La préparation à la guerre

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La préparation à la guerre
La Revue bleuetome 49 (p. 246-247).
LA PRÉPARATION A LA GUERRE[1]

M. de Cissey est naturellement préoccupé des obligations nouvelles qu’impose aux officiers la brièveté du service de trois ans. Il s’agit de former de bons soldats en moins de temps qu’autrefois. La responsabilité de tous ceux qui ont un grade y est engagée, particulièrement la responsabilité du capitaine, chef de la compagnie.

Au fond, c’est le capitaine que M. de Cissey met en scène, auquel il trace son rôle et ses devoirs. Le colonel, le chef de bataillon lui-même commandent à trop de monde pour exercer sur chacun une action individuelle. Le capitaine, au contraire, doit tenir dans sa main tous les hommes de sa compagnie sans exception et les préparer le mieux possible à la guerre. Les conscrits lui arrivent en général dans un état d’esprit et de corps qui les rend accessibles à toutes les influences du commandement. Ils n’ont pas encore de pli arrêté, ils sont une matière malléable qu’un chef habile façonne à son gré. On obtiendra d’eux ce qu’on voudra par une éducation et par une instruction raisonnées.

Avant tout, la fermeté est nécessaire, mais la fermeté toute seule ne suffit pas. Il faut y joindre la bonté. Exiger de chaque homme une obéissance absolue, lui bien montrer qu’il ne peut se soustraire à aucune des obligations du service, rien de mieux. Mais on obtiendra de lui plus encore si on lui témoigne en même temps un intérêt paternel. On trouvera le chemin de son cœur en s’occupant de lui, s’il est malade, s’il a des chagrins, s’il reçoit de mauvaises nouvelles de sa famille. Le jour où le soldat en arrive à considérer son chef comme un père, ce chef peut lui demander le maximum de l’obéissance et de l’effort.

Seulement le capitaine ne doit pas agir partout lui-même : les officiers et les sous-officiers lui sont donnés comme des aides dont il a besoin, aides intelligents qu’il pénètre de son esprit, auxquels il imprime une direction générale, mais qu’il laisse nécessairement libres dans les détails de l’exécution. Chacun d’eux fera d’autant mieux sa part de devoir qu’il sentira davantage sa responsabilité personnelle. Dans la pensée de M. de Cissey, les gradés ressemblent aux rouages d’une grande machine qui auraient leur mouvement propre. Le capitaine se comporte à leur égard comme un régulateur chargé de coordonner et de diriger tous ces mouvements vers un but unique : la préparation à la guerre.

C’est surtout dans ses rapports avec les cadres que le capitaine aura besoin de tact. La fermeté ne cesse pas d’être de mise ; il y faut joindre cependant des égards particuliers, attribuer à chacun une besogne déterminée, exiger de tous l’accomplissement du devoir imposé, ne pas laisser fléchir la discipline, tout en ménageant des âmes fières. Le mieux, suivant M. de Cissey, serait d’expliquer une fois pour toutes aux gradés ce qu’on attend d’eux, d’intéresser au succès commun leur amour-propre et leur honneur. Lorsqu’ils comprendront bien l’importance de leur rôle, ils se sentiront relevés par la confiance qu’on leur accorde et feront tous leurs efforts pour la mériter. Plus on leur témoignera de considération, plus ils auront à cœur de s’en montrer dignes. L’estime qu’on témoigne aux hommes redouble en eux le sentiment de la responsabilité et du devoir.

Pour les cadres ainsi préparés, le capitaine règle l’emploi du temps. S’il connaît bien son métier, il évite autant que possible l’imprévu. On accepte sans murmurer une besogne dont on est prévenu, à laquelle on s’attend. Il n’en est pas de même de ce qui ressemble à une surprise. On est plus tenté de discuter la valeur d’un ordre lorsqu’il arrive à l’improviste, On soupçonne dans le commandement des hésitations ou des caprices qui en diminuent l’autorité. Cette observation judicieuse de M. de Cissey paraîtrait trop générale si on n’en exceptait les prises d’armes imprévues qui sont ordonnées par le chef de corps et qui habituent les hommes à se tenir en haleine en leur présentant l’image des surprises de la guerre.

M. de Cissey n’entend pas qu’on néglige le moindre détail de l’instruction technique. Il fait seulement ressortir ce que l’influence morale ajoute à l’autorité du commandement. A coup sûr, l’obéissance du soldat est acquise à tous les chefs, maïs combien elle est plus facile, plus féconde aussi, lorsque le soldat voit dans son chef un être supérieur, entouré d’un prestige continuel, pratiquant les leçons qu’il donne, toujours prêt à payer de sa personne, fidèle à tous ses devoirs et, dans les circonstances les plus critiques comme dans les plus simples, prêchant d’exemple.

Les conférences familières faites aux hommes ont une grande portée morale, les simples entretiens ont aussi leur prix. Un mot dit en passant, une réflexion faite à propos gagnent les cœurs et fortifient les courages. Quand le terrain est bien préparé par une éducation de cette nature, l’instruction théorique et l’instruction pratique se gravent facilement dans les esprits. Les exercices les plus arides prennent une couleur et un caractère nouveau pour le soldat, qui en connaît déjà le lien avec ses devoirs généraux, qui sait qu’on le prépare à la guerre et que dans cette préparation raisonnée aucun détail n’est inutile. Le développement des idées patriotiques, la conscience de tous les sacrifices qu’on doit à la patrie, voilà pour M. de Cissey la meilleure préface de la vie militaire.

Ce manuel, simplement et fortement écrit, mérite d’être lu par tous nos jeunes officiers d’infanterie. Ils y trouveront une foule de conseils utiles ; ce sera pour eux un vade-mecum bon à consulter en toute occasion. Beaucoup d’entre eux ont déjà devancé dans la pratique la pensée de l’auteur. Mais il n’est pas mauvais, même pour les meilleurs, d’avoir sous les yeux un texte écrit qui rappelle le devoir et réveille les énergies individuelles. M. de Cissey demande beaucoup à l’esprit de discipline, qui est très répandu dans notre armée, mais il demande plus encore à l’effort personnel. Il voudrait qu’aucune force morale ne se perdît, que chaque membre de notre corps d’officiers si distingué eût dans chaque détail de la vie le sentiment de la responsabilité qui pèse sur lui, de l’exemple qu’il est tenu de donner à ses subordonnés. Dans l’immense mêlée de nos guerres futures, lorsque la loi du nombre domine tout, ce ne sont pas les hommes qui manqueront. Il y en aura peut-être trop. Ce qui sera surtout nécessaire, c’est que les chefs, à tous les degrés de la hiérarchie, aient assez d’autorité morale pour les conduire au combat et pour les retenir au feu.

A. Mézières.

  1. L’Instruction raisonnée dans l’infanterie, par le lieutenant de Cissey. — Librairie militaire de Baudoin, 1891.