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La grande peur dans la montagne/04

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IV

Il sembla que la visite de Joseph eût décidé de tout, car le jour même arriva chez le Président la mère du petit Ernest, qui venait demander au Président d’engager son garçon, bien qu’il vînt seulement d’avoir treize ans (mais on a besoin dans les montagnes de ce qu’ils appellent le « boûbe » pour les petits travaux, et un enfant de cet âge y suffit) ; puis, après le souper, ce fut le tour du vieux Barthélemy qui allait être obligé de quitter sa place.

— Et si vous voulez bien de moi je retourne à Sasseneire. J’y étais, il y a vingt ans.

— Ah ! a dit le Président, vous y étiez ?

— Bien sûr…

Parlant de dedans une grosse barbe courte couleur de mousse sèche et de dessous ses cheveux qui lui pendaient sur le front entre l’aile de son chapeau de feutre et la peau :

— Bien sûr… Et j’en suis revenu, comme vous voyez ; et si vous voulez, j’y retourne.

— Oh ! moi, dit le Président, ces histoires…

— Oh ! moi, dit alors Barthélemy…

Puis, sur un autre ton :

— Moi, je suis protégé.

Alors, ôtant sa pipe de sa bouche, il a été chercher du bout des doigts sous sa chemise un lacet noir de crasse qui lui pend autour du cou ; il a fait venir à lui une espèce de petit sac ; il a dit :

— C’est là-dedans. C’est un papier.

Il a dit :

— Avec ça, on ne risque rien. Car ils ne sont pas tous revenus de là-haut, l’autre fois… Mais, à présent, j’ai le papier…

Le Président s’est mis à rire :

— Alors, puisque vous avez le papier…

Et, dès le lendemain, tout se trouva être arrangé, car les Crittin, oncle et neveu, ça faisait deux, et Joseph trois, et Ernest le boûbe, quatre, et le vieux Barthélemy, cinq ; alors s’était présenté encore le nommé Romain Reynier, un grand garçon de dix-huit ans, qui voulait bien venir aussi, — ce qui faisait six ; il ne restait donc qu’une place, celle pour laquelle Clou s’était offert ; et la question qui se posa de nouveau au Président fut de savoir s’il l’engagerait, ce qu’il aurait bien voulu ne pas faire, mais il se disait : « Si on ne le prend pas, il va nous le faire payer cher, c’est dans ses habitudes… »

Le Président finit par se dire : « Mieux vaut encore qu’il soit là-haut qu’ici, parce que pour le reste ils seront là-haut tout ce qu’il y a de plus sûr, et ils arriveront bien à le faire tenir tranquille »

Il annonça donc à Clou qu’on l’engageait.

Clou alla tout de suite à l’auberge se commander trois décis de goutte ; et se mit à boire, buvant à crédit sur la somme qu’il devait retirer à la fin de la saison.

Il se tenait dans un coin de la salle à boire devant sa petite chopine en verre blanc, le verre plus petit que ne sont les verres à vin, et où il y avait une couleur blanche, non la belle jaune des honnêtes gens.

Il regardait par la fenêtre passer le monde, s’étant installé là bien avant le moment de la journée où on vient boire, de sorte qu’il a été tout seul des heures dans son coin, mais occupé à regarder et ayant eu soin de mettre son bon œil du côté des carreaux.

Il fumait sa pipe.

De temps en temps, il tapait sur la table avec sa chopine qui était vide.

La grosse Apolline venait.

Il disait : « Encore un, » à la grosse Apolline…

Il disait à la grosse Apolline :

— Comment vas-tu, toi ? tu vas bien ?

Il n’y avait guère besoin de le lui demander ; un simple coup d’œil aurait suffi ; seulement c’était une manière d’engager la conversation.

En effet, on a entendu la grosse Apolline qui disait à Clou :

— Est-ce qu’il est déjà venu vers vous avec son papier ?

— Qui ça ?

— Barthélemy.

— Non.

— Alors vous ne savez pas ?

