La moisson nouvelle/18

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Bibliothèque de l’Action française (p. 77-78).


L’ARTISTE

« J’ai chanté dans le noir.

Ma chanson s’éleva dans l’ombre, et la première.

C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière ! »"
Edmond Rostand




Seul, dans l’humble foyer d’où ton rêve s’envole,
Loin de ces lieux secrets où l’on pille, où l’on vole,
Sur des feuillets jaunis tu demeures penché,
Dans l’âpre acharnement du travail ébauché.
Tandis que l’argent luit dans les mains de la pègre,
Tu songes, tu pâlis, sans feu, sans pain, intègre,
N’ayant pour tout trésor que le rayonnement
De ta noble pensée et de ton saint tourment !


De ton œil obstiné tu mesures les nues,
Tu guettes dans les cieux les lueurs inconnues,
Les éclairs, les rayons, tous les scintillements
Que Dieu pour nous charmer allume aux firmaments.
Tu modèles ton œuvre ainsi qu’une statue,
Et tu peines encor quand la foule s’est tue ;
Ouvrier du divin, tu martèles le jour,
Tu fouilles l’éternel avec des yeux d’amour !
Tandis que la crapule à ses plaisirs se rue.
Que les honteux trafics envahissent la rue,
Que le maître du vice, infâme moissonneur,
Étale l’immondice et vend le déshonneur,
Tandis que l’ombre rampe entre les rideaux rouges,
Que des gardes de paix vont danser dans les bouges,
Tandis que des regards impurs troublent la nuit,
Que le rire infernal dans l’antre resplendit,
Que l’obscure araignée en la nuit fait ses toiles,
Dans ton âme tu vois se lever des étoiles !…