La taverne du diable/La victoire des armes et la victoire de l’amour

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Éditions Édouard Garand (22 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 74-75).

XVIII

LA VICTOIRE DES ARMES ET LA VICTOIRE DE L’AMOUR


Si Cécile avait été sauvée de la mort affreuse à laquelle l’avait vouée Miss Tracey, elle pouvait en remercier non seulement Lambert, mais aussi la mémoire de ce soldat américain. Car si ce soldat n’eût pas été là, et si Lambert eût seulement retardé de dix minutes, l’explosion aurait eu lieu sans aucun doute. Il est vrai que Lambert était arrivé à temps, et c’était au moment où le soldat américain, ayant cru qu’on voulait le faire sauter, avait tout simplement retiré la mèche du baril de poudre.

N’importe ! Cécile était bien saine et sauve cette fois et pour toujours.

Seulement, comme Lambert avait deviné les projets de Miss Tracey et après que Cécile l’eut confirmé dans ses soupçons en lui disant le genre de mort qu’on lui avait destiné, il ne demeura pas longtemps dans la baraque de l’impasse.

— Filons et vite ! avait-il dit à Cécile.

En courant tous deux, ils avaient gagné la rue Champlain. Puis ils s’étaient arrêtés, essoufflés, pour attendre l’explosion.

Ils s’étonnèrent grandement tous deux.

— Il faut croire, dit Lambert, que la mèche s’est éteinte !

À ce moment une voix sonore et joyeuse criait à quelques pas de là :

— Victoire, mes enfants !

Lambert et Cécile virent le capitaine Dumas qui accourait.

— Les Américains sont battus ? demanda Cécile.

— Battus ! fit Dumas, je vous crois… toute l’armée d’Arnold est prisonnière ! Entendez les cloches qui sonnent joyeusement à toute volée !

— C’est vrai ! dit Lambert.

— Mais vous autres ? interrogea Dumas, d’où diable sortez-vous ?

En peu de mots Lambert narra son duel avec Lucanius, puis l’incendie de la taverne.

— Ce diable de Lucanius, dit Dumas avec admiration, était un brave tout de même.

— Un vrai héros ! prononça Lambert avec non moins d’admiration.

— Et vous Cécile, demanda encore Dumas, vous que je croyais tout le temps au Château jusqu’au moment où je vous ai vue sur la rue Champlain ?

Nous nous rappelons en effet que Cécile quelques jours auparavant avait été frappée d’un coup de poignard par le major Rowley, et que Carleton avait ordonné qu’elle fût soignée par le chirurgien du Château. La blessure n’était ni profonde ni grave, seulement il fallait, comme avait dit le chirurgien, quelques jours de repos. Carleton avait envoyé chercher Mme Daurac afin qu’elle demeurât près de sa fille en attendant sa guérison.

Or, le matin où la ville était attaquée par les Américains, Cécile était presque guérie. Depuis deux jours déjà elle était debout, et elle devait ce matin-là reprendre avec sa mère le chemin de leur domicile. Mais en apprenant que les Américains attaquaient la basse-ville, Mme Daurac résolut de ne pas sortir du Château où, lui semblait-il, elle était en toute sûreté. Mais Cécile, elle, était très inquiète au sujet de Lambert, et puis elle était aussi très curieuse. Aussi voulut-elle aller à la ville basse pour voir ce qui s’y passait tout en allant retrouver Lambert à sa barricade. Mais nulle part elle n’avait pu voir le lieutenant. Puis elle avait rencontré Dumas qui lui avait dit que Lambert devait être à la Taverne du Diable.

Or, Cécile était en train de faire le récit de son escapade du Château et de son passage à travers la basse-ville et les combattants, lorsqu’une terrible détonation ébranla terre et cieux.

— Tonnerre ! qu’est-ce que c’est cela ? demanda Dumas qui avait sursauté.

Lambert se mit à rire.

En même temps des débris de bois et de pierre pleuvaient çà et là.

Pour ne pas être atteints les trois amis se mirent précipitamment à l’abri sous une porte.

Alors Lambert fit à Dumas ahuri le récit du dernier drame qui se terminait par une explosion. Mais Lambert comme Cécile, comme Dumas, était loin de penser que cette explosion avait été fatale à Miss Tracey Aikins.

Puis, comme toute la basse-ville était peu à peu envahie par la population joyeuse, et au moment où, au travers de quelques flocons de neige qui tombaient encore, le soleil se montrait rayonnant et puissant, Dumas proposa :

— Eh bien ! mes amis, puisque tout le monde se réjouit, réjouissons-nous également. Venez, j’ai à la caserne encore une excellente cruche de vin, nous la viderons à notre santé !

— Bravo ! dit Lambert. Allons, Cécile, tu es transie, ça te fera du bien !

Et les trois amis se dirigèrent vers la caserne.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vers la mi-janvier Lambert épousait enfin Cécile Daurac.

Tel que le lui avait promis Carleton, Jean Lambert reçut ce jour-là ses galons de capitaine. Mais Carleton avait également promis à Cécile un cadeau… Il tint parole : il avait fait construire dans un faubourg de la cité une jolie villa qu’il destinait à une parente d’Angleterre qui allait venir au Canada. Mais cette parente étant morte sur l’entrefaite, Carleton offrit la villa à Cécile qui, naturellement, n’osa pas refuser.

Et par après l’on put voir souvent Sir Guy Carleton aller faire visite à ces deux braves rejetons de la vaillante race canadienne !

À ces moments, Carleton, Lambert, Cécile et Dumas, qui y venait également fort souvent, s’entretenaient des drames qui s’étaient passés à la Taverne du Diable. Car il restait pour eux un mystère à expliquer : la disparition si subite de Miss Tracey Aikins.

Mais plus tard, par des rapprochements, des déductions, Lambert avait pas mal approché de la vérité.

Puis il avait dit en guise d’oraison funèbre :

— Après tout, on ne peut pas dire que c’était une mauvaise fille !

Cécile se bornait à rire gentiment…


FIN.