La mort fait le trottoir/09

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Éditions Document 47 (p. 191-208).

IX

— Mes compliments, mon vieux Masson ; pour une contre-épreuve elle est réussie.

— J’ai eu du mal ; le cliché ne valait rien.

— Cela ne se voit pas… enfin pas trop. N’importe qui peut reconnaître Pierre Jaumes, si du moins il l’a connu.

Marion Hérelle et Jean Masson examinaient le numéro du « Mondial » dans lequel Marion avait consacré un assez long article au crime de la rue Clauzel et aux crimes semblables qui l’avaient précédé, article que Jean Masson avait illustré de plusieurs photographies, notamment de celle de Pierre Jaumes, dont, en désespoir de cause, Neyrac avait permit qu’on parlât.

Marion Hérelle avait ce jour-là apporté dans la salle de rédaction du « Mondial » une très petite mallette de voyage. Elle l’ouvrit et y plaça un numéro de l’hebdomadaire.

— Nous partons en reportage, demanda le photographe ?

— C’est-à-dire, je pars en reportage, répondit Marion.

— Comment ? Tu pars sans moi ? Tu brises l’équipe ?

— Pas pour longtemps, mon vieux. Je pense être bientôt de retour.

— Peut-on savoir où tu te rends ?

— Je te le dirai peut-être lorsque je serai revenue.

— Je te préviens ; un reportage sans photographies, aujourd’hui, cela ne vaut pas cher.

— Je voudrais bien t’emmener, Jean ; mais vraiment, c’est impossible.

— Alors, bonne chance, Marion.

— Merci, mon vieux.

Jean Masson pivota sur les talons et sortit en fredonnant un refrain à la mode.

Marion écrivit une lettre, qu’elle cacheta soigneusement et plaça ensuite en évidence dans le tiroir du bureau qui était le sien. Puis elle prit sa mallette, revêtit son imperméable et gagna la rue.

D’un pas décidé, elle s’engagea derrière l’église Notre-Dame-de-Lorette, prit la rue du même nom, grimpa à Montmartre. Elle marchait d’une bonne allure, indifférente à la petite pluie opiniâtre qui tombait et qui vêtait toutes choses d’un manteau froid.

Il fallut peu de temps à la journaliste pour arriver au passage de l’Élysée des Beaux-Arts. Devant l’hôtel Morel, elle s’arrêta. La demeure était assez peu engageante. C’était une maison étroite, mais haute de six étages, percée de deux fenêtres à chaque étage. Les plâtres du mur s’écaillaient en plaques de lèpre, ce qui rendait plus agressif le vert criard dont on avait badigeonné le bar du rez-de-chaussée. Au-dessus de la porte d’entrée se balançait sur une tringle rouillée un panneau : « Hôtel meublé ». Les rideaux des fenêtres étaient douteux.

Cependant Marion entra. Presque tout de suite, l’escalier s’enfonçait dans l’ombre des étages supérieurs ; il n’offrait ses marches inférieures que pour montrer que son tapis était mangé à chaque angle et s’effilochait dangereusement. Mais il y avait près de son départ une stèle aux pattes grêles sur laquelle une plante verte étalait des feuilles exténuées.

Dans une loge de verre, un gros homme, d’un crayon court et sans cesse mouillé, cotait des noms de chevaux sur un journal de courses. Il n’était vêtu que d’une chemise et d’un pantalon qu’une ceinture retenait avec difficulté sur son ventre énorme. Sa nuque était extraordinairement rouge ; une moustache humide barrait sa face congestionnée.

— Qu’est-ce que c’est, fit-il en apercevant Marion ?

— Je voudrais une chambre, répondit la journaliste.

— C’est pour la journée ou pour un moment.

— Peut-être pour trois ou quatre jours. Je ne sais pas.

L’hôtelier releva la tête, dévisagea Marion.

— C’est bon, fit-il. Il y a le 12 qui est libre. Je vais vous y faire conduire… On paie d’avance. C’est la règle de la maison.

— Fort bien. Voici.

— Merci. Voulez-vous aussi remplir cette fiche.

— Très bien.

Et Marion Hérelle, journaliste au « Mondial », Parisienne pur sang, affirma sur le papier de la police des garnis qu’elle se nommait Louise Chastaing, qu’elle était sténo-dactylographe, et qu’elle était née en province.

— Vous venez sans doute chercher du travail à Paris, demanda le gros homme après avoir vérifié que la fiche avait été bien remplie conformément aux prescriptions.

Oui, monsieur, dit docilement Marion.

— Et quel genre de travail ? fit encore l’homme en ricanant dans sa graisse.

