La vallée de la Matapédia/Chapitre VI

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Léger Brousseau (p. 25-33).

VI


La paroisse de Saint-Alexis est située, comme on l’a vu ci-dessus, au confluent des rivières Matapédia et Ristigouche, et forme partie d’un plateau élevé qui n’a pas moins de 14 à 16 milles de longueur sur 4 à 5 de largeur.

Toute cette contrée est couverte des plus beaux bois que fournit le Canada, tels qu’érables, merisiers, cèdres etc. ; le sol, d’une nature argileuse, y est d’une grande fertilité et absolument exempt de roches. C’est ce qui en rend la culture extrêmement facile et y attire des colons de nombreux endroits divers, charmés de n’avoir pas à faire subir au sol des préparations difficiles et parfois coûteuses avant de pouvoir en tirer parti. Il n’existe pas d’endroit plus propre à l’industrie laitière ; aussi les cultivateurs de Saint-Alexis ont-ils formé un cercle agricole pour le développement de cette industrie, et semblent-ils déterminés en outre à se prêter de tout leur pouvoir à tous les progrès agricoles et à toutes les améliorations possibles.

Par le chemin Matapédia et les grandes routes qui longent la rivière Ristigouche et les deux côtés de la Baie des Chaleurs, ils se trouvent en communication directe, d’un côté avec les groupes acadiens de la baie et ceux que l’on voit disséminés sur les côtes du Nouveau-Brunswick, de l’autre avec les populations canadiennes de la rive sud du Saint-Laurent ; et, par l’effet d’un double courant d’émigration se dirigeant des bords du fleuve à l’intérieur, et des paroisses acadiennes à la vallée de la Matapédia, cette belle et vaste contrée verra disparaître rapidement l’antique forêt, et de nombreuses et prospères colonies surgir de tous côtés sur son sol.

Cette forêt, les feux de jadis l’ont déjà considérablement diminuée ; c’est ainsi qu’ils ont porté leurs ravages sur une étendue d’environ cent cinquante mille carrés, en arrière du canton Milnikek, jusqu’à la Matapédia. — Néanmoins, l’épinette, le merisier, l’érable et le cèdre se trouvent encore en abondance dans les endroits où le feu n’a pas pénétré. Mais cette dévastation, qui date déjà d’une quinzaine d’années au moins, n’existera bientôt plus qu’en souvenir, la nouvelle pousse, qui remplace les bois de haute futaie naguère consumés, ayant déjà dépassé vingt à vingt-cinq pieds de hauteur.


ÉGLISE ST-ALEXIS, MATAPÉDIA.

L’épinette et le cèdre, en particulier, abondent presque partout. Avec le cèdre, qui est de qualité excellente, on fait une grande quantité de bardeau qui est expédié aux Indes Occidentales ; on en fait aussi beaucoup pour l’usage domestique. Le pin n’est pas d’aussi bonne qualité que celui d’Ontario, mais l’épinette de commerce est supérieure à celle que l’on trouve dans les autres parties de la province.

Toute la vallée de la Matapédia est abondamment arrosée de cours d’eau et de rivières. Le printemps, à la crue des eaux, ces rivières se gonflent suffisamment pour porter des billots, sur la plus grande partie de leur parcours ; la plupart d’entre elles offrent, sur leurs rives, d’excellents sites pour l’érection de moulins et de fabriques de diverse nature. Les rivières Caribou, Sifrois, Mistigouéche, Métis, Assemetcouagan et Humqui sont flottables jusqu’à leur source.

Les lacs, les rivières et cours d’eau en général de cette contrée sont extrêmement poissonneux. Le saumon et la truite y abondent. On dit que dans la rivière Causapscal seule, il se prend chaque hiver pour plusieurs centaines de dollars de truites, que les gens de Campbellton expédient aux États-Unis, où la truite est un poisson de luxe.

Les animaux à fourrure y sont également très nombreux ; on y voit en quantité l’orignal, le caribou, la marte, la loutre, le vison et même le castor ; cependant, ce dernier tend à diminuer de plus en plus, par suite de la chasse effrénée dont il est l’objet. Le vison et la loutre dévorent des millions d’œufs de saumon déposés dans les rivières, au temps du frai.

« Pour ce qui concerne les moyens de communication dans cette partie de la province, dit M. J. B. Lepage, arpenteur, dans un rapport en date du 1{er} mai, 1885, j’ai rarement parcouru de pays où il soit plus facile de communiquer par des chemins, dans toutes les directions. Rien ne s’opposerait, entre autres, à l’ouverture d’un chemin de premier ordre, partant de la station de l’Intercolonial, à Humqui, et pénétrant jusque dans les fertiles terres qui se trouvent en arrière des cantons Nemtaye, Matalik et Milnikek, et qui comprennent une superficie d’environ 350 milles.

« Au point de vue de la colonisation, ajoute M. Lepage, la région de la Matapédia, que j’ai explorée et qui embrasse une étendue de plus de 1300 milles, offre de bien grands avantages. Toutes les terres, à de rares exceptions, peuvent faire de bons établissements. J’ajouterai qu’elles ne le cèdent en rien aux terres si vantées du Lac Saint-Jean, que j’ai eu l’occasion de visiter. La culture de ces terres, aidée des ressources que peut encore produire, pendant plusieurs années, le commerce de bois et des moyens de communication faciles, donnerait le bien-être à des milliers de familles. »


Au sujet de cette même région, M. Joseph Bureau, le célèbre explorateur officiel, s’exprime en ces termes, dans un rapport en date du 12 décembre, 1893.

« Dans les cantons de la Matapédia, que je viens de parcourir, les terres sont exceptionnellement bonnes, le sol de nature franche, glaise, généralement couvert d’un peu de sable, qui est lui même très productif, attendu qu’il est ce qu’on appelle du sable glaiseux.

