La guerre des dieux, poème en dix chants (éd, 1808)/05

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Chez Debray, Libraire, au Grand-Buffon (p. 91-113).

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CHANT CINQUIÈME.


De jolies Bacchantes séduisent et enivrent presque tous les Chrétiens employés au blocus. Dispute scientifique et scandaleuse. Impiété de S. Carpion. Une païenne reçoit de S. Guignolet les sept sacremens. Extravagances de nos bienheureux ; ils entrent dans l’Olympe.


Gens du bon ton, galans auprès des dames,
Et qui souvent surprenez leurs faveurs,
Dans vos discours insolens et moqueurs
Vous dénigrez, vous outragez les femmes.
Celles qu’amour jeta dans vos filets,
Que vous avez, ou que vous avez eues,
Celles aussi que vous n’aurez jamais,
Celles encore qui vous sont inconnues,
Toutes enfin à vos malins propos
Servent de texte, ou véritable ou faux.

Hommes ingrats ! forts de vos priviléges,
Pour triompher de leur faible raison,
Vous osez tout ; de la séduction
Devant leurs pas vous semez tous les piéges ;
Les soins adroits, les transports renaissans,
Et la louange et la gaîté folâtre,
Et les soupirs plus doux et plus touchans,
Rien n’est omis ; elles ont à combattre
Tout à la fois vous, leur cœur, et leurs sens :
Et votre bouche accuse leur faiblesse !
Et sans profit, souillant votre bonheur,
Méchans et vils, à leurs tendres caresses
Vous imprimez le sceau du déshonneur !
Lâches ingrats ! corrigeant son ouvrage,
Si la nature à ce sexe charmant
Voulait donner votre force en partage,
On vous verrait changer timidement,
Non pas d’esprit, mais au moins de langage.
Que le mépris soit votre châtiment ;
Il vous est dû : certains que la vengeance
Ne suivra pas une facile offense,
Vous outragez ce sexe désarmé,

Flatté toujours, et toujours opprimé.
Par ses refus du moins qu’il vous punisse.
Pour vous, lecteur, aux femmes plus propice,
Sur leurs erreurs fermez vos yeux discrets,
Et de l’amour respectez les secrets.
L’on est souvent méchant par jalousie,
Vous le savez : n’imitez pas les Saints,
Qui sur la belle et sensible Marie
Se permettaient quelques propos malins.
Du paradis tandis que le parterre,
En médisant, égayait l’Angelus,
Plus loin nos Saints employés au blocus,
Riaient aussi, mais d’une autre manière.
De ces remparts, que leurs yeux observaient,
Subitement une porte s’entrouvre :
On s’arme, on tremble, on regarde, on découvre
Un faible enfant que des femmes suivaient.
C’était l’Amour conduisant des Bacchantes ;
C’était un piége à nos héros tendu.
Par leur beauté ces prêtresses galantes
Peuvent d’un ange ébranler la vertu.
Nos gens alors reprennent leur courage,

Serrent les rangs, et marchent à grand pas
Sur l’ennemi qui ne s’enfuyait pas,
Et qui gaîment poursuivait son voyage.
« Ces femmes-là n’ont pas peur, et font bien,
Dit l’ange Esral ; j’aime assez les déesses. »
Saint Jean répond : « Leur habit, leur maintien,
Ne semblent pas annoncer des princesses.
— Reconnais-tu ce que porte leurs mains ?
— Un léger thyrse et d’excellens raisins.
Ce sont, je crois, de jeunes vivandières ;
À nous combattre elles ne songent guères.


Les Bacchantes dans le camp des Saints.


— La peau d’un tigre enveloppe à demi
Leurs corps d’albâtre : et conviens, mon ami,
Que leur beauté vaut bien les frais d’un siége.
Quel air fripon ! de pampres couronnés,
Leurs cheveux noirs, aux vents abandonnés,
Font ressortir leurs épaules de neige.
Leurs jeunes mains caressent tour-à-tour
Ce bel enfant, qui sans doute est l’Amour.
— Serait-ce là le fils de Cythérée ?
Non ; voilà bien ses ailes, son flambeau ;
Mais je ne vois ni carquois ni bandeau.

