La nouvelle aurore/Préface de l'auteur

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Traduction par Teodor de Wyzewa.
Perrin (p. vii-x).


PRÉFACE DE L’AUTEUR



Dans un précédent ouvrage, le Maître de la Terre, j’ai essayé d’esquisser la forme que risquait de revêtir l’état religieux, politique, et social de nos pays européens dans un avenir plus ou moins proche, pour peu que dussent se prolonger indéfiniment les tendances présentes de ce que l’on appelle la « pensée moderne » ; et de cette intention est résulté un livre tout sincère, mais dont on m’a dit à maintes reprises qu’il avait produit un effet déprimant sur un certain nombre de lecteurs chrétiens, accoutumés à envisager l’avenir sous une lumière plus optimiste. Il m’est cependant impossible de rétracter, ou même simplement d’adoucir, une opinion qui continue à m’apparaître aussi probable qu’au moment où j’écrivais mon Maître de la Terre ; et je serais désolé que l’on attribuât à mon nouveau livre le caractère d’une palinodie. Ce que j’ai voulu dans ce livre a été, pour ainsi dire, de tâcher à développer, en retard de l’hypothèse développée dans le Maître de la Terre, la seule autre hypothèse qui me paraisse possible, — l’alternative exactement opposée, et qui toujours d’ailleurs, elle aussi, a conservé pour moi un degré presque égal de probabilité. Car rien absolument ne nous empêche d’espérer que, tôt ou tard, dans cinquante ans ou au bout d’un siècle, le courant désastreux de ce que nous appelons aujourd’hui la « pensée moderne » se trouvera enfin enrayé, pour être remplacé désormais par une reprise du glorieux courant de cette « pensée ancienne » qui a subi triomphalement l’épreuve des âges, et qui, dès aujourd’hui, est en train d’être « redécouverte », un peu partout, par des personnes bien plus « modernes » encore que tous nos « modernistes ». Nous entendons dire souvent que le temps où nous vivons est infiniment « critique » : par où l’on signifie que l’on ignore si le lendemain amènera la victoire de tel ou tel parti. En ce sens, aucun temps ne saurait être « critique » pour un catholique, celui-ci ne pouvant jamais douter du parti qui remportera la victoire finale : mais il n’en reste pas moins que nous assistons, de nos jours, au conflit passionné de deux forces ennemies et inconciliables, dont l’une, — la force matérialiste et anti-chrétienne, celle-là même que j’ai montrée décidément victorieuse dans le Maître de la Terre, — semblait tout récemment encore avoir le dessus, tandis que la voici dorénavant retombée tout au moins au niveau de l’autre ! Les conséquences très différentes que ne manquerait pas d’entraîner le succès futur de l’une ou de l’autre de ces deux forces rivales : ce sont elles que j’ai tenté tour à tour d’imaginer et de mettre en relief, dans deux romans entre lesquels se partageront sans doute les sympathies des lecteurs, mais qui n’en étudient pas moins, pour ainsi dire, les deux faces « parallèles » d’un unique problème.

R.-H. B.
Rome, Carême de 1911.