— Non

— Parce que pour aller là-haut, il faut un papier, à ce qu’il a dit. C’est un papier à Saint-Maurice, à ce qu’il a dit. On écrit des choses dessus et puis on va le tremper à Saint-Maurice-du-Lac dans le bénitier. Et puis on le coud dans un sachet et puis on se pend le sachet autour du cou…

Clou a dit :

— Oh ! moi, je n’ai pas besoin de papier.

C’était une grosse fille un peu simple ; elle a dit :

— C’est bien ce que prétend aussi Joseph, et c’est que ce Romain prétend : et les Crittin se sont moqués de Barthélemy quand il leur a raconté son histoire ; mais, moi, je ne sais pas trop qu’en penser…

— Crois comme eux et crois comme moi, a dit Clou…

En même temps qu’il fermait encore plus son œil fermé, de manière à pouvoir ouvrir l’autre tout à fait, levant vers Apolline une moitié de figure petite et une autre moitié plus grande, au-dessus d’une moustache plus courte d’un côté ; reprenant :

— Nous, on est philosophe… Sais-tu-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’on sait faire, mais garde ça pour toi.

Puis, tout à coup, il s’est tu, parce qu’on entrait.

L’angélus du soir s’était mis à sonner, interrompant le bruit des bancs qu’on déplaçait, tandis que les trois hommes qui venaient d’entrer avaient ôté leurs chapeaux, tournant le dos à Clou, en sorte qu’on n’a pas pu voir si Clou ôtait le sien, ou non.

Il y eut toute la sonnerie, puis les trois coups ; après quoi, le bruit des bancs a repris.

Et partout, dans le village, de l’autre côté des carreaux, les bruits avaient repris de même ; puis on a vu les trois hommes s’approcher de Clou : c’était justement le Président accompagné des deux Crittin.

La montée devait avoir lieu le surlendemain 25 juin, jour de Saint-Jean-Baptiste ; et le Président aurait aimé qu’elle eût lieu à la vieille mode, c’est-à-dire qu’elle fût l’occasion d’une grande fête, comme c’est la coutume depuis toujours, dans le pays. Sur ce point, le village se trouvait assez partagé. Beaucoup de gens disaient : « Attendons de voir… On pourra toujours en faire une vraie l’année prochaine, si tout va bien cette année-ci ; » mais le Président tenait à son idée. Depuis plusieurs jours, il intriguait auprès du monde, payant à boire à ceux dont l’opinion comptait ; et, ce soir-là encore, il avait donné rendez-vous à plusieurs personnes, jugeant que l’appui des Crittin ferait de l’effet sur elles. Depuis plusieurs jours, le Président passait son temps à recommencer du matin au soir ses mêmes discours, malgré l’avis des vieux et celui de Barthélemy qui devait pourtant être renseigné et qui disait : « Il ne faudrait pas être trop nombreux, ni faire trop de bruit cette fois-ci ; » le Président haussait les épaules. Il disait : « Oh ! vous, on vous connaît. C’est comme votre papier !… » Ce qui le faisait rire. À la suite de quoi, il reprenait ses arguments, faisant valoir les frais que la commune avait eu à supporter, le chalet complètement remis à neuf, le chemin lui-même refait, toute la peine qu’on avait prise ; que ce serait dommage alors, et que ce ne serait pas logique de ne pas fêter la montée ; et puis injuste quant aux Crittin (qui n’étaient pas encore là) et que ce serait leur faire un affront, alors que l’intérêt de tout le monde était de les recevoir le mieux possible, vu qu’ils avaient été arrangeants et qu’ils pourraient ne plus l’être autant l’année d’ensuite.

Il faisait rose. Il faisait rose dans le ciel du côté du couchant. Quand on était au pied de l’église, on voyait que sa croix de fer était noire dans ce rose.

En haut du grand clocher de pierre, il y avait la croix de fer ; d’abord elle a été noire dans le rose, ce qui faisait qu’on la voyait très bien, puis elle s’est mise à descendre.

On voyait la croix descendre, à mesure qu’on montait ; on l’a vue venir contre les rochers, le long desquels elle glissait de haut en bas ; elle est venue, ensuite, se mettre devant les forêts, noires comme elle, et elle n’a plus été vue.