Remarques-tu cette marche assurée,
Ces pieds de bouc, ce regard indécent ?
Il a tout l’air d’un Satyre naissant.
— Satyre ou non, partout il saura plaire ;
De l’autre Amour c’est sans doute le frère. »
À l’ignorant qui juge avec rigueur,
Cet entretien doit paraître un peu leste ;
Mais dans les camps cherche-t-on la pudeur ?
L’oisiveté, l’exemple si funeste,
À la licence y disposent le cœur :
On n’y croit pas à la valeur modeste ;
L’oreille y veut de graveleux discours,
Des mots hardis ; et l’homme le plus sage,
Sans le vouloir, y prend en peu de jours
D’un grenadier les mœurs et le langage.
Il te sied bien, vain et chétif mortel,
De critiquer ce que l’on dit au ciel !
Esral approche, et fortement il crie :
« Halte-là ! — Soit, lui répond Agérie.
— Où courez-vous si gaîment ? et pourquoi
Porter ici votre pied téméraire ?
— Le sage dit : On n’est bien que chez soi.

Quittant du ciel la demeure étrangère,
Nous retournons sagement sur la terre.
— Je vous en crois ; mais l’on ne passe pas.
J’en suis fâché pour vos jeunes appas.
— Beau général, votre bouche est sévère ;
Heureusement vos regards sont plus doux.
Vous nous prenez pour femmes d’importance,
Vous vous trompez : grisettes comme nous
Peuvent passer, et sont sans conséquence.
— Mais vous portez des vivres à vos dieux,
C’est aux chrétiens un dommage, une injure.
— Non, ces fruits-là sont pour nous, je vous jure
On se nourrit autrement dans les cieux.
— Elle a raison. Quoi ! ces grappes vermeilles
Ne tentent point vos maîtres dédaigneux ?
— Jamais Noé n’en cueillit de pareilles,
N’est-il pas vrai ? — Je le crois. — Faites mieux,
Goûtez. — Oh ! non. — Goûtez-en, je le veux.
À vos soldats mes compagnes honnêtes
Ont présenté leur déjeûner frugal ;
Faites comme eux, aimable général.
— Eh bien, donnez, friponne que vous êtes.

— Je reconnais cette insigne faveur.
— De ces raisins exquise est la saveur.
J’ai voyagé quelquefois en Syrie :
Du bon Noé je daignais visiter
L’humble cabane et la treille chérie ;
Chez Abraham j’aimais à m’arrêter ;
Loth m’ébergea dans la ville coupable
Dont le nom seul outrage la beauté :
Vous concevez comme j’étais fêté !
Des fruits choisis pour moi couvraient leur table.
J’ai touché même à ces fameux raisins
Que rapportaient de la terre promise
Les éclaireurs envoyés par Moïse :
Ils étaient bons ; les vôtres sont divins. »
Tous déjeunaient avec pleine assurance.
Trop confians, aucun n’a soupçonné
De ces doux fruits la magique puissance ;
Ils enivraient. Déjà l’ange étonné
Dans son cerveau cherche en vain sa prudence ;
Il y trouvait le trouble et la gaîté.
Il se console, et croit gagner au change.
Des étourdis qui l’avaient imité

Plus vîte encore la tête se dérange.
Au milieu d’eux, de ses hardis projets
L’Amour malin contemplait le succès.
À nos soldats, que charmait sa figure,
Il avait fait d’adroites questions ;
Du bon Priape et de ses champions
Par nous il sut la bizarre aventure :
Il se vengeait, et nous le bénissions.
Voyez un peu ces galantes prêtresses
Aux yeux lascifs, aux perfides caresses.
À nos guerriers tendre de jolis bras,
De pampres verts orner leurs cheveux plats,
Et leur presser des raisins sur la bouche.
Aux coups légers du thyrse qui les touche,
De leur bon sens le reste a disparu.
Dieu ! quels propos alors se font entendre !
Chacun déjà d’une belle est pourvu,
Et dit Amen. Les Saints ont le vin tendre.
De nos guerriers cependant quelques-uns,
Toujours grondeurs et toujours importuns,
Vieux impuissans, qui jamais n’ont su rire,
Et que l’amour dédaigna de séduire,

De ces péchés spectateurs envieux,
Criaient, tonnaient, et prêchaient de leur mieux.

MOÏSE.

Comment, chrétiens, ici ! dans le ciel même !
On punira cette insolence extrême ;
Dieu saura tout, il est le Dieu vengeur.

SAINT BLAISE.

Oui, faux élus, l’enfer va vous reprendre.

MOÏSE.

Ils font les sourds ; quel excès d’impudeur !

SAINT BLAISE.

Oubliez-vous que votre créateur
Par un seul mot au néant peut vous rendre ?

L’ANGE ESRAL.

Mon créateur ? Votre Dieu ne l’est point.

SAINT BLAISE.

