La sainte Bible selon la Vulgate (J.-B. Glaire)/L’Ecclésiastique (observations préliminaires)
Texte établi par Roger et Chernoviz, Roger et Chernoviz, (p. 1442-1445).
L’ECCLÉSIASTIQUE
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OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
1. Le nom d’Ecclésiastique que les Latins ont donné à ce livre est un mot grec qui signifie livre en usage dans l’assemblée ou dans l’Église ; c’est-à-dire, livre qui sert à instruire l’assemblée. Nous avons prouvé dans notre Introduction historique et critique, tome IV, que ce livre est véritablement divin, c’est-à-dire qu’il a été composé sous l’inspiration du Saint-Esprit ; vérité que nient les Juifs et les Protestants,
2. Ce livre a été incontestablement composé en hébreu ; mais le texte primitif, dû à Jésus, fils de Sirach, a été perdu. La version la plus ancienne est la version grecque faite par le petit-fils de l’auteur, comme on le voit par le Prologue suivant. La traduction latine qui se trouve dans la Vulgate, et dont l’auteur est inconnu, remonte assez haut, puisqu’elle est citée par tous les anciens Pères ; et nous l’avons aujourd’hui telle qu’elle était dans le principe ; car saint Jérôme n’y a pas touché. Le style en est dur et souvent d’une grande obscurité, comme dans le livre de la Sagesse, parce que le traducteur ne se conforme pas plus que celui de la Sagesse au latin classique, soit pour la signification des mots, soit pour la syntaxe. Comparez ce que nous avons dit à ce sujet, page 645.
3. Outre cette version latine, il y en a une seconde composée sur le grec de l’édition romaine, et autorisée par le pape Sixte V ; ce qui l’a fait appeler version sixtine. Le livre de l’Ecclésiastique a été traduit aussi en syriaque et en arabe. Il faut bien remarquer que, quelque nombreuses que soient les différences qui existent entre ces différentes versions, elles ne nuisent en rien à l’intégrité substantielle du texte. Nous dirons de même des additions et des gloses qu’on a pu y intercaler ; comme elles ne sont que de nouvelles traductions ou de simples explications de ce même texte, elles laissent encore intacts le fond et la substance du livre.
4. Quant au Prologue, quelques-uns le tiennent pour canonique, comme faisant partie de l’ouvrage, quoiqu’il n’émane pas de l’auteur du livre, mais du simple traducteur ; pour nous, nous pensons avec Corneille de Lapierre, don Calmet et autres, que cette canonicité est d’autant plus contestable, que le Prologue n’est nullement l’ouvrage d’un écrivain reconnu pour divinement inspiré. (J.-B. Glaire.)
* 5. L’époque où a vécu l’auteur de l’Ecclésiastique est incertaine. Son livre nous fournit un moyen de résoudre la question en nous indiquant le nom du grand prêtre juif, Simon, fils d’Onias, i, 1-21, sous lequel il a vécu, et qu’il avait vu officier dans le temple ; mais comme le même nom a été porté par deux pontifes différents, tous deux fils d’Onias : Simon I, dit le Juste, qui vivait du temps de Ptolémée, fils de Lagus, vers 290 av. J.-C., et Simon II, qui était grand prêtre quand Ptolémée IV Philopator voulut entrer de vive force dans le temple de Jérusalem, les critiques se partagent : les uns font Jésus contemporain du Simon le plus ancien, les autres du plus récent. Le prologue du traducteur fournit une autre donnée chronologique : il nous dit qu’il alla lui-même en Egypte sous le règne de Ptolémée Évergète. Par malheur, il y a aussi deux rois qui ont porté ce surnom ; l’un, Ptolémée III, fils et successeur de Ptolémée II Philadelphe, 247-222 ; l’autre, Ptolémée VII, dit aussi Physcon, frère de Ptolémée Philométor, 170-117 ; de sorte qu’il est également difficile de décider quel est le roi d’Égypte dont parle le petit-fils de l’auteur de l’Ecclésiastique. — L’opinion la plus communément reçue place la composition de l’ouvrage vers 280, la traduction vers 230[1] ; elle fait vivre Jésus ben Sirach du temps de Simon I, et son petit-fils sous Ptolémée III Évergète I. Quoique elle ne soit pas à l’abri de toute difficulté, elle est cependant la plus vraisemblable. — 1o L’éloge du chapitre l ne peut se rapporter qu’à Simon I, dit le Juste ; le contemporain de l’auteur est représenté, en effet, comme un pontife très remarquable, ce qui ne saurait convenir à Simon II, dont l’histoire ne dit aucun bien. — 2o Le grand prêtre de l’Ecclésiastique est qualifié de libérateur de son peuple, i, 4, ce qui peut s’appliquer à Simon I, mais non à Simon II, sous le pontificat duquel ni le peuple ni le temple n’avaient besoin de protecteur spécial. — 3o Du temps de Simon II, les idées païennes, contre lesquelles s’élevèrent les Machabées, avaient déjà fait de grands progrès ; elles étaient propagées par les fils de Tobie ; comme elles étaient en horreur aux Juifs fidèles, on ne s’expliquerait point que, si l’auteur de l’Ecclésiastique avait écrit à cette époque, il ne les eût point condamnées ; on s’expliquerait moins encore qu’il eût loué Simon II, qui avait pris parti pour les fils de Tobie. — Il s’élève contre les Samaritains, l, 38 ; à plus forte raison aurait-il condamné les faux frères qui imitaient les mœurs des Hellènes. — 4o Ajoutons enfin que le Ptolémée Évergète ou le Bienfaisant, dont parle le prologue de l’Ecclésiastique, ne peut guère être que le premier qui a porté ce nom. Les monuments ne donnent pas le surnom d’Évergète à Physcon, mais seulement au successeur de Philadelphe.
