La sainte Bible selon la Vulgate (J.-B. Glaire)/La Sagesse (observations préliminaires)

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(introductions, notes complémentaires et appendices)
La sainte Bible selon la Vulgate
Traduction par Jean-Baptiste Glaire.
Texte établi par Roger et Chernoviz, Roger et Chernoviz (p. 1399-1402).

LA SAGESSE

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OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES


1. Ce livre est nommé Sagesse, parce que la sagesse, c’est-à-dire la piété, la crainte de Dieu, la justice, y sont recommandées par des leçons et par des exemples. Voyez, soit dans notre Introduction historique et critique,, etc., i. IV, soit dans notre Dictionnaire universel des sciences ecclésiastiques, les preuves qui militent en faveur de la divinité de ce livre, divinité que ne reconnaissent ni les Juifs ni les Protestants.

2. La traduction latine de la Sagesse n’appartient pas à saint Jérôme ; c’est l’ancienne Vulgate, dite Italique, usitée dans l’Église avant ce Père, et faite par un auteur inconnu, sur le grec dont elle s’écarte assez souvent, mais, il faut bien le reconnaître, dans des points de peu d’importance. Nous devons ajouter qu’elle est parfois d’une certaine obscurité, qui vient de ce que son auteur ne se conforme pas toujours au latin classique, soit pour la signification des mots, soit pour la syntaxe : deux sortes d’anomalies dont nous avons dû nécessairement tenir compte dans notre traduction, rendue d’ailleurs fort difficile par les exigences si rigoureuses de la langue française.

3. Il y a surtout dans les passages où est rapportée la plaie des ténèbres dont Dieu frappa l’Égypte, plusieurs circonstances qu’on ne trouve pas dans les livres de Moïse ; mais ce serait une injustice d’accuser l’auteur de les avoir inventées ; il avait pu les apprendre par le canal sûr d’une tradition reconnue pour constante par les Juifs de son temps, sous les yeux desquels il écrivait, et qui n’auraient pas manqué de s’élever contre lui et contre son ouvrage, s’il y avait eu lieu de l’accuser de faux. Si Moïse a passé sous silence ces circonstances si dignes cependant d’être remarquées, c’est que d’ailleurs il en avait assez dit pour faire connaître la force et la puissance de Dieu. Il écrivait dans un temps où l’on ne pouvait ignorer aucune des merveilles que Dieu avait opérées en Égypte ; il en a rapporté quelques-unes, et il a laissé les autres pour être transmises par les pères à leurs enfants de génération en génération. Par cette voie même, elles ont pu parvenir à la connaissance de l’auteur de ce livre qui s’en est servi dans le dessein de faire voir avec quelle bonté la sagesse protège les justes qui la recherchent et s’attachent à elle, et avec quelle sévérité elle punit ceux qui la méprisent, et qui s’opiniâtrent à la rejeter. D’ailleurs, pourrait-on prouver qu’il est impossible que l’Esprit-Saint ait révélé à l’auteur de ce livre certaines circonstances que la tradition n’avait point transmises ? (J.-B. Glaire.)

* 4. Le livre de la Sagesse a été écrit en grec, d’après l’opinion universelle des critiques modernes, suivant en cela S. Jérôme. C’est de tous les écrits que contient la Bible grecque celui dont le langage est le plus pur et le plus remarquable au point de vue littéraire. Comme il est l’œuvre d’un Israélite, on y rencontre quelques hébraïsmes et le parallélisme de la poésie des Livres Saints, mais on y reconnaît en même temps un écrivain versé dans la langue grecque : il fait un usage fréquent des mots composés et des adjectifs, qui sont si rares dans les œuvres des autres Juifs hellénistes ; il se sert d’expressions qui n’ont point de termes correspondants en hébreu ; il emprunte certaines locutions à la philosophie platonicienne et stoïcienne. Ce sont là tout autant de traits qui montrent que le texte grec est le texte original.

Le style n’est pas toujours égal : très élevé et sublime dans quelques parties, comme dans le portrait de l’épicurien, ii ; dans le tableau du jugement dernier, v, 13-24 ; dans la description de la sagesse, vii, 26-viii, 1 ; etc.; incisif et mordant dans la peinture des idoles, xiii, 11-19 ; il est diffus et surchargé d’épithètes, contrairement au génie des Hébreux, dans d’autres passages, vii, 22-23.