Vous blasphémez.

L’ANGE ESRAL.

Vous blasphémez.Les nations antiques
Ont reconnu des esprits angéliques.
Le monde entier fut d’accord sur ce point.
Juifs et chrétiens, venus après les autres,

Nous ont trouvés tout faits : soyez des nôtres,
Nous dirent-ils, et peuplez notre ciel.
Très-volontiers, répondit Gabriel ;
Et pour nous tous il portait la parole.
Tais-toi donc, Blaise, et retourne à l’école,

SAINT GUIGNOLET, à Moïse.

Quoi ! vous pillez Mages, Phéniciens,
Brachmanes, Grecs, Perses, et Chaldéens ;
Lépreux et nus, encroûtés d’ignorance,
Du Nil au Gange on vit votre indigence
Quêter, voler, au hasard ramasser
De vieux haillons, les recoudre en Syrie,
Sur votre corps sans goût les entasser ;
Et puis, tout fiers de cette friperie,
Pour créateurs vous voudriez passer ?

SAINT CARPION, à Moïse.

Ton beau serpent, natif de Phénicie,
D’un autre Éden franchissant le fossé,
Attaqua l’homme et s’en vit repoussé.

MOÏSE.

Chicane ! Allons, ma pomme est plus jolie,


SAINT CARPION.

Soit ; mais déjà la curiosité,
Bien avant Ève, avait séduit Pandore.
Ce trait charmant, ta plume l’a gâté.

SAINT BLAISE.

Quel baragouin !

SAINT GUIGNOLET.

Quel baragouin !Et du déluge encore
Oseras-tu t’attribuer l’honneur ?

MOÏSE.

Je l’oserai, car j’en suis l’inventeur.

SAINT GUIGNOLET.

Deucalion, Ogygès…

MOÏSE.

Deucalion, Ogygès…Ô prodige !
Saint Guignolet savant !

SAINT BLAISE.

Saint Guignolet savant !Il a trop bu.

MOÏSE.

Carpion, parle !

SAINT BLAISE.

Carpion, parle !Il a trop bu, te dis-je.


MOÏSE.

De ces raisins quelle est donc la vertu ?

SAINT CAUTION.

Au grand Bacchus, rend sa baguette antique,
Sa double corne, et son pouvoir magique.

MOÏSE.

Si j’ai volé, ce fut sans y penser.

SAINT GUIGNOLET.

Au moins, mon cher, il faut t’en confesser.

SAINT CARPION.

Votre Samson, si gros, si ridicule,
Ressemble en laid au vigoureux Hercule,
Par une femme ils sont trahis tous deux.

SAINT GUIGNOLET.

Jephté, son vœu, sa fille infortunée,
Rappellent trop le Grec Idoménée.

MOÏSE.

Vous tairez-vous, raisonneurs malheureux ?

SAINT CARPION.

De Josué vantez moins l’harmonie,
C’est d’Amphion la plate parodie,

Par ses accords Amphion bâtissait :
En détonnant Josué renversait.

MOÏSE.

Des nouveaux Saints voilà bien l’injustice !
Des pauvres Juifs ils se moquent toujours.
Que feriez-vous pourtant sans leur secours ?
Ôtez la base, adieu tout l’édifice.
Le Christ est Juif, et Juive la beauté
Que l’Esprit Saint…

SAINT GUIGNOLET.

Que l’Esprit Saint…Bah ! bah ! la Trinité !
Du nombre trois j’ignore la puissance ;
Mais de tout tems il eut la préférence.
Bien avant nous le Gange proclama
Vistnou, Schiven, et leur aîné Brama.

MOÏSE.

La Trinité serait donc Indienne ?

SAINT GUIGNOLET.

Jadis l’Égypte avait aussi la sienne,
Isis, Horus, et le père Osiris.
On la retrouve en de lointains pays.
Nous combattons la Trinité païenne,

De cet Olympe antique souveraine.
Mais lis Platon, et tu reconnaîtras
Le germe obscur de la triple personne
Que pour du neuf aujourd’hui l’on nous donne.

SAINT CARPION.

Il a raison : in vino veritas.

SAINT BLAISE.

Du grec !

MOÏSE.

Du grec !Eh non ! du latin.

SAINT BLAISE.

Du grec ! Eh non ! du latin.C’est tout comme.
Voyez l’ivresse ! il était si bon homme !
Ah çà, messieurs, croyez-vous à Jésus ?

SAINT CARPION.

