La surcharge des élèves en Allemagne

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La surcharge des élèves en Allemagne
Revue pédagogiquenouvelle série, tome VI (p. 174-178).

La surcharge des élèves. — Cette question semble avoir perdu un peu de son importance en Allemagne. Les discussions sont moins vives et la presse en semble moins préoccupée depuis la publication des rapports si considérables de la commission d’enquête constituée par le ministère prussien et de la commission médicale. Pendant bien des semaines, aucune des feuilles qui jetaient feu et flammes contre l'excès de travail sous lequel on écrasait les écoliers allemands n’a publié ni mentionné ces importants rapports. Mais ils ont fini par être connus ; les faits et les statistiques qu’ils contiennent ont ramené les plaintes à leurs justes proportions, et l’on a reconnu que s’il y a çà et là des abus, des intempérances, le mal n’est pas si grave ni si inquiétant qu’on l’avait cru d’abord.

Le sujet n’est pourtant pas épuisé pour cela, et pas plus tard que le mois dernier plusieurs des revues et journaux pédagogiques de l’Allemagne s’en entretenaient encore.

La Magdeburger Zeitung propose son remède. C’est de nommer, parmi les pères de famille qui envoient leurs fils au collège, ou parmi les citoyens de toute commune qui entretient des écoles supérieures ou secondaires, un comité qui ait la charge de veiller sur la distribution du travail aux écoliers, et de s’entendre à cet effet avec les directeurs et professeurs des établissements. Ceux-ci seraient mis en état de mesurer leurs exigences sur les possibilités et les circonstances de la vie de famille. Un bon maître y trouverait l’appui nécessaire, un maître inexpérimenté y rencontrerait les directions ou les barrières dont il aurait besoin, et de cette délibération commune sortirait le bien des enfants.

Pourquoi, dit l’auteur de cette proposition, le personnel enseignent serait-il blessé de cette collaboration des pères de famille ? Est-ce que les théologiens ne subissent pas les conseils presbytéraux et synodaux, le juriste le tribunal des échevins et des jurés, le médecin les autorités de police communales et nationales, et ainsi de suite ? L’éducation et l’instruction de nos enfants, à laquelle nous avons tous un si grand intérêt, ne comporterait pas l’adjonction d’hommes d’expérience, bien qu’ils n’aient pas qualité pour enseigner ? D’ailleurs, l’expérience se fait dans le pays de Bude et y réussit parfaitement.

D’autres feuilles demandent la « création d’une inspection médicale constante et de médecins attachés spécialement à chaque établissement pour y surveiller la santé des écoliers et le degré de travail qu’ils peuvent supporter. Il paraît évident que ces précautions risquent de tomber dans l’excès opposé à celui qu’on veut combattre.

Les Rheinische Blätter contiennent une intéressante étude de M. J. Merz sur la surcharge de travail dans les Realschulen, ou écoles d’enseignement spécial. M. Merz pense que les méthodes ne sont pas bonnes, et qu’avec de bonnes méthodes on arriverait à soulager singulièrement les élèves. Les travaux de composition allemande sont trop difficiles ; les sujets sont trop élevés pour l’âge des enfants, dépassent trop le cercle de leur expérience. Il faudrait s’en tenir, pour les sujets qu’ils doivent traiter par écrit, à ce qu’ils connaissent déjà à fond, à ce qui est réellement devenu leur propriété intellectuelle ; il serait bon qu’ils eussent déjà développé oralement le sujet avant de le coucher par écrit, de façon à n’avoir pas besoin de brouillon. En écrivant immédiatement au net on supprime autant d’écritures inutiles.

Quant aux élèves plus jeunes, des dictées ou de petits exercices de style seraient suffisants.

L’enseignement des langues étrangères gagnerait également à être donné dans un meilleur esprit : de nombreuses et correctes traductions dans la langue maternelle, plus de lecture et moins de grammaire, des exercices pratiques au tableau noir, devant toute la classe, et peu de travaux écrits pour la maison, tout au plus deux ou trois phrases qu’on fera certainement avec facilité et avec plaisir.

