La taverne du diable/La lettre anonyme

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Éditions Édouard Garand (22 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 41-46).

IX

LA LETTRE ANONYME


Après la terrible alarme qui l’avait mise sur pied en une seconde, la ville de Québec avait repris toute sa tranquillité ; et vers les trois heures de cette même nuit, on eût pensé que cette cité qui, quelques heures auparavant avait été si tapageuse, était maintenant tout à fait inhabitée.

À la boutique de la rue Saint-Pierre on s’était couché très tard cette nuit-là.

Après que Cécile eut constaté la disparition de Miss Tracey, ce fut Lambert qui s’informa de Mme Daurac. Cécile jeta un cri d’effroi : pour la première fois depuis l’alerte, elle pensa à sa mère. Terriblement émus tous les deux, Cécile et Lambert ne virent plus Mme Daurac. Elle n’était pas dans les pièces du rez-de-chaussée. Elle n’était pas non plus dans sa chambre de l’étage supérieur. Une violente angoisse mordit le cœur de Cécile. Mais Lambert eut une idée : il prit la bougie et descendit à la cave. Il y trouva Mme Daurac qui, étendue sur une pile de draps et de velours qu’elle y avait emménagés depuis quelques jours, gémissait doucement.

Mais Lambert la rassura en peu de temps, puis, aidé de Cécile, il la fit remonter au rez-de-chaussée.

Alors Cécile s’était mise à rire.

Mais Mme Daurac n’avait guère d’humeur pour la plaisanterie. Elle rudoya Cécile, la réprimanda et, sur les conseils de Lambert, elle monta à sa chambre.

Lambert s’occupa ensuite de remettre en état, autant que possible, le volet brisé par Lucanius. Dans la fenêtre il cloua des planches. Puis en compagnie de Cécile il prit une légère collation et s’en alla. Il passait minuit.

Cécile, très fatiguée aussi, monta à sa chambre. Ce ne fut pas long qu’elle dormit d’un sommeil profond, mais d’un sommeil plein d’un rêve exquis : Cécile rêvait qu’elle épousait enfin son Lambert, devenu capitaine, et qu’elle vivait heureuse… très heureuse…

Aux petites heures du jour suivant elle fut réveillée en sursaut par le bruit du heurtoir de la porte d’arrière.

Qui cela pouvait-il être ?

Avant de se lever elle prêta encore l’oreille.

Le heurtoir résonnait sans cesse.

— Cécile, cria Mme Daurac de la chambre voisine, n’entends-tu pas qu’on frappe à la porte ?

— Oui, maman, je me lève et je cours voir qui est là.

Elle s’enveloppa rapidement d’une robe de matin, enfouit ses petits pieds dans des mules en fourrure d’hermine, et descendit.

Avant d’ouvrir la porte elle demanda :

— Qui est là ?

— Ouvrez, mademoiselle, répondit une voix que la jeune fille pensa reconnaître, c’est le général Carleton qui m’envoie.

— Le général Carleton, dites-vous ? demanda Cécile très surprise et croyant avoir mal entendu.

— Oui, mademoiselle.

— C’est bien… j’ouvre !

Elle tira les verrous, fit jouer une énorme clef dans la serrure et ouvrit la porte massive.

Dans la diffuse clarté du matin elle aperçut trois hommes : l’un portant l’épée, les deux autres des fusils en bandoulière. Elle reconnut de suite le lieutenant Turner accompagné de deux soldats d’infanterie. Puis elle remarqua que la neige commençait de tomber par petits flocons serrés.

Cécile, très troublée par cette visite inattendue, s’écarta pour laisser entrer ces militaires.

Turner remarqua le trouble de Cécile et il esquissa un sourire mystérieux.

— Pardon, mademoiselle, de vous déranger à une heure si matinale !

— Mais que me veut donc le général ? interrogea la jeune fille un peu inquiète.

— Il désire vous voir sans faute et le plus tôt possible.

— Mais encore, savez-vous pour quelle raison il désire me voir ?

— Je n’en sais pas la raison, mademoiselle.

— Mes ces soldats ?… fit Cécile de plus en plus étonnée et inquiète.

— Ces soldats, mademoiselle, vous accompagneront au Château, tandis que moi je ferai mon rapport ici, c’est-à-dire sur les lieux mêmes, si vous le permettez.

— Votre rapport ! dit Cécile qui croyait faire un rêve.