— Du travail dans un bureau, s’étonna Marion.

— Gentille comme vous êtes, on pourrait s’y tromper. Enfin, cela vous regarde.

Il sonna. Au bout de quelque temps apparut une femme sans âge, maigre, dont les lèvres découvraient haut les dents sous un nez fortement dessiné.

— Solange, fit l’hôtelier, montre le 12 à mademoiselle.

La chambre était petite et longue. Un papier à fleurs déteint couvrait les cloisons que l’on sentait fragiles. Des taches de moisissure mettaient au plafond de capricieuses cartes de géographie. Le mobilier ne comprenait qu’un lit de fer, un lavabo scellé au mur, une petite table couverte d’un tapis pisseux, deux chaises.

— Dites-moi, fit Marion en glissant une pièce dans la paume de la servante ; pouvez-vous me dire quels sont mes voisins de palier.

— À côté, c’est une dame… une dame qui reçoit des visites, vous comprenez… en face, c’est un monsieur seul qui est là depuis quelques jours. Je ne sais pas trop ce qu’il fait. Au-dessus, c’est des artistes… enfin, lui, il est peintre et elle, elle vit avec lui. C’est de la jeunesse, mais ils ne font guère de bruit. Vous serez tranquille.

— Je vous remercie.

Quand la servante fut partie, Marion s’empressa d’ouvrir en grand la fenêtre pour dissiper l’odeur de renfermé qui empuantait la chambre. Mais des relents aussi nauséabonds montèrent de la rue.

Marion s’y résigna. De sa mallette, elle sortit le numéro du « Mondial » qu’elle avait apporté, le plia de façon à ce qu’apparut la photographie de Pierre Jaumes, et le plaça bien en évidence sur la table.

Ceci fait, elle sortit. Elle ne rentra que vers dix heures du soir et tout de suite se coucha.

Le lendemain matin, elle était déjà levée et habillée quand la servante vint lui demander si elle pouvait faire la chambre.

— Naturellement, répondit Marion. Vous ne me dérangez pas.

La domestique commença à balayer, sans énergie d’ailleurs, quand soudain, elle s’arrêta :

— Ah ça, c’est drôle.

— Quoi donc ?

— Le monsieur qui est là sur votre journal, il a été locataire ici.

— Ah oui.

— Oh ! je le reconnais bien. C’est bien lui. Mais qu’est-ce qu’il a fait pour qu’on mette sa photo dans le journal ?

— Je crois que dans le temps il a assassiné sa petite amie.

— Lui ! un assassin. Un homme si bien de sa personne, si poli, si convenable. Tout de même, ce qu’il faut voir.

— Il est resté longtemps ici ?

— Deux, trois jours. Et un homme tranquille. Il n’a jamais ramené de femme.

— Il y a longtemps qu’il est parti.

— Juste quatre jours.

— Il est reparti pour sa province ?

— Cela, je n’en sais rien. Il n’a pas dit où il allait. Mais cela vous intéresse ?

— Oh non, je disais cela comme cela.

La bonne avait pris le journal, ne pouvait arracher son regard de l’image de Pierre Jaumes, Elle répétait :

— Un assassin… un assassin… qui aurait cru cela… Ah ! il faut que je montre cela à M. Noiret, votre voisin d’en face. Vous permettez ?

— Je vous en prie.

Un peu plus tard, le voisin vint rapporter le journal. C’était un petit homme insignifiant, avec des yeux ronds, un nez en pied de marmite, une moustache à la Charlot. Il avait peu de cheveux ; il était vêtu sans élégance.

— Curieux, hein, fit-il, ce Pierre Jaumes qui a habité ma chambre et qui était un assassin.

— C’est sa chambre que vous occupez ?

— Il paraît… La bonne vient de me l’apprendre.

— Vous n’êtes pas superstitieux ?

— Oh non. S’il fallait l’être dans mon métier…

— Que faites-vous donc ?

Le petit homme bafouilla un peu.

— Je suis… je suis voyageur de commerce… mais pour l’instant, je suis en vacances…

— Vous ne partez pas à la campagne ?

— Oh moi, vous savez, la campagne… j’aime mieux la ville… à cause des cinémas. Vous aimez le cinéma ?

— Oh oui.

— Moi, j’adore cela.

Mais quand Marion, sans en avoir l’air, lui parla des films récents, elle s’aperçut vite que le petit homme mentait et qu’il ne devait pas se rendre souvent dans les salles obscures.

Elle eut un peu de mal à s’en débarrasser, car c’était un bavard qui ne savait pas s’en aller.

