pas que cette classe d’employés intermédiaires ou ces chefs de départements sont, dans notre pays, en grande partie responsables de ces bévues ou de ces misères. Ils ont des allures de chien couchant devant leur chef hiérarchique, mais ils sont souvent de vrais tyranneaux devant les employés qui dépendent d’eux, et c’est parfois au prix des pires menaces qu’ils font exécuter des ordres qui ne sont pas toujours respectueux des droits de la langue française et de la foi catholique. Ils se retranchent derrière le lointain et le secret de leurs bureaux, toujours peu accessibles au commun des mortels. » (l’Act. Soc., 11 août 1908, 5e page, 5e col.).

Ces réflexions sont également vraies des sociétés secrètes et de leurs prosélytes. Cependant, il ne faudrait pas prendre trop au sérieux les prétentions de ces zélateurs ; nous les examinerons un jour, et nous dirons ce qu’elles valent. Nous dirons aussi quelles déceptions elles préparent à ces trop crédules admirateurs et partisans de tout ce qui s’enveloppe de ténèbres et de mystères.


6o. Il y aurait beaucoup à dire sur le fameux serment du secret. Mais il faudrait toute une étude à part. Qu’il nous suffise de savoir, pour le quart d’heure, que ce serment est immoral. Il place un individu en dehors des conditions ordinaires et essentielles de toute société. Il le met en opposition à la loi humaine et à la loi divine. Personne n’est tenu de le garder.


7o. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu’on a pu faire, au cours de cette lecture, un rapprochement que j’ai hâte d’écarter.

On aurait grandement tort d’assimiler la dénonciation juridique à la trop célèbre délation des fiches provoquée par la franc-maçonnerie française, à la suite de la malheureuse affaire Dreyfus. Il y a tout un monde entre les deux choses.

D’abord, la dénonciation des conspirateurs est une nécessité reconnue, et par le droit civil et par le droit ecclésiastique. Puis l’Église se protège et se défend contre toute organisation qui en veut à sa vie, tandis que le trop fameux ministre de la Guerre, cherchait des victimes parmi les hommes d’honneur et de devoir, la fine fleur de l’armée française. C’était la désorganisation « organisée » au profit des sectaires, ennemis de la vraie France, la France chrétienne et chevaleresque que nous avons l’honneur d’appeler notre mère.