— Eh bien ! répliqua avec un sourire légèrement railleur Turner, votre domicile n’a-t-il pas été violé la nuit dernière par un intrus ! N’a-t-on pas enfoncé une fenêtre de votre boutique ?

— C’est vrai, répondit Cécile qui se tranquillisa.

— Or, le général m’a ordonné de décrire les lieux, de calculer les dommages causés et de faire rapport ; donc, si vous permettez…

— C’est bien, dit Cécile. Entrez dans cette salle, il y a une table. Par cette porte dont les vitres ont été cassées, vous entrerez dans la boutique et vous y constaterez les dégâts.

Turner suivit Cécile dans la salle, alluma la lampe de suspension à même le feu de la bougie que Cécile tenait à la main, puis dit avec satisfaction :

— All right, mademoiselle.

— Si vous avez froid, dit encore Cécile très aimablement, vous pourrez réveiller les braises endormies de la cheminée.

Turner, qui n’avait certes pas trop chaud, suivit le conseil de la jeune fille, tandis que celle-ci remontait à sa chambre pour s’habiller.

Dix minutes après elle descendait prête à suivre les deux soldats.

Elle vit Turner assis à la table de la salle et qui paraissait réfléchir. Elle dit :

— Maman va descendre tout à l’heure. Si vous aviez besoin de quelque chose, elle se fera un vrai plaisir de vous être utile.

— Merci, mademoiselle, répondit courtoisement Turner.

Et Cécile s’en alla avec les soldats.

Dès qu’elle fut sortie, Turner se leva et s’approcha de la cheminée. Il jeta d’abord un regard perçant derrière la pendule… puis il y glissa doucement la main. Il tressaillit. Derrière cette pendule il n’y avait rien… aucun plan !

— Damned ! murmura-t-il. Cette lettre à Carleton était “one good fake !”

Il se mit à fouiller tous les coins de la pièce : nul plan n’était là.

Il se mit à ricaner avec sarcasme. Là-haut il entendit marcher Mme Daurac.

Turner se rapprocha encore de la cheminée.

— On l’aura peut-être enlevé de là ? se dit-il. Si je demandais à la vieille… Ah ! au diable ! ajouta-t-il après réflexion. On m’a dit de regarder derrière la pendule, on ne m’a pas ordonné de mettre toute la maison sens dessus dessous. Au diable ! je m’en vais…

Et il s’en alla, au moment où Mme Daurac descendait de sa chambre.

La vieille femme demeura toute stupéfaite du départ si subit de son hôte qu’elle n’eut pas même le temps d’apercevoir.

Elle hocha la tête, puis verrouilla la porte et tourna la clef dans la serrure…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Cécile avait suivi les deux soldats dans le matin froid et neigeux, et elle avait été introduite dans une antichambre du Château Saint-Louis. On la fit asseoir près d’un bon feu, et on lui dit d’attendre.

Elle attendit, à se morfondre, durant deux longues heures, si bien qu’à la fin elle commença de s’inquiéter. Dans le profond silence qui pesait sur le château, elle ne cessait de prêter l’oreille avec l’espoir d’entendre quelqu’un venir la chercher pour la conduire auprès de Carleton. Elle s’imaginait même de temps à autre voir Carleton en personne se présenter. Car elle connaissait bien Carleton et Carleton connaissait bien Cécile. Elle savait également l’estime du général anglais pour les Canadiens, mais plus particulièrement pour les Canadiennes de bonne famille et jolies. Oh ! Cécile n’était pas vaniteuse, seulement, comme toute femme, elle avait elle aussi sa petite coquetterie. Elle se savait jolie… que de regards admiratifs le lui avaient dit ! Que de jeunes hommes, qui venaient à la boutique de la rue Saint-Pierre, lui avaient décoché maints compliments ! Combien d’entre eux — Cécile pouvait en compter des centaines rien que sur le bout des doigts — avaient soupiré après sa jolie petite main, qui déroulait si gentiment les pièces de drap, de dentelle, de soie ! Donc, Cécile pouvait bien penser que Carleton — tout gros personnage qu’il était — s’il avait affaire à la jeune fille en rapport avec cet incident de la nuit passée, pourrait bien condescendre à venir en personne et sans apparat interroger Cécile !…