Vers midi, elle descendit et, trouvant le gros hôtelier dans sa loge de verre, elle lia conversation avec lui.

— Il paraît que vous logez des assassins, fit-elle gaiement.

— Vous savez, ici, il vient un peu de tout. Mais celui-là, je l’aurais jamais cru. M. Noiret m’en avait déjà bien parlé un peu, mais si je ne l’avais pas vu dans le journal, je ne l’aurais jamais pensé, vrai de vrai.

— Ah ! M. Noiret était au courant…

— C’est-à-dire qu’il avait voulu savoir qui logeait avant lui. Je lui avais dit : un monsieur très propre, Pierre Jaumes qu’il s’appelait. C’était, comme cela, manière de bavarder.

Mais Marion réfléchit.

— Il vient de me dire que la bonne venait de lui apprendre ce matin seulement l’identité de son prédécesseur. Ce petit homme ment, et il ment mal.

Puis, s’adressant à l’hôtelier, elle reprit :

— Vous ne savez pas pour quelle destination il est parti ?

— Ma foi non.

— C’est dommage pour vous.

— Pourquoi ?

— Dame, la police est peut-être bien à ses trousses. Et j’ai entendu dire que, lorsqu’on lui fournissait un renseignement, elle savait payer.

— Ah oui. Et si vous saviez où est Pierre Jaumes, vous iriez lui dire à la police ?

— Dame. Comme on dit, l’argent n’a pas d’odeur.

M. Noiret entra à ce moment pour accrocher sa clef au tableau.

— C’est vrai cela, dit-il. L’argent n’a pas d’odeur. Et au prix où est la vie… Ah ! je vais déjeuner, et puis je passerai l’après-midi au cinéma.

— C’est vrai du temps qu’il fait, fit l’hôtelier.

La pluie tambourinait la fenêtre.

M. Noiret, sur le pas de la porte, ouvrit son parapluie, s’en alla.

— Vous allez aussi déjeuner, demanda l’hôtelier.

— Oui… oh, mais je vais attendre que ça tombe un peu moins fort.

— Eh bien, je vous laisse. Je vais manger un morceau et puis faire ma sieste. C’est une habitude.

Marion resta seule dans la loge.

Un instant, elle hésita, puis rapidement elle prit au tableau la clef de M. Noiret, remonta en hâte l’escalier désert. Elle ouvrit la porte, entra, repoussa la porte derrière elle.

La chambre était aussi pauvrement meublée que la sienne, mais près du lit il y avait une table de nuit.

Le cœur un peu battant, Marion ouvrit le tiroir de la table : elle n’y trouva qu’une vieille pipe de bois. Elle repoussa le tiroir, s’approcha de la table de nuit, inspecta le tiroir qui était vide ; elle se pencha, ouvrit le petit placard qui se trouvait au-dessous. Une toile d’araignée témoignait qu’il n’avait pas été ouvert depuis quelque temps. Dans un coin, elle distingua un morceau de papier qui avait dû glisser du tiroir. Elle le prit, vint près de la fenêtre pour déchiffrer les inscriptions au crayon qu’il portait. Elle lut :

Rue Madame, près de la boulangerie.

Éden Palace, Mas… Pal…

Rue Clauzel.

Elle s’efforçait de rétablir les quelques lettres effacées quand une voix se fit entendre derrière elle.

— Qu’est-ce que vous faites dans ma chambre ? M. Noiret se tenait contre la porte.

Marion se troubla.

— Je… je m’excuse. Je manquai d’allumettes : là bonne m’a dit que peut-être j’en trouverais chez vous.

— La bonne… oui… je tiens de la rencontrer sur le trottoir.

Marion voulut gagner le palier.

— Excusez-moi.

Le petit homme lui barra la route.

— Asseyez-vous donc un peu. Nous avons à causer.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûr.

— Je ne vois pas. Enfin…

M. Noiret tourna la clef dans la serrure, la mit dans sa poche.

— Vous, ma petite, vous cherchez à retrouver Pierre Jaumes, commença-t-il.

— Qu’est-ce que vous voulez que me fasse Pierre Jaumes ?

— Je ne le sais pas encore. Mais vous allez me le dire.

— Mais qui êtes-vous pour me parler ainsi ?

— Et vous, qui êtes-vous ? Votre histoire de sténo-dactylographe qui vient chercher du travail à Paris, que vous avez raconté au patron, cela ne tient pas debout. Une petite fille qui sort de sa cambrousse ne vient pas se loger dans un hôtel comme celui-ci. Il y a des hôtels autour des gares. Et dites-moi, votre « Mondial », c’est pour lire dans le train que vous l’avez acheté ?

