La goélette mystérieuse ou Les prouesses d’un policier de seize ans/08

La bibliothèque libre.
Anonyme
Bibliothèque à cinq cents (p. 47-49).

CHAPITRE VIII

LES FAUX BILLETS


Le lendemain matin, notre ami Joe était assis devant une table en fort mauvais état, sur l’unique chaise qui existât dans son logement, et il se livrait à un travail qui paraissait lui offrir de grandes difficultés.

Il s’agissait d’une lettre à écrire ; et Joe n’avait Jamais cultivé, comme il faut, ce genre d’exercice. Ce n’est qu’à la suite de longs efforts, qu’il arriva à tracer sur le papier les lignes suivantes :

Chair Mossieu. — J’aurait voullu vou voire mait genait paput sais pourqoi ge vousaicrit. fete atenssion a vous, voussavai eunne enmi il’ia du dangè. ge nan puitdirre plullon mait ge vouss angage biayn de cherchaiz dent votre logemen un pacai de biyaifot onn ait sul atrasse. brulailais toudecuite si vou voullai aivitai biayn du troubl.

Joseph Briquet.

Le lecteur a déjà deviné que le destinataire de cet épître, rédigé avec une orthographe fantaisiste, n’était, autre que M. Robert Halt.

La lettre lui fut remise par la poste, vers le milieu du jour. Il n’eut pas de peine à reconnaître qu’elle avait été écrite par une personne peu expérimentée, et il regarda tout de suite à la signature…

— Encore Joe ! fit-il, ce doit être encore un de ses mystérieux avertissements. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ? Il y a du danger, je vois bien cela. Mais je ne comprends pas du tout ce dont il parle. « Biyaifot, » qu’est-ce que c’est que ça ? Il me semble qu’il me dit de chercher quelque chose qu’un ennemi aurait mis chez moi…

Mais, à ce moment, un coup de sonnette vint interrompre la lecture de M. Halt et Mlle Marsy entra dans le salon.

M. Halt s’avança vers elle avec empressement.

— Bonjour, mademoiselle, vous avez avancé votre leçon d’un jour, cette semaine.

— Non, monsieur Halt, je ne pourrai prendre ma leçon, aujourd’hui ; et je crains d’être obligée de renoncer aux autres, au moins pendant quelque temps.

Le jeune homme la regarda avec une expression de surprise douloureuse.

Mlle Hélène ! que voulez-vous dire ? demanda-t-il avec un tremblement dans la voix. Qu’est-il arrivé ? J’espère que vous n’avez rien à me reprocher.

— Pas du tout, M. Halt. Il s’agit d’autres raisons que je préfère ne vous dire qu’un peu plus tard. Je vous remercie beaucoup de tout ce que vous avez fait pour moi. Vos leçons m’ont beaucoup profité.

— J’espère qu’elles vous ont été agréables.

— Très agréables.

— Alors, nous ne chanterons pas « L’amour attend » ? continua t-il, en faisant un effort pour sourire. Ne voulez-vous pas faire au moins un dernier exercice ?

— Merci, répondit elle, il vaut mieux que l’amour attende.

À ce moment, Mlle Marsy s’était penchée pour regarder une dernière fois la musique. Ses cheveux frôlaient la figure de M. Halt, dont l’émotion devint de plus en plus visible.

— En quoi ai-je pu avoir le malheur de vous offenser ? dit-il de nouveau, en jetant vers elle un regard suppliant.

— Je vous assure que vous ne m’avez pas offensée du tout. Ce n’est pas de vous que vient l’offense.

— Alors, il y a une offense, tout de même ?

Mlle Marsy se recula un peu et parut hésiter avant de répondre. Mais, avant qu’elle ait eu le temps de décider ce qu’elle voulait dire, elle fut interrompue par un nouveau coup de sonnette.

Ce n’est rien, dit M. Halt ; ce doit être quelque connaissance de ma femme de ménage.

La jeune fille s’avança vers la porte, tout en semblant attendre que les pas se fussent éloignés ; et il y eut un moment de silence, bientôt suivi d’un bruit tout à fait anormal à l’étage supérieur.

— Les voilà ! cria une voix. Je tiens la cachette !

On entendit dans l’escalier un bruit de pas lourds et précipités, et la porte du salon s’ouvrit brusquement, pour donner passage à deux individus parmi lesquels M. Halt reconnut l’homme à la pipe d’écume de mer.

— Je vous demande pardon, mademoiselle, dit Lafortune ; mais j’ai avec M. Halt une affaire qui ne souffre pas de retard. M. Halt, reconnaissez vous ce paquet ?

— Pas du tout.

— Peut-être le reconnaîtrez-vous mieux, maintenant. Et Lafortune ouvrit le paquet, dans lequel était enveloppée une liasse de billets de banque.

— Et bien ? demanda M. Halt, sans paraître comprendre ce que cela voulait dire.

C’est bien joué, M. Halt ; mais ces billets ont été trouvés dans votre secrétaire ; ce sont des billets faux, du type de ceux dont vous inondez Montréal, depuis quatre mois ; et j’ai le regret d’être obligé de vous arrêter.

Il y eut un cri déchirant. Robert Halt tourna les yeux vers Mlle Marsy et vit qu’elle le regardait avec une émotion toute pleine d’affectueuse sollicitude, en faisant un brusque mouvement, comme pour poser sur son épaule une main protectrice.