Huit heures sonnèrent… c’était le premier bruit qu’entendait Cécile dans cette grande habitation qui lui avait paru tout à fait solitaire. Et ce bruit de pendule, cette sonnerie venait d’une pièce voisine, une pièce dont elle devina la porte que masquait, une lourde tenture. Mais comment n’avait-elle pas entendu la sonnerie de sept heures ?… Tout simplement parce que derrière la tenture la porte avait été ouverte durant une minute, et un personnage avait durant cette minute épié la jeune fille qui ne pouvait se douter de rien. Mais au carillon de la pendule, le personnage mystérieux referma doucement la porte. C’est alors que le regard de la jeune fille découvrit la tenture, car cette tenture avait remué un peu…

Et Cécile regardait encore cette tenture, que la porte par laquelle elle était entrée s’ouvrit et qu’un domestique parut.

Le domestique s’inclina et dit :

— Si mademoiselle veut me suivre…

Cécile marcha sur les pas du domestique, qui la conduisit le long d’un large corridor et s’arrêta devant une porte à laquelle il frappa doucement.

Un valet ouvrit de l’intérieur.

Cécile pénétra dans une grande pièce richement meublée, et cette pièce lui parut une salle d’audiences. Elle vit Carleton, en uniforme militaire, assis derrière une grande table et occupé à lire des parchemins. Il était seul. Sous la table un grand lévrier était couché, le museau allongé sur les pattes. À la vue de la jeune fille le chien cligna des yeux, agita ses longues oreilles, puis feignit de dormir…

Le valet, qui avait ouvert la porte, se retira de suite.

Sans lever la tête Carleton prononça :

— Approchez, mademoiselle Cécile !

Le ton du général parut bienveillant. Mais Cécile remarqua que son visage était froid. Elle avança près de la table.

Le général, alors, leva les yeux, esquissa un léger sourire, se renversa dans son large fauteuil et dit en désignant un siège à sa droite :

— Veuillez vous asseoir, mademoiselle.

Cécile obéit. Elle était très calme, maître de tous ses gestes. Elle regarda tranquillement Carleton en attendant qu’il exprimât le motif qui l’avait fait mander.

Le général prit une lettre sur sa table, la parcourut d’un regard rapide, haussa les épaules avec une sorte d’ennui, et reprit :

— C’est bien probablement un jeu puéril que nous faisons là, mademoiselle ; et si ce n’était de cet incident bizarre qui s’est produit chez vous la nuit dernière, je n’accorderais aucune considération à ce papier.

Cécile, toujours calme, regardait le général, puis le papier qu’il tenait à la main sans comprendre. Comment aurait-elle pu comprendre ?…

Carleton lui décocha à la dérobée un regard perçant. Puis il sourit presque imperceptiblement pour demander aussitôt :

— Mademoiselle, savez-vous que nous avons parmi notre population de la ville des traîtres ?… des gens qui profitent de l’amitié et de la confiance que nous avons mises en eux pour nous vendre aux Américains, ou nous livrer en leur ouvrant les portes de la ville ? Savez-vous cela, mademoiselle ?

— Je le sais, répondit Cécile sur un ton ferme.

Carleton tressaillit.

— Ah ! ah ! fit-il seulement.

Puis il parut méditer.

Après un silence il demanda encore :

— Savez-vous aussi qu’on a volé un plan de nos armements et de nos défenses, un plan qui avait été préparé par le major Rowley et qu’on a essayé de vendre aux Américains, et plus particulièrement à un certain major Lucanius ?

— Je sais mieux que tout cela, général, répliqua Cécile : ce plan n’a pas été volé, puisqu’il était la propriété de la personne même qui l’a fait.

— Mais ce plan avait été fait pour nous.

— Je sais, mais celui qui l’a établi s’en croyait peut-être le maître !

— Soit. Mais savez-vous quel était le but de cette personne en s’appropriant le plan ?

— De le donner à une autre personne qui avait été chargée de le vendre aux Américains.

— Mais il n’a pas été vendu encore.

— Je le sais bien, puisque je connais la personne qui a empêché ce plan de sortir de la ville.

— Vraiment ? fit Carleton avec surprise.