Ils étaient de nouveau les deux ; ils s’étaient assis encore une fois dans la haie. Les petites limaces rouges ou noires sortent de leurs cachettes pour aller dans l’herbe qui se mouille, il disait :

— Il faut que je dise merci, Victorine, tu as été bien gentille ; je te ferai un petit cadeau.

— Je te ferai un petit cadeau de plus, disait-il ; et puis je descendrai une fois, toi, tu monteras une fois ; on coupera ces trois mois en morceaux, ils seront plus vite passés.

Il y a eu beaucoup de monde, ce soir-là, dans la salle à boire ; — et Joseph parlait beaucoup ce soir-là :

— Et puis, après-demain, c’est entendu que tu viens avec nous, et qu’on fera la montée ensemble. Quelle robe mettras-tu ?

Elle avait été triste jusqu’à ce moment ; elle a été toute changée.

Elle a dit :

— Laquelle aimes-tu le mieux ?

C’est ainsi qu’elles sont ; elle disait :

— Veux-tu que je mette la bleue ?

— Oh ! oui, la bleue. Avec le petit fichu rose et vert…

Elle a dit :

— Comme tu voudras.

— Et puis le chapeau que je t’ai donné, avec la chaînette et la croix.

Elle a dit :

— Alors, écoute, c’est moi qui ferai les couronnes pour vos deux bêtes et pour les nôtres ; à quelle heure est-ce qu’on part ?…

Puis :

— Seulement, tu me promets que tu descendras une fois.

Puis :

— Combien est-ce que tu auras de dimanches à toi ?

Il répondait.

Et elle :

— J’irai cueillir des fleurs, je les mettrai tremper pour empêcher qu’elles se fanent ; malheureusement, il n’y en a pas encore beaucoup dans le jardin, il faudra que j’aille en chercher dans les près.

Il disait : « J’irai avec toi. »

— Et le mieux, c’est de faire les couronnes d’abord et de les mettre tremper une fois faites… La grande soupière à fleurs : crois-tu que ça ira ?…

Les cloches sonnèrent de très bonne heure pour la messe où ils ont été ensemble, elle et lui, puis ils ont été chercher les couronnes avec de la ficelle. Le Président avait fini par avoir le dessus dans l’opinion des gens qui avaient presque tous décidé de venir. Les filles font des couronnes qu’on attache autour des cornes des vaches et Victorine, pour sa part, en avait fait quatre, les plus belles, avec des fleurs des près et les premières fleurs des jardins.

Il faisait très beau, ce qui était bon signe.

Le soleil était venu de très bonne heure, malgré la hauteur des montagnes autour de nous ; c’est qu’on était dans les plus longs jours de l’année.

Il a fait très beau, il faisait du soleil, il y avait trois mulets.

Il y avait les septante bêtes du troupeau, de jeunes bêtes pour la plupart. Il y avait Crittin et son neveu, qui allaient en tête.

Crittin avait une hotte, son neveu aussi, et le premier mulet balançait sur son bât une espèce de tour faite de toute sorte d’ustensiles en bois.

Les vaches avaient des fleurs autour des cornes ; les hommes avaient leurs habits du dimanche, les filles leurs plus belles robes avec des fichus de soie de toutes couleurs tombant en pointe dans le dos.

À côté du premier mulet, marchait Romain ; puis venait le troupeau par groupes de deux ou trois bêtes ; et il faisait clair et beau sur leurs robes tachetées, noires, noires et blanches, brunes, rousses ; tandis que les hommes marchaient sur les bords du chemin.

Les garçons étaient avec les filles ; le deuxième mulet venait ensuite : c’était Barthélemy qui le menait.

Ce deuxième mulet avait sur le dos toute une charge de couvertures et de paillasses, avec un sac de sel pour la léchée, outre quoi il portait une petite fille qu’on avait assise entre les paillasses et le sac, sur lequel pendaient ses bas en grosse laine grenat et ses souliers à bout de laiton.

