La moisson nouvelle/33

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Bibliothèque de l’Action française (p. 145-148).


ARBRES DES GRÈVES




Arbres des grèves, pauvres êtres que la brise
Torture, et qu’un cruel destin retient captifs,
Arbres emprisonnés qu’aiguillonne et que brise
Le sel des ouragans, dans l’ombre des récifs.

Quand le printemps revient sur votre écorce sombre
Plaquer son vermillon et son ocre qui luit,
Qui croirait que parfois, ô beaux géants de l’ombre,
Un muet désespoir vous étreint dans la nuit ?


Car à voir s’en aller les goélettes blanches
Et la mouette que le jour fait resplendir
Voilà que vous rêvez d’espace, et que vos branches
Palpitent comme une aile et tremblent de s’enfuir !

Oh ! ce firmament bleu tout frissonnant d’étoiles !
Oh ! ces lacs azurés où le soleil vient choir !
Ah ! devenir soudain des mâts chargés de voiles,
Et partir, radieux, dans la beauté du soir !…

Être le gai vaisseau dont la voilure tremble,
Blanche sous le reflet d’un nuage tout blanc !
Etre l’humble radeau fait de pin et de tremble !
Etre l’aigle splendide, être le goéland !…


Abandonner enfin cette vie immobile,
Ces galets, ces récifs, ces rochers ennemis !
Voguer de cap en cap, louvoyer d’île en île,
S’en aller doucement sur les flots endormis !…

Mais c’est en vain. Rivés au sol héréditaire,
C’est en vain que vos bras se tordent, douloureux ;
Impuissants à briser les chaînes de la terre,
Vous retombez, vaincus, sur le roc ténébreux !…


II




Mon esprit, comme vous, beaux arbres de la rive.
Souvent aussi voudrait, libre enfin, s’élancer,
Se soustraire au limon dont toute âme est captive,
Et fuir comme l’oiseau craintif qu’on voit passer !


Ah ! s’arracher enfin du monde misérable !
Sur des ailes d’azur, des flots d’immensité,
Monter jusqu’à se perdre en ce gouffre adorable,
Et découvrir enfin un peu d’éternité !…

Mais non ! Il n’atteint pas les célestes domaines.
Il s’élance, bondit, vole, mais c’est en vain.
Mon esprit, retenu par les forces humaines,
Retombe anéanti dans son rêve divin !