Sa surprise venait du fait de trouver devant lui une jeune fille accusée de trahison et qui, néanmoins, demeurait si calme et qui parlait avec une telle sincérité. Il devina de suite que cette lettre de dénonciation était une imposture. Tout de même, pour ne rien laisser au hasard, il reprit :

— Avant d’aller plus loin dans cette question, je vais vous donner lecture d’une lettre anonyme. De fait, je ne devrais faire aucun cas de cette lettre ; mais je constate, par ce que vous savez, que vous pourrez m’être grandement utile pour découvrir la vérité là où elle se cache.

— Je vous écoute, général.

Carleton lut :

« Monsieur le Gouverneur,

« Je me permets de vous informer qu’un complot a été ourdi dans le but de livrer aux Américains, et au major L… en particulier, un plan militaire de la ville qui a été préparé par l’ingénieur Rowley. Je ne connais pas tous les personnages qui font partie du complot, mais j’en connais l’un des principaux : c’est une jeune fille canadienne domiciliée rue Saint-Pierre et qui s’appelle Cécile Daurac.

Cécile fit un saut sur son siège, rougit violemment et voulut protester. Mais d’un geste et d’un sourire Carleton lui imposa silence et continua la lecture de la lettre :

« Si vous vous donnez la peine de faire chez elle une perquisition, vous découvrirez, dissimulé derrière la pendule placée sur la tablette de la cheminée, le plan en question. Je vous prie de noter de suite que l’espion, qui est entré dans la ville cette nuit, a pénétré dans le domicile de Cécile avec qui il avait des accointances ou des ententes préalables. Notez aussi que si l’espion a échappé à vos soldats, c’est parce que Cécile Daurac lui a donné les moyens de se dérober aux recherches. Un autre personnage du complot, c’est le lieutenant Jean Lambert qui, sans un ordre de ses supérieurs, a déplacé le lieutenant Turner à la dernière barricade qui bloque le sentier conduisant à Près-de-Ville. Or, Lambert avait intérêt à remplacer lui-même Turner, afin de protéger ceux qui allaient sortir ou entrer dans la ville ».

Carleton se tut et regarda longuement Cécile. Et elle, elle regardait également le général, mais elle était si stupéfaite, si troublée, si indignée même, qu’elle ne pouvait émettre un son de ses lèvres qui avaient pâli.

Carleton sourit et dit en jetant le papier sur sa table :

— Ceci, mademoiselle, est signé UN PATRIOTE.

— Quel menteur que ce Patriote ! gronda la jeune fille en frémissant de courroux.

— Il a certainement menti sur un point : ce plan dissimulé derrière la pendule chez vous. Or, j’ai fait faire une perquisition, et le plan n’était pas là !

— Par Turner, n’est-ce pas ?

— Oui. — Eh bien ! monsieur le gouverneur, le plan a été enlevé de la tablette par une autre personne ! dit Cécile en souriant.

Carleton bondit.

— Quoi ! s’écria-t-il, allez-vous me dire que le plan dont parle la lettre était réellement dans votre maison et derrière cette pendule de la cheminée ?

— Puisqu’on vous l’a écrit, sourit encore Cécile, cela doit être vrai ! Seulement, je dois vous faire observer que ce n’est pas moi qui ai déposé ce plan derrière la pendule !

— Non ?… fit Carleton excessivement médusé.

— C’est la même personne qui allait le livrer au major L… Cette personne a été arrêtée à la barricade dont fait mention cette lettre, puis elle a été amenée chez moi pour demeurer sous ma surveillance en attendant que vous eussiez été prévenu.

— Oh ! oh ! quelle histoire me racontez-vous là, mademoiselle Cécile ?

— Général, la mienne, mon histoire est vraie, je vous prie de le croire, répliqua fortement Cécile.

— C’est bien, je vous crois, sourit le général. Continuez.

— Or, peu après que cette personne eut été amenée chez moi, s’est produite l’alarme qui a bouleversé la cité endormie. Remarquez que cette personne, qui se trouvait comme prisonnière, possédait sur elle une pièce à conviction très dangereuse.

— En effet.

— Et je me rappelle avoir laissé cette personne seule avec ma mère dans la pièce où le plan a été déposé, et ma mère, à demi morte de peur, ne pouvait surveiller les mouvements de l’étrangère qui était là.

— C’était une étrangère ? fit Carleton très intéressé.

