La première salle Favart et l’Opéra-Comique/14

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Heugel (p. 1-2).

LA PREMIÈRE SALLE FAVART

et

L’OPÉRA-COMIQUE

1801-1838

QUATRIÈME PARTIE

ii
(Suite)

Je reviens à l’Opéra-Comique et à la salle Favart, dont les travaux continuaient de marcher avec célérité. Aussi les notes adressées aux journaux par la direction, en vue d’attirer l’attention du public, commencent-elles à devenir fréquentes. Il s’agissait d’abord de l’augmentation du personnel des chœurs et de l’orchestre, qui, à la Bourse, se trouvaient forcément réduits aux dimensions modestes de la scène et de la salle. Première note, à ce sujet, publiée le 25 mars :

« L’administration prévient les artistes qui voudraient faire partie des chœurs de ce théâtre à partir du 1er mai prochain, qu’il y aura un concours pour les dames et les hommes le dimanche 29 mars. Les personnes qui auraient l’intention de se présenter sont invitées à se faire inscrire au secrétariat de l’administration, rue des Colonnes, 4. »


La question se présente ensuite de la revision du registre des entrées, revision qui motive cette seconde note, à la date du 18 avril :


« Les personnes qui ont leurs entrées au théâtre royal de l’Opéra-Comique sont invitées à faire connaître à quel titre elles en jouissent. Ne seront inscrites sur la nouvelle liste des entrées que les personnes qui se seront conformées au présent avis avant le 1er mai prochain. »


Une troisième note, publiée le 22 avril, donne des détails sur l’état et la nature des travaux de décoration de la nouvelle salle :

« M. Charles Séchan, un des peintres chargés des décors de l’Académie royale de musique, vient de commencer à peindre la coupole du théâtre royal de l’Opéra-Comique, place des Italiens. Cette coupole, d’une élégante et riche construction, a 18 mètres 85 centimètres de hauteur, depuis le parterre jusqu’au cintre. Les décors du pourtour de la salle viennent aussi d’être entrepris ; ils se composent de magnifiques attributs divers, gravés sur bois et sur cuivres dorés. Enfin, cette salle sera d’un goût tout à fait moderne pour Paris ; ses décorations et dispositions se font d’après la copie de la salle du théâtre de Venise. »


À ce moment les travaux, très avancés, étaient poussés avec la plus grande activité. Malgré tout, il fut impossible d’être prêt absolument pour le 1er mai, époque fixée. Le retard ne fut toutefois que d’une quinzaine, et, ce 1er mai, l’Opéra-Comique abandonnait la salle de la Bourse, de même que le Vaudeville abandonnait la salle provisoire qu’il occupait au boulevard Bonne-Nouvelle, l’un et l’autre pour préparer les aménagements de leurs nouvelles demeures. L’un et l’autre aussi, durant les quinze jours de leur fermeture, firent leurs répétitions dans la salle des concerts du Conservatoire[1].

Corsnier profita de ce silence forcé pour lancer à grand nombre, dans le public, une brochure par laquelle, tout à la fois, il faisait par avance l’éloge de la nouvelle salle Favart et indiquait ses projets artistiques pour un prochain avenir. Ce petit document est assez curieux et appartient à l’histoire de l’Opéra-Comique. Voici comme il s’exprimait relativement à la salle :

« Au moment où l’Opéra-Comique quitte la petite salle de la Bourse pour la salle Favart, son ancien berceau, que la protection du gouvernement et le vote des chambres ont exclusivement consacré à la musique française ; au moment où une nouvelle ère de prospérité s’annonce pour un genre de spectacle, d’origine nationale, aussi indispensable qu’il est populaire en France, il n’est pas inutile de donner au public quelques détails sur la construction et la disposition de la salle, sur les ouvrages lyriques qu’on y prépare, et sur les artistes auxquels l’exécution en sera confiée.

La salle Favart, reconstruite sur les dessins et sous la direction de M. Théodore Charpentier, n’a conservé de l’ancien théâtre que les murs extérieurs. Toutes les constructions et les dispositions intérieures sont de création nouvelle, et tout le monde reconnaîtra que rien n’a été négligé pour rendre cette salle la plus commode, la plus élégante et la plus riche de Paris.

Un vaste vestibule, des corridors spacieux, huit escaliers, presque tout en pierre et en fonte, un foyer qui se prolonge sur toute la façade du monument, rendront la circulation, l’arrivée et la sortie faciles pour le public.

L’entrée principale est toujours sur la place ; mais une seconde entrée a été réservée à l’angle du boulevard et de la rue Marivaux. Une vaste galerie, qui permettra au public d’attendre à couvert le moment de l’ouverture des portes, offre une communication commode du boulevard à la salle ; au milieu de cette galerie, un salon a été pratiqué ; c’est, à la sortie, le salon d’attente pour les personnes en voiture. Là se trouvent des sièges ; un tapis, un foyer pour l’hiver ; et aux deux extrémités sont placés les domestiques, séparés des maîtres par une barrière.