La question, mon cher, est délicate,
Et distinguo. Je crois à ses vertus,
À sa morale encore, et rien de plus.
J’admire aussi Zoroastre, Socrate,
Confucius, tous les sages enfin
Qu’il traduisit, et que l’on damne en vain.


SAINT GUIGNOLET.

Mais à quoi bon transmuer une eau claire
En vin fumeux, pour les gens déjà gris ?
Pourquoi gâter Philémon et Baucis ?
Mal copier vous est chose ordinaire.

MOÏSE.

Eh quoi ! tu ris de cette impiété,
Saint Jean ?

SAINT JEAN.

Saint Jean ?Un peu.

MOÏSE.

Saint Jean ? Un peu.Ciel ! un évangéliste ?

SAINT JEAN.

À ton avis, je suis donc un copiste ?

MOÏSE.

Mais ce miracle est par toi raconté.

SAINT JEAN.

Par moi ?

MOÏSE.

Par moi ?Sans doute.

SAINT JEAN.

Par moi ? Sans doute.Apprenez, imbéciles,

Qu’au siècle deux on fit ces évangiles,
Selon saint Marc, saint Luc, et saint Mathieu,
Qui tout au plus savaient leur croix de Dieu,
Selon moi-même et selon Beaucoup d’autres.
On fit aussi ces Actes des Apôtres,
Qui ne sont point des actes de raison.
N’allez donc pas crucifier mon nom
Sur ces recueils de sottises grossières,
Et laissez-moi ; j’ai bien d’autres affaires.

MOÏSE.

Ô, mon ami, reviens à toi, partons.
Ne touche plus ces profanes tetons.
Ils sont maudits.

SAINT JEAN.

Ils sont maudits.Que le diable t’emporte.

SAINT BLAISE.

C’est trop parler, Moïse, il faut agir.
Au paradis allons chercher main-forte.

MOÏSE.

Allons, cher Blaise.

TOUS LES SAINTS.

Allons, cher Blaise.Allez, bien du plaisir.

Débarrassés de Moïse et de Blaise,
Nos gens enfin savouraient à leur aise
Des voluptés le poison dangereux,
Et s’en donnaient comme des bienheureux.
Le Carpion, muni d’une bacchante,
Et la flattant d’une voix tremblotante ;
Disait : « Je dois, charmante Théoné,
T’offrir aussi mon frugal déjeûné. »
Elle sourit, et sa lèvre jolie
Dévotement reçoit la blanche hostie.
Mais que dit-elle à ce repas nouveau ?
— « Ce pain est fade. — Eh non, c’est de l’agneau.
Nous autres Saints, nous vivons de mystères ;
Bois, maintenant ; et n’en crois pas tes yeux,
Car ce vin-là… — Le Falerne vaut mieux.
— C’est cependant un Dieu que tu digères.
— Quel conte ! — Un Dieu réel et bien vivant.
Mais ne crains rien : quoique très-succulent,
Il est léger ; aux malades il passe.
— Me voilà Sainte ! — Et Sainte je t’embrasse.
Mons Guignolet s’y prenait autrement ;
Car des pécheurs diverse est la manière.

Avec Aglaure il ose indécemment
Parodier tout ce que l’on révère.
Sur l’occiput il lui presse le jus
De ce raisin qui porte à la luxure,
Puis d’une croix y trace la figure,
Et dis ces mots : « Au nom du grand Bacchus,
Et de l’Amour et de Vénus encore,
Je te baptise, et je te nomme Aglaure. »
Avec deux doigts unis dévotement,
Sa ronde joue il frappe faiblement.
Que fais-tu donc, dit en riant la belle ?
— Je te confirme ; et ma voix te rappelle
Tes vrais devoirs, si simples et si doux.
Trois mots sacrés les renfermeront tous ;
Sur ces trois mots ton culte entier repose ;
Le pampre vert, et le myrte, et la rose.
Au mariage il nous faut procéder.
Je suis ensemble et l’époux et le prêtre.
Que tes beaux yeux n’osent me regarder ;
Prends l’air timide, et tâche de paraître
Ce qu’à coup sûr tu ne voudrais pas être,
Vierge. — Est-ce bien ? — Pas trop mal. Donne-moi