— Naturellement.

— Comme c’est curieux ! Il n’était que ce matin en vente à Paris. Il n’avait pas encore gagné la province.

Devant le silence embarrassé de Marion, le petit homme triompha.

— Coincée, hein ! coincée. Allons, avouez donc, vous cherchez Pierre Jaumes ?

— Et quand cela serait, qu’est-ce que cela peut vous faire ?

Le petit homme la considéra longuement.

— Vous occupez donc pas de cela. Il y a mieux à faire pour une jolie fille comme vous.

Marion se leva.

— C’est bon. Je suivrai votre conseil… Vous voulez bien me laisser sortir.

M. Noiret se leva à son tour.

— Pas d’histoire, hein ! compris.

Il mit la clef dans la serrure.

— Ah ! vous me coûtez cher, fit Marion.

Le petit homme arrêta son mouvement.

— Comment, je vous coûte cher ?

— Dame, ma prime est fichue.

— Quelle prime ?

— La prime que je devais toucher si je trouvais Pierre Jaumes.

— Il y a une prime ? une grosse prime ?

— Assez, oui.

— Qui vous la donnait ?

— Des gens qui ont intérêt à savoir où est Pierre Jaumes.

M. Noiret revint vers Marion.

— Mais, dites donc, ma petite, c’est intéressant, cela. On pourrait peut-être s’entendre.

— Cela dépend.

— Vous savez, je ne suis pas méchant, moi. Et puis, enfin, je sais des choses.

— Sur Pierre Jaumes ?

— Peut-être.

— Alors, que me proposez-vous ?

— Part à deux. J’ai le tuyau ; vous avez l’argent. Moitié, moitié. Ça va ?

— C’est à voir.

— C’est tout vu. Vous avez l’argent ?

— Non, mais je peux l’avoir quand je veux.

— Parfait. Qu’est-ce que vous voulez savoir : où est Pierre Jaumes ?

— Je veux le voir.

— Entendu. Procurez-vous la somme et, dès ce soir, je vous emmène là où est Pierre Jaumes.

— Vous le savez donc ?

— Je puis le savoir.

— Pourquoi n’opérez-vous pas tout seul ?

— Si vous avez la grosse somme, c’est meilleur à prendre.

— Comme vous voudrez.

— Ce soir, rendez-vous ici. Dans la nuit, je vous fais voir votre homme. Ensuite, ni vu, ni connu.

— C’est mon affaire. Maintenant, ouvrez-moi la porte. Il faut que j’aille chercher l’argent.

Il ne fallut pas longtemps à Marion pour s’apercevoir que dans la rue le petit homme la suivait. Il était d’ailleurs assez adroit et Marion eut beau prendre plusieurs taxis, entrer dans un grand magasin et sortir par une autre porte, elle ne parvint pas à lui faire perdre sa trace. Place des Ternes, elle entra dans la succursale d’un grand établissement financier. Le hall était presque désert. Le petit homme n’osa pas entrer derrière elle. À un guichet, elle s’attarda, demandant à l’employé éberlué des renseignements oiseux, se faisant donner des formules de dépôt, puis obtenant qu’on lui change en petites coupures les quelques billets qu’elle avait dans son sac, toutes manipulations destinées à leurrer la surveillance que M. Noiret aurait pu exercer de l’extérieur.

Quand elle sortit, elle l’aperçut qui se dissimulait derrière un arbre. Un peu plus loin, elle entra dans un bureau de poste. Elle n’était pas sans inquiétude pour son équipée nocturne. Elle voulait prévenir Jean Masson. Mais elle réfléchit qu’à cette heure-là il n’était pas au bureau et qu’elle ne pourrait pas le joindre par téléphone. D’ailleurs, elle craignait un peu les indiscrétions toujours possibles des cabines publiques plus ou moins closes. Elle demanda une carte pneumatique, la rédigea.

— Cher vieux : c’est important. Demande au patron qu’il te prête la grande voiture. Poste-toi avec elle près de l’hôtel Morel, passage de l’Élysée des Beaux-Arts. Suis la voiture dans laquelle tu me verras monter. Sois prêt à tout. Merci.

Elle sécha l’encre sur le buvard du sous-main, cacheta, glissa le pneu dans la boîte spéciale. À peine était-elle partie, que M. Noiret dégageait rapidement le buvard du sous-main, le plia le mit dans sa poche. Dehors il héla un taxi et confia une adresse à l’oreille du chauffeur qui démarra à toute vitesse…

Le soir venu, Marion retrouva M. Noiret comme il était convenu.