* 5. Dans les Bibles grecques, ce livre porte le titre de « Sagesse de Salomon. » Le nom de ce roi ne se lit pas dans la Vulgate, et avec raison, car ce livre est l’œuvre d’un inconnu, non du fils de David. Il a été attribué à Salomon, parce que celui qui l’a composé, usant de fiction, s’exprime comme s’il était le fils de David, vii-ix. De là l’inscription qu’on lit en tête des Septante et l’erreur d’un certain nombre de Pères qui ont pris ce langage au pied de la lettre, mais S. Jérôme et S. Augustin ont observé avec raison qu’il n’avait pas été écrit par l’auteur des Proverbes et qu’il était bien moins ancien. C’est ce que prouvent : 1o la langue originale, qui est le grec alexandrin ; 2o les connaissances de l’écrivain, qui a vécu hors de la Palestine et fait des allusions aux sectes grecques ainsi qu’aux mœurs et aux habitudes helléniques ; 3o les citations des Septante qu’on y rencontre ; 4o les allusions historiques à une époque autre que celle de Salomon, comme le portrait des épicuriens, ii, l-6, 8 ; la peinture des arts, xv, 4, etc.

Du temps de S. Jérôme, plusieurs attribuaient le livre de la Sagesse à Philon, mais c’est à tort, car la doctrine du livre inspiré est sur plusieurs points en contradiction formelle avec les opinions contenues dans les écrits certains du philosophe juif. Quelques critiques ont attribué notre livre à Zorobabel, qu’ils regardaient comme le second Salomon, et ont voulu expliquer ainsi pourquoi les Septante lui ont donné le titre de Sagesse de Salomon ; mais leur sentiment est insoutenable, parce que Zorobabel n’a pu écrire en grec. Les savants modernes reconnaissent universellement que toutes les tentatives pour découvrir l’auteur inconnu de la Sagesse ont été infructueuses.

* 6. Cependant, si l’on ignore le nom de l’auteur, on peut du moins savoir en quel lieu il a écrit. C’est en Egypte, et très probablement à Alexandrie ; de là ses allusions à la religion égyptienne, xii, 24 ; xv, 18-19, etc. ; ses connaissances en philosophie grecque, etc. ; il était très certainement Juif et écrivait pour les Juifs, car son œuvre est remplie d’allusions bibliques qui ne pouvaient être comprises que par les enfants d’Abraham : il parle de Noé, x, 4, de Lot, x, 6, etc., sans les nommer ; il loue sa nation et connaît la loi mosaïque comme pouvait le faire seulement un Juif, iii, 8 ; xii, 7, etc.

* 7. On ne saurait dire avec la même certitude à quelle époque a vécu l’auteur de la Sagesse. Les opinions sont très partagées à ce sujet. Ce qu’il est permis d’avancer avec le plus de vraisemblance, c’est qu’il a écrit de 150 à 130 environ av. J.-C. Il est postérieur aux Septante, puisqu’il cite leur traduction du Pentateuque et d’Isaïe ; il est probablement antérieur à Philon ; les épreuves des Juifs auxquelles il fait allusion, vi, 5 ; xii, 2 ; xv, 14, se rapportent peut-être aux maux que leur fit endurer Ptolémée VII Physcon (145-117 av. J.-C.).

* 8. On peut diviser le livre de la Sagesse de plusieurs manières. La division la plus simple est la suivante : il renferme deux parties, l’une purement théorique, i-ix, et l’autre historique, x-xix. Dans la première, l’auteur considère la sagesse au point de vue intellectuel et moral ; dans la seconde, il l’étudié dans l’histoire. La marche générale de la pensée est facile à suivre, cependant les subdivisions ne sont pas rigoureusement tracées. C’est ce qui a porté des critiques à nier, les uns, l’unité de livre, les autres, son intégrité ; mais la liaison qui existe entre les divers chapitres, leur harmonie substantielle, l’uniformité générale du ton et de la manière de penser, l’identité du langage, malgré quelques différences de style, qu’explique le changement de sujet, tout cela prouve que la Sagesse est l’œuvre complète d’un seul auteur.

Ire partie : La sagesse au point de vue spirituel et moral, i-ix. La première partie du livre de la Sagesse nous montre en elle : 1o la source du bonheur et de l’immortalité, i-v ; 2o le guide de la vie, vi-ix.