Le chauffage, la ventilation et la sonorité ont été l’objet d’un soin tout particulier. De nombreux calorifères, sur un modèle nouveau et perfectionné, distribuent en hiver une égale chaleur dans toutes les parties de la salle ; dans l’été, l’air froid y sera introduit en aussi grande quantité que l’exigera la température, au moyen d’un mécanisme ingénieux placé dans les caves et que font mouvoir plusieurs chevaux : invention toute récente dont l’application aux salles de spectacle est faite pour la première fois à la salle Favart. Une voûte a été pratiquée sous l’orchestre, et de nouvelles mesures propres à développer la sonorité ont été adoptées dans toutes les parties de la salle.

La coupe intérieure de la salle et sa disposition en amphithéâtre ont été si heureusement combinées, que de toutes les places on voit également bien la scène et le public, et l’espace réservé à chaque spectateur est notablement plus grand que dans aucun théâtre.

Le fond de la décoration est blanc et or ; tous les ornements sont en cuivre doré. Les peintures d’art ont été réservées au rideau, à la coupole et au grand foyer public.

Presque toutes les stalles de galerie et d’orchestre sont remplacées par des fauteuils. Quarante des meilleures loges ont chacune un salon ; ces salons, séparés des loges par des portières de velours, sont ornés de glaces, de tapis et de divans. Un cordon de sonnette placé dans chaque salon évitera aux personnes qui l’occuperont la peine de se déranger pour demander des rafraîchissements, qui leur seront fournis par un des meilleurs cafés de Paris.

La salle est éclairée au milieu par un lustre à bougies mêlées de globes en cristal, et dans le haut par des candélabres portés par des enfants ailés, qui soutiennent la coupole. Un lustre et des girandoles à bougies éclairent le foyer, qui réunit tout ce que l’art et le goût pouvaient rassembler d’élégance et de richesse. »


Voilà pour les détails de la construction, au sujet de laquelle un journal, le Courrier des Théâtres, croyait devoir faire ressortir cette particularité : « Toute la construction intérieure est en fer : planchers, cloisons, colonnes, fermes et supports quelconques ; il n’y a que le bois indispensable pour couvrir les parties en contact avec le public et celui que nécessite l’équipage de la scène. Un nouvel incendie aurait lieu que la salle entière resterait debout. La couverture de l’édifice est en fer galvanisé. » Hélas ! nous savons aujourd’hui de façon cruelle ce qu’on en devait penser, et l’incendie de 1887 nous l’a prouvé.

Revenons-en au « boniment » de Crosnier, avec lequel nous n’en avons pas fini. Après avoir dit ce qu’était l’édifice, il faisait savoir ce qu’il y comptait faire :

« Le public appréciera facilement tous les soins qui ont été pris pour lui plaire ; mais l’administration de l’Opéra-Comique a compris que là seulement ne se bornait pas la tâche qui lui était imposée ; elle a voulu que les pièces, les artistes, l’orchestre, les chœurs et la mise en scène fussent en harmonie avec l’éclat de sa nouvelle salle.

La composition de la troupe actuelle, à laquelle restent attachées pour plusieurs années Mme Damoreau et Mme Garcia, présente en artistes distingués une réunion plus brillante et plus complète qu’elle ne le fut à aucune époque ; l’orchestre et les chœurs ont été augmentés ; au nombre des artistes de l’orchestre, dirigé par M. Girard, on compte aujourd’hui les premiers exécutants de Paris.

Presque toutes les décorations seront neuves, et l’exécution en a été confiée à nos principaux peintres de décors.

Deux opéras nouveaux seront représentés dans les premiers jours de l’ouverture : l’un, intitulé Zanetta, sera joué par Mmes Damoreau et Rossi, MM. Couderc, Mocker et Grignon ; l’autre, l’Opéra à la Cour, sera joué par Mmes Garcia et Henri Potier et MM. Chollet, Masset, Roger, Botelli, Henri, Ricquier. Plusieurs reprises importantes se succéderont : le Pré aux Clercs, l’Éclair, la Reine d’un jour, Richard Cœur de Lion, Lestocq, La Neige, etc., etc. Ces reprises viendront enrichir et varier le répertoire, en attendant les opéras que préparent, pour l’hiver prochain, MM. Auber, Halévy, Adam, Donizetti, etc. etc.

Un dernier soin était imposé à l’administration : après avoir pourvu à ce que le public fût confortablement placé, elle a songé à la convenance de ne pas lui faire payer ce plaisir un prix trop élevé. Une réduction considérable a donc eu lieu sur les prix de presque toutes les places ; et l’augmentation du tiers en sus pour la location a été uniformément convertie en une simple augmentation de 1 franc pour les places importantes, et de 50 centimes pour les places secondaires. La même modération a été apportée dans la fixation des locations à l’année.

 »


(À suivre.)

Arthur Pougin.

  1. Le dernier spectacle donné par l’Opéra-Comique à la place de la Bourse, le 30 avril, comprenait la Fille du Régiment et le Domino noir.