La moisson nouvelle/35

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Bibliothèque de l’Action française (p. 153-155).


JETTE TON FILET




Il fait nuit. La mer est très belle,
Le vent chante sur les galets.
Jamais ta voile n’est rebelle :
Pêcheur, va jeter tes filets !
Et toi qui guettes sans relâche
Le mot, comme un rude pêcheur,
Viens reprendre encore ta tâche :
Jette ton filet, pauvre cœur !…


La mer a des flammes en elle,
Et l’alouette à l’œil de feu
Met la virgule de son aile
Entre les lignes du ciel bleu.
Dans la nuit, belles et sublimes,
Les sirènes chantent en chœur,
Pour saisir les vers et les rimes
Jette ton filet, pauvre cœur !…

Va ! La nuit que cachent ces voiles
Est un abîme de beauté,
Va mon cœur, file à toutes voiles
Sur le flot de l’immensité !
À l’heure des claires trouvailles
Tu verras paraître, vainqueur,
Un beau poème dans tes mailles :
Jette ton filet, pauvre cœur !…


Mais peut-être aussi dans la brume
Verras-tu sombrer tes agrès,
Sous un triste vent d’amertume,
Sous la bourrasque des regrets,
Et tu reviendras de la grève
Lourd de détresse et de rancœur,
Courbé sous le poids de ton rêve ;
Jette ton filet, pauvre cœur !

Va toujours ! La beauté sereine,
Qui nous appelle en s’enfuyant,
Est une divine sirène
Qui sait enivrer de son chant.
Elle charme ceux qu’elle attire
Dans son baiser d’âcre douceur,
Et sa joie est un long martyre :
Jette ton filet, pauvre cœur !…