Cette main blanche, en signe de ta foi.
Je nous unis d’une chaîne invisible,
Conjungo nos. Croissons pour le bonheur,
Croissons en grace, en desir, en vigueur ;
Ne décroissons jamais, s’il est possible ;
Multiplions, et Dieu nous bénira.
Or maintenant, mon épouse nouvelle,
Jure avec moi d’être toujours fidelle.
— J’en fais serment, le tiendra qui pourra.
Brava ! Brava ! Mais de la pénitence
Le sacrement est nécessaire aussi.
De tes plaisirs confesse la licence ;
Ne cache rien ; l’on ne ment point ici.
— Tous mes péchés sont péchés de jeunesse,
Et vous pouvez en deviner l’espèce.
Devinez-vous ? — Très-bien ; toujours Vénus.
Combien de fois ? — Oh ! je n’en compte plus.
— Compte à-peu-près. — Dix mille. — Tu te vantes ;
Mais d’un seul mot je peux tout effacer :
Absolvo te. De ces fautes charmantes
La penitence est de recommencer. »
Les mains alors il étend sur ses charmes…

Saint Guignolet, le tocsin sonne, aux armes !
Vaine semonce ! il est sourd au tocsin,
Et dit tout haut : « De l’Amour libertin
Et de Bacchus je t’ordonne prêtresse.
De leurs autels fais prospérer la messe ;
Prêche en leur nom ; mais point de longs discours ;
Prêche d’exemple, et prêche tous les jours. »
Vous le savez, frères, chaste est ma lyre ;
Le Saint-Esprit qui me souffle et m’inspire,
Me presse en vain ; je n’ose peindre tout.
Ô Guignolet ! vous n’étiez pas debout.
Mais il soupire, et sa voix affaiblie
Laisse échapper quelques mots languissans :
« Ceci, ma chère, est mon ame et ma vie. »
Aglaure ensuite, en reprenant ses sens,
Répond tout bas : J’aime l’eucharistie.
Pour elle encore Guignolet officie,
Et de baisers fortement appuyés
Couvre son front, et ses mains et ses pieds,
Les pieds sur-tout ; ô parodiste impie !
« Que fais-tu là ? — C’est l’extrême-onction.
Tu dois bientôt descendre sur la terre,

Et, sous l’abri des treilles de Cythère,
Tu vas remplir ta douce mission :
Aux voyageurs cette onction est bonne ;
Reçois-la donc, et pars ; adieu friponne. »


St. Guignolet donnant l’Eucharistie.


Viennent alors les autres bienheureux
Que soutenaient leurs malignes compagnes.
Ces renégats, l’ivresse dans les yeux,
Le pampre en main, chancelans et joyeux,
Allaient courant les célestes campagnes.
Aux sons flûtés des féminines voix,
En rond l’on danse, on se heurte, on se presse,
On rit, on jure, on bronche, on se redresse ;
Et ces couplets sont répétés vingt fois :
« Ma Trinité, c’est la bouche de rose,
Le sein de lis, puis encore autre chose.
On l’aime au ciel, on l’aime et in terris ;
On la conçoit, on la voit, on la touche.
Vive le sein, autre chose, et la bouche !
Vive l’amour ! Amen, io Cypris ! »
« L’heureux Bacchus avait une baguette ;
Et par Moïse elle fut contrefaite.
À l’ancienne il faut croire. Et perche ?

C’était de l’eau que donnait la dernière ;
C’était du vin que versait la première.
Vive la treille ! Amen, io Bacche ! »
Survient Neptune, et sa voix magistrale
A suspendu la sainte bacchanale.
« Du paradis s’avance un corps nombreux ;
Il vient à nous ; rentrez, mesdemoiselles.
Et vous, messieurs, vous fuirez avec elles,
Si de l’enfer vous redoutez les feux. »
Gens comme nous ne prennent pas la fuite,
S’écrie Esral. Et nous les attendrons,
Poursuit saint Jean. Et nous les combattrons,
Dit Guignolet. Et nous les rosserons,
Dit Carpion, qui vainement s’agite
Pour échapper à quatre jolis bras
Dont les efforts l’arrachent aux combats.
De ces héros la valeur on enchaîne ;
Par leur jaquette, en riant, on les traîne.
Ils résistaient : de nouveaux bataillons
Leurs poings fermés défiaient le courage.
Bronchant toujours, et toujours fanfarons,
Par des hoquets coupant les faibles sons

De leur voix rauque, ils parlent de carnage
Et dans l’Olympe entrent à reculons.
On les conduit sous de vastes portiques.
Trop fatigués de leurs farces bachiques,
Tous à-la-fois s’étendent sur le dos ;
Point d’Angelus, de vêpres ni d’office ;
Et le sommeil, aux ivrognes propice,
Charge leurs yeux de ses plus lourds pavots.


FIN DU CINQUIÈME CHANT.