Il a fait beau et clair, même il faisait déjà presque chaud, malgré qu’à ces hauteurs les matinées ordinairement soient assez fraîches. Les premières mouches passaient à vos oreilles, comme quand on souffle dans une trompette. Il a fait beau, il a fait bon ; chaque bête avait sa cloche ou son gros grelot de fer battu. Après elles, venait le troisième mulet, portant, lui, les provisions, c’est-à-dire du fromage, de la viande séchée et du pain pour trois semaines ; c’était Joseph qui était avec le troisième mulet, et avec Joseph était Victorine. Ils se trouvèrent fermer la marche, parce que Joseph avait dit : « On sera plus tranquilles, » puis il a dit : « Monte seulement dessus, il est solide. » C’était un gros mulet rouge de quatre ans. Et elle : « Sais-tu combien je pèse ? » — « Ça ne fait rien, monte toujours… »

Elle était montée sur le mulet ; ensuite ils avaient laissé un petit espace venir se mettre entre la colonne et eux ; il y avait donc, après le troupeau, un bout de chemin sans personne, puis eux venaient, fermant la marche avec le gros mulet rouge. Le troupeau venait d’entrer dans la forêt. Là, peu à peu, les bêtes et les gens s’étaient mis les uns derrière les autres, ce qui faisait une longue file entre les troncs des sapins, de ce côté-ci des barrières. Le torrent avait recommencé à faire entendre son bruit. On est arrivé à des endroits où on aurait dit que les vaches avaient au cou des cloches sans battant, tandis que d’autre part elles avaient beaucoup ralenti leur allure. Le maître qui allait en tête avait ralenti le premier, réglant ainsi le pas de tout le monde. On ne pouvait même plus être deux de front ; alors les garçons allaient devant, tendant la main aux filles pour les aider à passer par-dessus une grosse pierre, ou bien à franchir un de ces ressauts de roc qui font comme des marches en travers du chemin. Et il y avait toujours, un peu plus en arrière, Joseph et Victorine : elle était à présent descendue du mulet, mais elle profitait du mulet tout de même, parce que Joseph le tenait par la queue et de son autre main il tenait Victorine. C’était une paresseuse, et puis le chemin est un long chemin.

Ils ont fait tout ce long chemin, ce long chemin de la montagne ; d’abord, dans l’herbe pleine de fleurs de tout côté par grosses taches, puis entre les sapins, sur le tapis des aiguilles tout taché lui aussi de taches rondes et brodé d’or ; — les prés, la forêt, le soleil, le soleil et l’ombre ; puis la grande gorge et puis plus rien que l’ombre ; puis la rocaille qui commence, les éboulis, alors le soleil de nouveau ; — et là-haut on a vu leur longue file, qui était devenue toute petite, aller en travers de l’immense pente grise, semblant à peine bouger ; qu’on quitte de l’œil pour la retrouver, un grand moment plus tard, on dirait à la même place, mais continue à avancer quand même : alors, quand on prêtait l’oreille, on entendait aussi un tout petit bruit comme celui d’un ruisseau dans sa rigole, ou bien comme quand un léger coup de vent rebrousse les feuilles de la haie, puis les laisse retomber…

Ce fut une jolie journée. Tous ceux qui étaient venus parmi les hommes furent d’accord pour trouver l’herbe de belle qualité. On a trouvé que le pâturage avait une riche apparence, ayant été d’ailleurs favorisé, cette année-là, par une force exceptionnelle de soleil qui lui convenait, vu que l’eau descendait partout des hautes parois dont il est entouré.

Il y avait de l’eau en suffisance : il y a eu du vin plus qu’en suffisance dans deux tonnelets qui avaient été apportés par le mulet aux provisions. D’abord, on s’était reposé, tout en mangeant et en buvant, tandis que tout de suite les vaches s’étaient mises à paître ; puis les hommes par groupes avaient été examiner les réparations dans la pièce où on fait le fromage, et dans celle où on couche ; puis dans la partie qui sert d’abri, en cas de mauvais temps, pour le troupeau ; ils avaient trouvé tout en place ; il n’y avait pas à dire, c’était de nouveau maintenant un bel et un bon chalet, tout ce qu’il y a de plus suffisant ; — ensuite quelques-uns d’entre eux avaient été faire un tour dans le pâturage, pendant qu’on déchargeait les mulets et on mettait en place les ustensiles.

Les garçons et les filles étaient assis par groupes dans l’herbe : on a bu encore, puis on a dansé.

