La prise de Marseille I (Malherbe)

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Œuvres poétiques de Malherbe, Texte établi par Prosper BlanchemainE. Flammarion (Librairie des Bibliophiles) (p. 1-3).

AU ROY HENRY LE GRAND SUR LA PRISE DE MARSEILLE 1596



Enfin, après tant d’années,
Voici l’heureuse saison
Où nos misères bornées
Vont avoir leur guérison.
Les dieux, longs à se résoudre,
Ont fait un coup de leur foudre
Qui montre aux ambitieux
Que les fureurs de la terre
Ne sont que paille et que verre
A la colère des cieux


Peuples, à qui la tempête
A fait faire tant de vœux,
Quelles fleurs à cette fête
Couronneront vos cheveux ?
Quelle victime assez grande
Donnerez-vous pour offrande ?
Et quel Indique séjour
Une perle fera naître
D’assez de lustre pour être
La marque d’un si beau jour ?

Cet effroyable colosse,
Cazaux, l’appui des mutins,
A mis le pied dans la fosse
Que lui cavoient les destins.
Il est bas, le parricide :
Un Alcide, fils d’Alcide,
A qui la France a prêté
Son invincible génie,
A coupé sa tyrannie
D’un glaive de liberté.

Les aventures du monde
Vont d’un ordre mutuel,
Comme on voit au bord de l’onde
Un reflux perpétuel.
L’aise et l’ennui de la vie
Ont leur course entresuivie

Aussi naturellement
Que le chaud et la froidure ;
Et rien, afin que tout dure,
Ne dure éternellement.

Cinq ans Marseille, volée
A son juste possesseur,
Avoit langui désolée
Aux mains de cet oppresseur.
Enfin le temps l’a remise
En sa première franchise ;
Et les maux qu’elle enduroit
Ont eu ce bien pour échange,
Qu’elle a vu parmi la fange
Fouler ce qu’elle adoroit.

Déjà tout le peuple more
A ce miracle entendu ;
A l’un et l’autre Bosphore
Le bruit en est répandu :
Toutes les plaines le savent
Que l’Inde et l’Euphrate lavent ;
Et déjà, pâle d’effroi,
Memphis se pense captive,
Voyant si près de sa rive
Un neveu de Godefroy.