— Ai-je dit une étrangère ? demanda Cécile en rougissant. Et bien ! c’est vrai, puisqu’il faut dire la vérité. Alors est survenu ce vacarme devant notre boutique, puis j’entendis que notre volet était enfoncé, que la fenêtre était brisée… Je saisis une bougie et je me précipitai vers la boutique. Devant moi la porte vitrée fut à son tour cassée et un inconnu bondit, me renversa, et s’enfuit par la porte d’arrière de notre maison.

— C’était l’espion ? demanda Carleton.

— Je ne sais pas. Je tombai et ma bougie s’éteignit subitement. Je n’eus pas le temps de voir l’homme. Mais des soldats venaient en même temps d’envahir notre domicile, ils pensaient que l’espion, comme ils appelaient aussi l’inconnu, était caché dans la maison. Mais non. Ils s’en allèrent bientôt alors que la foule de badauds au dehors se mettait à crier : L’espion ! l’espion !… Alors, général, je constatai que la personne qui était ma prisonnière, avait disparu.

— Tiens ! fit Carleton vivement intéressé. Pourtant, reprit-il aussitôt, vous ne m’avez pas dit le nom de la personne qui vous avait confié la surveillance de cette « étrangère », comme vous l’avez appelée vous-même.

— Non ?… C’était Lambert.

— Ah ! ah !…

— Or, cette « étrangère » savait que Lambert et moi avions découvert sa trame ou tout au moins une partie de cette trame, elle me redoutait et me haïssait, elle trouva donc une opportunité de se venger de moi en essayant de m’incriminer tout en se débarrassant d’un parchemin dangereux. Est-ce clair, général ?

— Ce serait plus clair si vous m’instruisiez maintenant du nom de cette personne… cette « étrangère ».

— Je ne suis pas une dénonciatrice, mais pour me disculper, je la dénoncerai, si c’est nécessaire.

— C’est absolument nécessaire, mademoiselle, répondit gravement Carleton.

— Général, cette personne s’appelle Miss Tracey Aikins.

— Miss Tracey ! s’écria Carleton avec stupeur.

— Et les autres personnages de ce complot, puisque je dois me défendre et sauver en même temps la réputation de Jean Lambert, ce sont John Aikins, le major Rowley…

— Le major Rowley !… s’écria Carleton en se levant cette fois.

— Eh bien ! fit Cécile en riant, Rowley n’est-il pas le neveu de Lymburner ?

— C’est vrai, admit Carleton en se rasseyant, je savais que Lymburner est partisan des Américains. Mais de là à nous livrer…

— Sachez que Lymburner est la tête qui a combiné cette trahison !

— Mais diable ! s’écria Carleton avec admiration, voulez-vous m’expliquer comment vous avez pu découvrir toute cette trame ?

— Général, ce n’est pas moi qui suis l’auteur de cette trouvaille, c’est Jean Lambert. Lambert avait d’abord été mis au courant d’une partie de la trame par un hasard ; puis Miss Tracey, enfin, a tout avoué.

— À présent dites-moi si vous ne soupçonnez pas quelqu’un d’avoir enlevé de la cheminée chez vous le plan du major Rowley ?

— Je ne soupçonne personne, et je ne peux savoir qui a eu intérêt à prendre ce plan, attendu que j’ignorais que ce plan eût été déposé là. C’est cette lettre anonyme qui m’en a informée.

— Ne serait-ce pas l’espion qui est entré chez vous ?

— C’est impossible, il n’a fait que passer comme un coup de vent. Ensuite, l’acte de Miss Tracey n’avait pas été prémédité, puisqu’elle ne savait pas que ce soir-là elle serait amenée chez moi ! Donc l’espion ne pouvait savoir que le plan était là.

— C’est juste, dit Carleton.

Il se mit à réfléchir profondément.

Quelques minutes s’écoulèrent.

Puis le général appuya sur un timbre.

Un valet se présenta.

— Donnez des ordres, dit le général, pour que soient mandés immédiatement le major Rowley et le lieutenant Lambert.

Le valet s’inclina et sortit.

— Mademoiselle Cécile, reprit Carleton, je vais vous faire conduire au réfectoire où une des femmes de service tous offrira l’hospitalité, en attendant que nous ayions tiré au clair toute cette histoire de complot et de trahison.

De nouveau il frappa le timbre.

Un autre valet entra.

— Tommy, dit le général, conduisez mademoiselle Cécile au réfectoire et faites prévenir Miss Hacket de se tenir à la disposition de mademoiselle.

Cécile remercia le général, fit une belle révérence et suivit le valet.