I. La sagesse, source du bonheur et de l’immortalité, i-v. — 1o Ce qu’est la sagesse : elle consiste dans la rectitude du cœur, i, 1-5 ; et dans la rectitude du langage, 6-11. — 2o Origine de la mort, i, 12-ii, 23 ; elle est entrée de fait, dans le monde, par le mauvais usage que l’homme a fait de son libre arbitre, i, 12-16, l’épicurien ne cherchant qu’à jouir de la vie présente, ii, 1-9, et persécutant le juste, 10-20 ; mais le premier auteur de la mort est la jalousie du démon, 21-25. — 3o Les bons et les méchants dans la vie présente, iii-iv. Le juste est en sécurité, malgré des apparences trompeuses, iii, 1-9 ; le méchant est malheureux, 10-12 ; le contraste est complet entre l’un et l’autre ; tout tourne définitivement à bien pour le juste et à mal pour l’impie, iii, 13-iv. — 4o C’est surtout après la mort que le contraste est grand entre eux, v. La conscience condamne déjà le pécheur : v, 1-13. Dieu récompense le juste, 16-17 ; il châtie le coupable, 18-24. — Dans cette section, le passage ii, 12-20 est célèbre. Il peint, en traits frappants, la passion du Sauveur, le vrai juste, ii, 12, le Fils de Dieu, 18, condamné à une mort honteuse, 20, par les enfants du monde ; aussi tous les Pères l’ont-ils entendu de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

II. La sagesse, guide de la vie, vi-ix. — 1o Puisque tel est le résultat de la vie du sage et de l’insensé, il faut faire de la sagesse le guide de notre vie. L’auteur s’adresse spécialement aux rois, et leur dit que la sagesse doit diriger leur conduite, vi, 1-23. — 2o La sagesse est d’ailleurs accessible à tous, vi, 24-vii, 7 ; elle est la source de tous les biens, vii, 8-viii, 1, elle doit dominer et régler toute notre vie, viii, 2-16. — 3o Elle est un don de Dieu, viii, 17-24 ; de là la prière du ch. ix pour l’obtenir de lui.

IIe partie : La sagesse considérée au point de vue historique, x-xix. Après avoir montré l’excellence et la nature de la sagesse, ainsi que l’usage que nous devons en faire comme règle de notre vie, l’auteur confirme tout ce qu’il a dit par une sorte de revue historique de l’histoire du peuple de Dieu : il nous montre les bons récompensés et les méchants punis. — 1o x-xii. La sagesse est une puissance qui sauve et qui châtie, comme nous le voyons dans l’histoire primitive, d’Adam à Moïse, x-xi, 4, et dans les châtiments qu’elle attire soit sur les Égyptiens, xi, 5-27, soit sur les Chananéens, xii, 1-18 ; par cette justice, elle nous apprend qu’il faut être juste et humain, 19-27. — 2o xiii-xiv. Comme le crime principal des Chananéens était l’idolâtrie, l’auteur en décrit l’origine et les progrès, et montre combien elle est en opposition avec la sagesse. Il parle successivement de l’adoration des forces de la nature, xiii, 1-9 ; des idoles, œuvres de la main des hommes, xiii, 10-xiv, 13, et enfin des hommes divinisés, xiv, 14-21 ; il termine ce tableau en décrivant les effets déplorables du polythéisme, xiv, 22-31. — 3o xv-xix. Il revient alors de nouveau aux plaies de l’Egypte et s’en sert pour faire ressortir le contraste qui existe entre les adorateurs du vrai Dieu et les païens : c’est par là que cette dernière subdivision se rattache à ce qui précède. Il signale en premier lieu le contraste en général, xv, 1-17, et puis spécialement le contraste qui se manifeste, d’une manière si éclatante, entre les fidèles serviteurs de la sagesse et les Égyptiens adonnés à l’idolâtrie, lorsque Dieu afflige ces derniers par toute sorte de plaies, tandis que les premiers en sont affranchis. Le Seigneur emploie contre les adorateurs des animaux et de la nature l’action des bêtes, xv, 18-xvi, 13, et celle des forces de la nature, l’eau et le feu avec les ténèbres, xvi, 14-xviii, 4 ; enfin la mort, xviii, 5-xix, 5. Dans sa conclusion, l’auteur montre les Hébreux fidèles sauvés, et ceux d’entre eux qui désobéissent à Dieu punis, xix, 6-20.