La question de l’héritage/0

La bibliothèque libre.
Traduction par Adolphe Landry.
Société Nouvelle de Librairie et d'Édition (p. 5-7).

INTRODUCTION


Le présent livre n’a pas été fait par M. Rignano lui-même. Je l’ai composé en extrayant et en arrangeant selon un plan nouveau des morceaux de l’ouvrage de M. Rignano, Un socialisme en harmonie avec la doctrine économique libérale[1]. Cet ouvrage contient, entre autres choses, un projet de prélèvements sur les successions progressifs dans le temps : il m’a semblé qu’il y avait lieu de donner à ce projet la plus grande diffusion possible.

Le projet de M. Rignano, en effet, vient à son heure. On ne saurait plus ajouter foi, aujourd’hui, à la prédiction de Marx, annonçant l’écroulement prochain et fatal de la société capitaliste : l’étude attentive des faits a montré aux plus prévenus que l’évolution présente de la société ne conduisait pas le moins du monde à cet aboutissement.

D’autre part, c’est se leurrer d’espoirs chimériques que de croire que l’affranchissement de la classe prolétarienne pourra jamais résulter de la croissance économique de cette classe. Ni la coopération de production, ni la coopération de consommation ne pourront jamais mettre entre les mains des ouvriers plus qu’une partie infime des moyens de production.

Si donc la classe ouvrière doit jamais être affranchie, si jamais, pour mieux parler, l’actuelle distinction des classes doit disparaître, ce ne sera que grâce à une révolution juridique, opérée par voie législative : c’est là une conviction qui s’impose à tout esprit clairvoyant.

De cette conviction, M. Rignano est pénétré. Et c’est pourquoi il a formulé le projet que je présente aujourd’hui aux lecteurs de la Bibliothèque socialiste.

L’institution des prélèvements successoraux de M. Rignano constituerait une modification juridique de la propriété. Pour M. Rignano, ces prélèvements successoraux devraient servir à opérer une vaste socialisation des moyens de production, une certaine place restant cependant, dans la société que conçoit M. Rignano, pour la propriété, pour la production et la capitalisation privées.

J’ai laissé de côté, pour composer ce livre, tout ce qui a trait aux idées personnelles de M. Bignano sur l’organisation de la société future. Je me suis appliqué, voulant faire de ce livre un livre de propagande en faveur du projet des prélèvements successoraux, à montrer comment ce projet intéressait tous ceux qui veulent une société meilleure, depuis les collectivistes jusqu’aux partisans de la doctrine de la solidarité.

Au reste, poursuivant ce dessein, ma tâche a été purement une tâche de rhapsode. Le texte de ce livre est tiré presque tout entier de l’ouvrage de M. Rignano ; à peine s’il m’a fallu faire par ci par la quelques raccords sans importance.

Tel qu’il est, je souhaite que ce livre se répande, et avec lui le projet de M. Rignano. En particulier, il est à désirer qu’il soit remarqué des socialistes, et qu’il retienne leur attention. Parmi ceux qui ont assumé la responsabilité de diriger le parti socialiste, certains aujourd’hui se laissent absorber par les préoccupations de la politique quotidienne, d’autres sont enchaînés par leur fidélité aveugle à une orthodoxie surannée. Espérons qu’ils comprendront bientôt, les uns et les autres, qu’il faut au parti socialiste un programme à la fois socialiste et pratique. Par là seulement le socialisme, dont les progrès subissent depuis quelque temps un ralentissement fâcheux, sera mis à même de marcher d’un pas rapide vers la victoire.

Adolphe Landry.
  1. Paris, Giard et Brière, 1904, 1 vol. in-8o de 390 pp. ; prix : broché, 7 fr., relié, 9 fr. ; cet ouvrage est le 30e volume de la Bibliothèque sociologique internationale, dirigée par M. René Worms. L’ouvrage de M. Rignano avait eu, antérieurement à l’édition française, une édition italienne.