La région de l’Abitibi : terres à coloniser/02

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Département de la colonisation, des mines et des pêcheries (p. 5-7).

INTRODUCTION



Les magnifiques espérances que l’on avait fondées sur le territoire nouveau de l’Abitibi, comme région de colonisation, sont en frais de se réaliser.

La belle œuvre civilisatrice qui s’est accomplie autrefois par la colonisation des Cantons de l’est, du lac St-Jean, de la région Labelle se répète aujourd’hui dans l’Abitibi.

De toutes les parties de la vieille province de Québec, des groupes nombreux de pionniers, défricheurs à l’âme vaillante et au bras vigoureux, se dirigent vers le Grand-Nord pour y jeter les fondements de futures paroisses.

Les ressources illimitées de cette région au point de vue de l’agriculture, ne permettent pas de douter un seul instant de l’avenir brillant qui lui est réservé.

C’est vraiment le pays de l’avenir ; ce sera plus tard le château-fort de notre nationalité.

« Le Nord », disait en 1882 l’abbé Proulx[1], « le Nord, voilà le champ ouvert à l’activité des Canadiens français. Eux seuls aimeront à y vivre. Les populations étrangères que l’immigration transatlantique vomit tous les ans par milliers sur nos bords, préféreront toujours se diriger vers les prairies de l’Ouest, où les premiers travaux de défrichement sont moins pénibles. La vigueur de nos colons ne recule pas devant les arbres de la forêt, le climat leur est salutaire et leur tempérament est fait à la rigueur de nos hivers. Sachons profiter du mouvement colonisateur qui agite le pays ; que le gouvernement ouvre de bonnes voies de communication, même qu’il ne craigne pas de pousser des lignes de chemin de fer dans les régions de l’intérieur et avant longtemps, le surplus de notre population aura remonté le cours de toutes les rivières, échelonnant des établissements continus sur les rives du St-Maurice, de la Rouge, de la Lièvre, de la Gatineau et de l’Ottawa. Bientôt des colons courageux, après avoir pénétré dans la chaîne des Laurentides, parviendront aux larges plaines qui s’étendent le long de la hauteur des terres et fonderont une succession non interrompue de paroisses, depuis la vallée du lac St-Jean jusqu’aux rivages lointains du lac Témiscamingue. »

Aussi mons. Rameau, qui savait regarder de loin, et qui a porté des jugements si justes sur le développement futur de la race française en Amérique, disait-il en 1854[2] :

« Au premier abord les vastes régions désertes qui s’étendent au nord du St-Laurent, dans le haut bassin de l’Ottawa, et qui se prolongent au nord des grands lacs, pour atteindre les immenses territoires du Nord-Ouest, semblent être des pays infertiles et glacés, qui se refusent à toute exploitation profitable. Il n’en est rien cependant, la limite où peut s’arrêter le travail débile de l’homme est encore bien plus reculée vers le nord, mais ces contrées froides et d’un abord difficile, couvertes de neige une partie de l’année ne séduisaient ni les émigrants européens, ni ceux des États-Unis ; ils préféraient les vastes plaines de l’Ouest avec leurs grandes voies navigables, leur climat tempéré et leur culture plus aisée. Ces émigrants d’ailleurs auraient été peu capables d’affronter cette rudesse du sol et de la température ; le peu d’entre eux qui se dirigent vers ces parages s’en déportent promptement et les quittent presque toujours pour descendre vers une zone plus chaude.

« Ces immenses espaces semblent donc être destinés à l’expansion des Canadiens français, et c’est là le théâtre que la Providence paraît avoir réservé à leur action. Là, pourront tranquillement s’étendre leurs enfants sans que de longtemps encore aucun étranger vienne se mêler à eux, et jusqu’aux limites de la culture possible, ils pourront se développer en paix, avec leur langue, leur caractère propre et toutes leurs habitudes. »

Nous croyons avec monsieur Rameau, avec les explorateurs, les géologues et les missionnaires, qui ont parcouru l’immense région qui va du Transcontinental aux rivages de la Baie James, que la culture dans le Nord pourra être faite avec profit bien au delà de la partie maintenant en voie de colonisation et située le long du chemin de fer.