M. Merz s’élève contre les longues préparations au logis à coup de dictionnaire ; il préfère les lectures en classe à livre ouvert, qui permettent aux élèves de mesurer leurs forces, de s’intéresser à leurs auteurs, et qui permettent au maître de supprimer ou de diminuer les travaux à faire à la maison. Ces travaux, d’après son plan, se réduisent aux proportions les plus modestes ; il ne veut pas de rédactions religieuses, de rédactions d’histoire, de cartes de géographie ; il ne faut tracer ces dernières qu’en classe, et encore avec une certaine modération. De même pour l’histoire naturelle, la chimie, la physique : les travaux écrits, les exercices de mémoire, les longues nomenclatures ne sont d’aucune utilité dans ce genre d’études.

M. Merz redoute également les examens écrits qui terminent Je trimestre, le semestre ou l’année, et qui peuvent être l’occasion d’études fatigantes, de répétitions, de travaux excessifs qui constituent précisément la surcharge dont on se plaint. Les examens oraux, pour les matières qui donnent lieu à narrations ou à descriptions, produisent assez souvent les mêmes inconvénients.

Peut-être qu’à force de craindre la surcharge et de diminuer les travaux des écoliers en dehors des classes, on comblerait les vœux de ceux qui ne demandent qu’à ne rien faire ; mais habituerait-on bien la jeunesse au travail, à l’effort, à la recherche ? Nous en doutons. Le travail personnel, solitaire, réfléchi, est un des éléments les plus considérables de l’éducation. À le supprimer ou à l’affaiblir, on perdrait plus qu’on ne gagnerait.

M. le Dr H. Schiller, directeur du gymnase de Glessen, ne va pas aussi loin. Dans une longue et substantielle étude que publie la Zeitschrift für das Gymnasialwesen, il réduit à leur juste valeur les plaintes hyperboliques sur la surcharge dont seraient victimes les écoliers de l’Allemagne. Il constate que le nombre des heures de classe et d’étude n’a pas augmenté et que les générations antérieures en avaient davantage ; qu’en 1837 déjà on trouvait plus d’incapables au service militaire parmi les étudiants que dans la jeunesse artisane ou commerçante. IL redoute l’établissement d’une inspection médicale qui imposerait aux écoles et aux collèges des exigences peu fondées, peu pratiques ; mais il pense qu’il serait bon de donner aux jeunes maîtres des notions précises et sûres d’hygiène scolaire qui leur ont fait défaut jusqu’à présent, et qui suffiraient à écarter les défectuosités signalées dans la distribution de l’air, de la lumière, de l’espace et des exercices corporels.

À ce propos, le directeur du gymnase de Giessen se déclare partisan de la suppression des classes d’après-midi. Il parle par expérience, ces classes ayant été supprimées complètement dans l’établissement qu’il dirige. Les classes du matin sont plus nombreuses, prennent cinq heures de suite, mais ne durent pas une heure entière et sont coupées par de légers repos, de 10 à 15 minutes. La dernière classe ne dure que 40 minutes, afin que les élèves qui demeurent loin aient le temps d’arriver chez eux à l’heure du repas. Cette dernière classe est suivie avec autant d’attention et d’intérêt que les précédentes. Dans le semestre d’hiver, elle est de 52 minutes, et l’on n’a remarqué aucun inconvénient à cette prolongation.

Le Dr Schiller déclare que son expérience de plusieurs années lui a démontré que trois quarts d’heure de travail énergique valent mieux qu’une heure de présence inerte, et qu’il est facile d’obtenir des maîtres et de la jeunesse ce travail actif pendant toutes les classes de la matinée. Les intervalles peuvent être remplis par quelques exercices de gymnastique, sous la direction d’un maître, mais facultativement.

L’après-midi reste donc libre, est consacrée à la vie de famille, aux exercices de natation pendant l’été, de patinage pendant l’hiver.

Il ne faut pas oublier que l’Allemagne ne connaît pas d’internats, ou qu’ils y sont des exceptions dont on ne tient pas compte. Il faut avouer que, dans ces conditions, les écoliers ne paraissent pas trop à plaindre. Mais les exigences des études et des examens ne leur permettent certainement pas de jouir de toute la liberté que semble leur donner cette organisation, et le Dr Schiller reconnaît que sur certains points, on peut avec vérité parler de surcharge.