On dansait, on allait boire entre les danses ; les garçons et les filles dansaient et buvaient, les hommes buvaient. Et eux aussi avaient bu et avaient dansé : Joseph et Victorine avaient dansé toutes les danses ensemble, longtemps, plus longtemps qu’il n’aurait fallu raisonnablement ; car on avait laissé descendre sans y prendre garde le gros soleil tout rond derrière la montagne et la petite aiguille des montres avait déjà dépassé cinq heures que personne n’avait songé encore à tirer la sienne de sa poche. C’est pourquoi il leur a fallu se dépêcher. Joseph avait accompagné Victorine jusqu’en haut des premiers lacets ; puis, là, il s’était assis, la suivant des yeux, tandis qu’elle se hâtait de descendre, se tournant vers lui à chaque contour.

Elle le cherchait, elle aussi, des yeux : lui les baissait chaque fois un peu plus ; elle, elle devait les lever un peu plus chaque fois.

Elle descendait, il restait assis, elle courait un bout de chemin ; elle s’arrêtait, elle se tournait vers lui, elle agitait son mouchoir.

Elle est devenue toujours plus petite, puis elle est arrivée à un endroit où le chemin recommence à aller à plat pour s’enfoncer un peu plus loin derrière un avancement de la pente ; là il l’a vue encore, puis il ne l’a plus vue.

Là, il l’a vue pour la dernière fois ; là, pour la dernière fois, elle s’était retournée ; après quoi, on n’a plus aperçu que la moitié d’en haut de son corps, puis ses épaules seulement ; puis seulement son bras et sa tête, avec une main qu’elle lève encore.

Et un petit point blanc marquait la place de sa main…

Maintenant, il avait beau regarder : il n’y avait plus rien là où elle s’était tenue. Comment est-ce qu’on peut comprendre ?

Il restait assis, il ne bougeait pas, il se demandait : « Où est-elle ? » c’était comme si elle avait été supprimée de la vie en même temps qu’elle l’était de sa vue.

Il n’a pas pu s’empêcher pourtant d’aller la chercher encore des yeux, il continuait d’aller la chercher au-dessous de lui ; mais ce qu’il a vu seulement, c’est que la nuit allait venir ; ce qu’il y avait seulement, où elle avait été, c’était une ligne grise sur le vide. Parce qu’elle n’est plus, rien n’est plus. Tout était vide, tout était désert, en même temps qu’il faisait froid et il faisait un grand silence.

Là-haut, quelques corneilles tournaient encore contre les parois avant de regagner les fissures du roc où elles nichent, et ont crié encore peut-être, mais avec des cris pas assez forts pour qu’ils pussent venir jusqu’ici, et venir à nous ; alors il n’y a plus eu que le bruit de l’eau qui ne compte pas ; il n’y a plus eu que le grand silence et que ce grand vide, où Joseph se lève parce qu’il avait froid.

Il marchait à grands pas ; il avait boutonné sa veste ; autour de lui, le pâturage se refermait rapidement. On voyait que les parois qui entouraient le pâturage étaient couvertes de taches noires.

Joseph ne pouvait pas s’empêcher de se retourner de temps en temps, puis il portait ses regards à ces parois. On n’entendait toujours rien, puis voilà qu’une pierre dégringole.

Et une pierre dégringole de nouveau ; c’était cette fois dans la direction du glacier ; alors Joseph, levant la tête, l’a eu tout entier en face de lui, qui était rose encore à son sommet, mais à ce moment même le rose s’est éteint.

Au moment où Joseph levait la tête, le rose s’est éteint sur le glacier, qui est devenu pâle dans toute sa longueur, en même temps qu’il semblait s’avancer et venir à votre rencontre.

Il parut venir à votre rencontre avec une couleur méchante, une vilaine couleur pâle et verte ; et Joseph n’avait plus osé regarder, il s’était mis à marcher plus vite encore en baissant la tête ; heureusement que bientôt la belle lumière jaune clair du feu brûlant sur le foyer s’est montrée en avant de lui dans l’ouverture de la porte ; et Joseph a tenu ses yeux fixés sur le feu sans plus les en détourner.