En effet, d’après le rapport de M. Bancroft, professeur de géologie à l’Université McGill, qui a exploré durant l’été de 1912 le terrain compris entre la rivière Harricana et la rivière Nottaway, le bassin argileux de cette région couvre une étendue allant jusqu’à 120 milles au nord du Transcontinental.

« Dans toute cette étendue, dit-il, le sol convient à l’agriculture, si l’on excepte les petits paquets de buttes rocheuses, les petites rives sableuses, et les espaces beaucoup plus considérables où les marécages dominent. Il existe autour des lacs Soskumika, Matagami et Olga de très grandes étendues de terrain propice à l’établissement de fermes.

« Les plus grandes étendues continues de bonnes terres que nous avons rencontrées se trouvent le long de la rivière Natagagan et surtout le long de la rivière Allard. Lorsqu’on quitte les eaux sales, cou


10ème RANG DU CANTON DE FIGUERAY (Amos) — Juin 1919

leur de café au lait de la rivière Harricana pour les eaux claires de l’Allard supérieure, la verdure prend des teintes plus vives, les plantes sont plus robustes et les fleurs sauvages, telles que les rosacées, les chèvrefeuilles, les orchidées, etc., croissent à profusion au milieu de juillet.

« Le climat, dit encore M. Bancroft, est un facteur beaucoup plus important que le sol. La région étudiée se trouve entre les latitudes 48°30′ et 50°50′, mais heureusement la diminution de l’altitude compense l’augmentation de la latitude, et dans la plus grande partie de cette région au moins jusqu’aux environs du lac Matagami, la température annuelle doit être en moyenne à peu près la même qu’aux environs du chemin de fer Transcontinental.

« Chaque année on fait une récolte de pommes de terre et de légumes au poste de la Compagnie de la baie d’Hudson sur le lac Waswanipi à la latitude de 49°36′ à environ 100 milles au nord du Transcontinental et à une altitude de 680 pieds au-dessus du niveau de la mer. En 1911 on avait fait les semailles le 30 mai et on avait récolté à la fin de septembre 180 boisseaux d’excellentes pommes de terre qui n’avaient jamais été endommagées par la gelée. Lorsque nous visitâmes le poste le 5 août, les pommes de terre commençaient à perdre leurs fleurs et promettaient une autre bonne récolte, les pois et les navets étaient également très beaux. Au printemps dernier, la glace se brisa sur le lac le 5 mai et le 21 mai elle avait presque complètement disparu. »

Au sud, la marche de la colonisation devra atteindre le Témiscaming. En effet, la colonisation de l’Abitibi est intimement liée à celle du Témiscamingue : ces deux régions ne devront plus tard faire qu’un seul tout.

« Dans ce temps-là », comme le disait il y a près de quarante ans, un conférencier prophétique, « la patrie canadienne, restreinte au midi et au sud-ouest, s’étendra vers le nord, embrassant des espaces plus vastes que ceux qu’elle occupe aujourd’hui. Le nord sera le domaine, la force de notre nationalité. »[3]

Emparons-nous donc au plus tôt de notre immense nord pour y établir le plus possible de nos compatriotes. C’est là qu’est l’aisance, la fortune, l’avenir, le salut, car c’est là qu’est le territoire immense, riche, le plus à notre portée et qu’aucun changement, qu’aucune révolution politique ne pourra jamais sérieusement nous disputer.

IVANHOË CARON, ptre,
Missionnaire-colonisateur.
  1. L’abbé Proulx. Au lac Abitibi, p. 73.
  2. E. Rameau. La France aux colonies, p. 233.
  3. L’abbé Proulx. Ouvrage cité p. 74