* 6. Quant au style de l’Ecclésiastique, nous ne pouvons le juger qu’imparfaitement, puisque nous ne le connaissons que par une traduction. Il est en général simple, naturel, peu orné. L’auteur avait écrit d’après les règles du parallélisme qui régissent la poésie hébraïque et avait imité la forme comme le fond des Proverbes de Salomon. La traduction grecque a conservé le plus exactement possible le moule de l’original.
* 7. Le livre de l’Ecclésiastique a toujours été regardé comme le plus utile des livres Sapientiaux, l’une des parties de l’Écriture Sainte qu’on doit le plus lire et méditer. « Outre l’abondance admirable d’enseignements très purs et très saints, adaptés à tous les états et à toutes les conditions, qui est contenue dans ce livre, dit Martini, le célèbre traducteur de la Bible en langue italienne, nous y rencontrons une multitude de choses qui peuvent servir à nourrir l’esprit de religion et à nous donner de notre foi la plus haute idée. Je souhaiterais donc de tout mon cœur que ce livre, avec celui des Proverbes et de la Sagesse, fût comme le premier lait dont on nourrisse l’âme de la jeunesse, parce que ces écrits sont les plus utiles pour former non seulement son esprit, mais aussi son cœur, lui donner de hautes pensées la fortifier contre la séduction des passions, lui imprimer les vrais et solides principes qui doivent diriger l’homme dans la vie présente et le rendre digne de la vie éternelle. »
* 8. Division générale de l’Ecclésiastique. — Le livre de l’Ecclésiastique forme un tout, mais sans une suite rigoureuse ; il est écrit sans plan d’ensemble et avec la liberté d’allures qui est commune aux écrivains orientaux, surtout dans les ouvrages de ce genre : les pensées, ainsi qu’il arrive dans les recueils de sentences, ne sont pas reliées entre elles ; les digressions abondent : de là la difficulté ou plutôt l’impossibilité d’en faire une analyse méthodique. On peut y distinguer cependant deux parties bien marquées, d’inégale longueur, la première contenant toutes sortes de préceptes pour la conduite de la vie, i-xlii, 14 ; la seconde faisant l’éloge du Créateur de l’univers et des saints de l’Ancien Testament, xlii, 15-li,
La première partie de l’Ecclésiastique n’a d’autre unité que l’unité générale du sujet, qui est de recommander la pratique de la vertu. Elle « a beaucoup d’analogie avec les Proverbes de Salomon ; elle renferme, sous une forme généralement sentencieuse et proverbiale, une foule de règles de conduite et de maximes morales pour tous les états et pour toutes les conditions ; elle énumère la série des vertus, en relève l’importance, exhorte à leur pratique, expose de même la série des passions et des péchés dominant parmi les hommes, et cherche à en éloigner ou en montrant les conséquences. Elle abonde aussi en avis relatifs à la conduite des affaires domestiques et civiles, exhorte à la sérénité d’esprit, au contentement habituel de son sort, donne des règles de prudence à suivre dans le commerce des supérieurs et des grands. Elle vante surtout les avantages de la sagesse, invite à sa recherche, montre son origine, dit qu’elle est née de la bouche du Très-Haut, qu’elle remplit l’étendue des cieux et la profondeur de l’abîme, qu’elle habite parmi les nations et répand ses enseignements au loin comme les rayons de l’aurore. Voir xv et xxiv. » (Welte.)
La IIe partie a pour objet l’éloge de Dieu créateur et des Saints de l’Ancien Testament, xlii, 15-li. — Après avoir donné toutes sortes de règles de conduite dans sa première partie, le fils de Sirach, dans sa seconde, 1o rend gloire à Dieu, créateur du ciel et de la terre, xlii, 15-xliii ; 2o il nous propose l’exemple des saints de l’Ancien Testament, qui ont pratiqué les vertus dont les 41 premiers chapitres nous donnent les préceptes, xliv-l, et 3o enfin il adresse à Dieu une prière d’adoration et d’action de grâces pour la sagesse qu’il a reçue de lui, li.
1o L’hymne à Dieu créateur est comme un abrégé de théodicée dans lequel l’auteur nous fait connaître les attributs divins en décrivant les merveilles du monde visible. Il termine par une allusion aux merveilles du monde invisible, xliii, 36-37. Ce trait final rappelle le Ps. xviii, dans lequel le Psalmiste, après avoir montré la grandeur de Dieu éclatant dans le gouvernement des corps célestes, nous la montre plus sensible encore dans la loi qu’il a donnée à son peuple.
2o De l’éloge de Dieu, l’Ecclésiastique passe à celui de ses saints, dans le morceau que le texte grec intitule : Hymne des pères, c’est-à-dire en l’honneur des patriarches et des saints de l’Ancien Testament, xliv-l.
3o Une prière duale, li, remercie Dieu de tous les bienfaits que l’auteur en a reçus, et spécialement du don de la sagesse. Quelques critiques ont pensé que cette prière était l’œuvre du traducteur grec, comme le prologue, et c’est probablement là-dessus que s’est appuyée la Synopsis Scripturæ Sacræ, pour avancer que le traducteur, comme l’auteur de l’Ecclésiastique, s’appelait Jésus, fils de Sirach, mais on n’a aucune raison de refuser à l’auteur primitif la composition de ce morceau [2].