La poupée (Syrokomla)

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La poupée
1851

III

LA POUPÉE

(Causerie enfantine)

Chère poupée, au frais visage,
Soyez aimable, bonne et sage;
Accueillez-moi d’un doux souris;
Et je vous dirai bien des choses
Curieuses... effets et causes
Que m’apprit ma mère au logis.

Les dimanches et jours de fête,
De beaux rubans neufs, sur ma tête,
Dans ma belle robe en satin,
Je vais à l’église voisine,
M’étalant dans notre berline,
Mon paroissien français, en main.


Mon livre à la foule illettrée,
Aux campagnards de la contrée,
Parait peut-être inopportun...
Je ne puis, ne leur en déplaise,
Prier en langue polonaise,
Comme une femme du commun.

Une fois, dans le sanctuaire,
Je me baisse alors jusqu’à terre,
Suppliant bas, en polonais,
Dieu, qu’il donne de l’or en masse
A notre maison, par sa grâce,
Et qu’il augmente mes attraits...

Mes parents font dire des messes,
Pour avoir de grandes richesses,
Et leur trésor rempli d’écus,
Aimant l’argent avec tendresse,
Et jaloux d’accroître sans cesse
Leur fortune et leurs revenus...

Le bon Dieu paye avec usure
Toute offrande, à ce qu’on assure;
Il fera don à mes parents,

En prix de leurs œuvres pieuses,
De sommes d’argent fabuleuses,
Comme prix de leurs beaux présents.

N’ayez pas peur, chère poupée,
Ne soyez pas préoccupée,
Craignant de trembler à l’aspect
D’un ange apparu dans la nue,
Annonçant la grâce, obtenue
Par mon père ému de respect...

Un vieux juif, simplement, un homme
Apportera la forte somme
Qu’il faut pour acheter, m’a dit
Ma bonne mère, un gros village,
Dont les habitants, en servage,
Travailleront à son profit.

Vous ignorez encor, ma chère,
Que Dieu, pour cultiver la terre,
A fait exprès des paysans
Qui nous doivent obéissance.
Les seigneurs ont toute-puissance
Et tout pouvoir sur les manants.


Ceux-ci, crasseux, puants, ivrognes
Grouillent dans d’infects logis borgnes;
Leur sort est fort dur en effet,
Mais la cause de leur misère
Est la paresse, dit mon père.
Car ils n’obéissent qu’au fouet,

Pour travailler à la corvée,
Et la laissent inachevée,
Pour aller boire au cabaret.
Maman aime bien sa levrette,
Papa sa jument, et soufflette
Pourtant ses serfs, à tout sujet.

L’autre jour, ils vinrent en masse,
Chez nous, se plaindre avec audace,
Qu’ils mouraient de froid et de faim...
Pareils à des bêtes sauvages,
Ils montraient leurs sales visages,
Et criaient: «Donnez-nous du pain!»

Papa leur fit donner la verge,
En leur disant. «Est-ce une auberge,

«Pour faire ainsi vacarme et bruit?
Je veillerai, dans mon ménage,
Que tout pauvre, dans le village,
Puisse souper avant la nuit.

Comment ne pas venir en aide
A son prochain, quand on possède,
Pour soi-même, le superflu?
J’aurai peur, rien qu’à cette idée,
Dormant, d’être en rêve obsédée
Par quelque vampire goulu!

Que dirait Jésus, sur l’image,
Accordant au peuple, en partage,
Poisson et pain, à volonté!...
Disons ensemble une prière
Pour les pauvres manants, ma chère,
Pour qu’on les traite avec bonté!


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