— Vous avez l’argent ? demanda le petit homme.

Marion tapa sur son sac.

— Il est là.

— Bien. Alors, on y va ?

— On y va.

Ils sortirent ensemble, descendirent à pied jusque sur le boulevard.

Au coin de la rue, Marion reconnut la grande voiture grise du « Mondial » et distingua la silhouette de Jean Masson assis au volant. Elle en fut rassurée. Il y avait également une autre voiture, peinte en noir, dont M. Noiret ouvrit la portière.

— Montez, dit-il à Marion.

Marion était déjà engagée dans la carrosserie quand elle vit qu’un homme occupait la banquette. Mais M. Noiret la poussait, la faisait asseoir, s’installait près d’elle. La voiture aussitôt se mit en route. Alors le petit homme présenta son compagnon d’un geste.

L’inconnu ne dit rien.

Marion était assise entre les deux hommes qui gardaient le silence. La voiture gagna la porte de Clichy, s’enfonça dans la banlieue.

— Où allons-nous ? demanda Marion.

— Vous le savez bien.

Le silence retomba.

Deux ou trois fois, M. Noiret regarda par la glace arrière, sans doute afin de vérifier s’il était suivi.

— Ça va ? fit l’autre homme.

— Ça va, dit simplement M. Noiret.

Après avoir suivi des rues inconnues de Marion, la voiture finit par s’arrêter.

— C’est ici qu’on descend, fit le petit homme.

Sur le trottoir, Marion fut immédiatement encadrée par les deux hommes qui la poussèrent dans une porte. Elle eut cependant le temps de voir que la rue était déserte, bordée de murs fermés.

Elle se trouva dans une salle basse, peu éclairée, une sorte de café de bas ordre. Près de la porte, trois hommes étaient assis à une table. Deux autres en imperméable, étaient à une autre table. Ils ne parurent prêter aucune attention à l’entrée de Marion et de ses compagnons.

— Mettons-nous ici, dit Noiret en désignant une table.

Marion obéit,

— On pourrait peut-être partager, reprit Noiret quand ils furent installés.

— Où est Jaumes ? demanda Marion.

— Il ne va pas tarder à venir. Montrez l’argent.

L’homme qui n’avait rien dit mettait déjà la main sur le sac.

— Quand j’aurai vu Jaumes, répliqua Marion en cherchant à reprendre son sac à main.

— Ne faites donc pas l’enfant, dit l’homme.

Et comme Marion voulait se lever, il la retint durement par le bras.

— Tenez-vous tranquille, hein !

M. Noiret ricana.

— N’ayez pas peur. Elle va être très raisonnable. Mademoiselle sait ce que c’est.

Marion voulut se dégager de l’étreinte qui l’immobilisait.

À ce moment, la porte s’ouvrit violemment. Jean Masson entra rapidement. Les trois hommes qui étaient près de la porte bondirent sur lui et le ceinturèrent.

 

L’inspecteur principal Neyrac se mit à rire franchement. Son hilarité gagna Chancerel qui était debout près de son bureau.

— Elle est bien bonne, vraiment elle est bien bonne.

— J’ai tout de même eu le petit frisson, avoua Marion Hérelle qui était assise en face de lui. Quand je les ai vus se jeter sur Jean Masson, moi-même tenue étroitement… je me suis bien demandée comment cela allait finir.

— Et cela a fini au poste, car Noiret n’était qu’un de nos inspecteurs qui avait trouvé votre allure suspecte et, ayant, sur le buvard de la poste, lu le pneu que vous aviez envoyé à votre camarade mais non l’adresse, avait tendu cette souricière, pour capturer la bande dont il pensait que vous faisiez partie.

— Et moi, je pensais qu’il faisait partie de la bande de Jaumes et qu’il couvrait sa retraite, mais que l’appât du gain le ferait trahir.

— Jaumes ne fait pas partie d’une bande.

— Ni moi non plus.

— Enfin, je vous assure que j’ai été plutôt étonné quand le commissaire de police m’a téléphoné qu’une jeune fille se prétendant être Marion Hérelle venait d’être arrêtée et se réclamait de moi.

— Et c’est pour vous assurer de mon identité que vous m’avez fait amener ici.

— Et pour avoir le plaisir de vous voir. Vous y croyez donc bien à la piste Jaumes ?

— Si j’y crois… Avez-vous quelque chose de mieux à m’offrir ?

— Tenez, demandez à Chancerel où nous a conduits la piste Takigoutchi ? Il allait justement m’en rendre compte quand vous êtes arrivée, chère amie.