A quoi cela tient-il ? Jadis, au xvie siècle par exemple, les écoliers étaient bien plus accablés de classes, de devoirs, de leçons à apprendre par cœur ; les méthodes étaient plus mécaniques, les salles plus étroites. Néanmoins on entend des plaintes sur le zèle des élèves, jamais sur leur santé. La cause en est peut-être dans une moindre préoccupation de cet intérêt si considérable, dans des habitudes de vie plus dure, plus tranquille, moins agitée, moins nerveuse. Il faut y joindre aussi les ébats tumultueux au grand air : on vivait dans des villes relativement petites, dont on sortait en peu de minutes pour se trouver en pleine campagne ; les remparts, la place de l’église ou du marché offraient à tout instant l’espace libre nécessaire aux jeux. Les promenades d’aujourd’hui dans les grandes cités et les heures de gymnastique ne fournissent pas un équivalent. C'est à ce point de vue que l’auteur de cette étude insiste sur la nécessité de laisser libres les après-midi.

Mais ce qui le frappe surtout, c’est le fait qu’il y avait, jusqu’à notre siècle, unité profonde et simplicité dans le cycle des études, Un même maître enseignait tout ; le latin était le centre et le lien commun de toutes les sciences ; l’éducation que recevaient les écoliers avait souvent pour objet de les habituer au travail, de leur donner un caractère ferme et bien trempé ; les rapports entre les maîtres et les élèves étaient plus étroits, les classes moins nombreuses, les objets d’étude moins compliqués que de nos jours. De là une sorte de calme des esprits, de sérénité, de force qui contraste avec la fièvre, La hâle, la multiplicité, souvent la confusion et la surcharge dont les établissements modernes offrent l’exemple.

Le Dr Schiller reconnaît qu’on ne peut songer en aucune façon à revenir à ces temps passés, et qu’un autre siècle a d’autres besoins ; mais il cherche, par une étude attentive des programmes actuels, si l’on ne pourrait élaguer les branches parasites ou trop touffues, établies dans ces matières nombreuses, dans ces disciplines multiples qui font tour à tour appel à l’attention des enfants, une sorte de hiérarchie, d’ordre, de lien, d’unité. Il voudrait ramener les études à deux types : les lettres, contenant la littérature proprement dite, nationale, antique, étrangère, l’histoire, la religion, et d’autre part les sciences naturelles, les mathématiques, la physique, la chimie. Chacune de ces deux séries de branches serait enseignée par un seul professeur ; la géographie, qui participe de ces deux ordres, passerait tour à tour, d’un professeur à l’autre, chacun l’enseignerait une année à son point de vue spécial, soit historique, soit naturel. C’est tout au plus dans les hautes classes qu’on devrait admettre un plus grand nombre de professeurs, et encore avec la plus grande réserve.

Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des réformes, des suppressions et déplacements que l’auteur énumère et justifie. Bornons-nous à la remarque sur laquelle il insiste avec beaucoup de raison : c’est que l’éducation des gymnases s’adresse à des enfants et non à des étudiants, qu’elle ne devrait jamais perdre son caractère scolaire élémentaire, pédagogique, jamais empiéter sur la spécialité scientifique, sur les études universitaires. Ce sont des enfants qu’il s’agit de former, de préparer à la vie, à l’étude, au travail, et non des savants en herbe qu’on doit bourrer des plus nouveaux résultats de la science. Au lieu de disperser, d’étonner, d’étourdir leurs esprits, il vaut mieux les concentrer, les fortifier, les confier à des maîtres moins nombreux, mais mieux préparés à élever des enfants.

La conclusion pratique de ce travail, c’est qu’il convient de donner aux futurs maîtres une éducation pédagogique, de modifier les examens qui donnent entrée dans la carrière, de faire des professeurs capables de discerner ce que demande l’enseignement de la jeunesse, plutôt que des spécialistes voués sans distraction à une seule étude, et qui accablent les enfants de fardeaux disproportionnés à leur âge et à leur vocation.