« Dans ces cantons on ne rencontre que très rarement des roches ou du gravier, le sous-sol étant ordinairement de glaise pure, qui prend une teinte quelquefois jaune, ou rouge, ou grise, mais qui ne cesse pas d’être très avantageuse, en autant que l’on rencontre cette couche invariablement à sept, dix ou quinze pouces au plus de profondeur.

« Pour me résumer, d’après les notions générales que j’ai de cette partie de la province de Québec, je suis prêt à dire qu’à partir du lac Témiscouata jusqu’au bassin de Gaspé, en ligne droite, les terres sont exceptionnellement bonnes, et, en particulier, celles qui sont arpentées et divisées en cantons. »

Les cantons entre lesquels le territoire de la Matapédia a été divisé, et qui ont chacun une contenance de soixante milles en moyenne, sont au nombre de onze et portent respectivement les noms d’Awantjish, de Nemtaye, Humqui, Matalik, Milnikek, Matapédia et Patapédia sur la ligne droite, et de Lepage, Causapscal, Assemetquagan et Ristigouche, sur la rive gauche.

M. Benson Williams, arpenteur provincial chargé de faire une exploration officielle des cantons de Humqui, de Lepage et de Causapscal, vient d’adresser au commissaire des Terres Publiques des rapports très circonstanciés de sa triple exploration. Après avoir dépeint l’aspect général du pays de la Matapédia qui présente une succession uniforme, et pour ainsi dire régulière, d’ondulations, de collines semblables à de longues vagues, de vallons largement ouverts, sans qu’on puisse apercevoir nulle part ni montagnes, ni rochers, ni élévation considérable, ni reliefs rocailleux, ni bas-fonds exposés à des gelées précoces, ni savanes enfin, mais seulement un pays suffisamment accidenté pour permettre un égouttement facile des eaux, un pays agréable à contempler et à parcourir, possédant un sol fertile, du bois et de l’eau en abondance, pouvant être défriché et établi à un minimum de dépenses et de travail, coupé de nombreux lacs, de cours d’eau flottables et très poissonneux, dont les plus considérables sont la rivière Humqui et la rivière Causapscal. M. Benson Williams termine son étude par des observations générales, mais très précises, dont nous croyons devoir faire les extraits qui suivent :

l°. Humqui — Le sol — « Sans exagération, le sol de ce canton est de première qualité et éminemment propre à la culture. C’est une « terre jaune », de nature plastique, exempte de roches et même de cailloux ; on n’y distingue que quelques petits fragments d’une pierre calcaire, d’une sorte de tuf, très friable, qui se désagrégerait rapidement et s’assimilerait au sol mis en état de culture. Ce sol produirait en abondance du foin, des grains et des racines fourragères ; il est d’une qualité uniforme et ne diffère que par la couleur, qui est tantôt jaune, tantôt brune, tantôt gris foncé, presque noire, correspondant respectivement aux diverses espèces de culture que l’on veut faire, certaines cultures préférant une terre jaune, d’autres une terre brune… ; mais il serait difficile de trouver nulle part un sol dans son ensemble aussi généreux ; qu’on le parcoure lot par lot, rang après rang, on n’y trouvera jamais aucun dépôt pierreux ni rocheux, mais toujours il offre


VILLAGE HUMQUI

un niveau égal qui permet à la charrue de manœuvrer

sans obstacle et de creuser tout de suite ses sillons, les feux de forêt ayant en outre d’avance préparé le défrichement.

« Le climat de ce pays est de plus très favorable à l’agriculture. On n’y connaît guère les gelées précoces ; la neige tombe de bonne heure et couvre la terre avant qu’elle soit gelée, les printemps ne sont pas tardifs, et la neige, tombée en abondance, ayant préservé le sol de la gelée, le fermier est en mesure, dès que celle-ci disparaît, de faire ses semailles, contrairement à tant d’autres endroits de la province où la terre est si gelée, au printemps, qu’on est obligé d’attendre des semaines avant de pouvoir commencer à semer.

« D’après mes observations personnelles et les conversations que j’ai eues avec des gens désireux de prendre des lots dans le canton Humqui, les perspectives de la colonisation sont magnifiques. M. le curé attend un grand nombre de familles, au printemps, des cantons de l’Est et même du Manitoba ; je n’ai aucun doute que beaucoup de colons sérieux viendront ici et prendront des lots là où ils seront certains de pouvoir s’établir tout de suite.

« Sur les hauteurs et les versants c’est le bois franc qui domine ; dans les bas-fonds c’est le cèdre. Mais il y a absence complète de bois de commerce. Néanmoins, le colon trouvera sur n’importe quel lot tout le bois nécessaire à ses constructions et à son usage ; il n’aura pas à faire de défrichements et ne rencontrera quelque difficulté que dans les cédrières. Sa récolte dépassera ses besoins et il pourra en écouler le surplus par le chemin de fer, qui est à sa portée. C’est pourquoi je recommande instamment au gouvernement de faire compléter les arpentages et de mettre en vente le plus tôt possible toutes les terres de ce canton. »

Canton Lepage — Le sol est ici absolument de la même nature et de la même apparence que dans Humqui, avec cet avantage de plus que les ruisseaux y sont nombreux où coule une eau douce, exceptionnellement bonne, et les espaces plus grands où le feu a détruit le bois, offrant ainsi au colon pauvre une terre défrichée d’avance, où il n’a qu’à labourer et à semer.

« Tout ce que j’ai dit du sol du canton Humqui s’applique à celui de Lepage. Je n’ai jamais vu sur les bords du Saint-Laurent de meilleure terre que celle de ce dernier canton en particulier.

Quant au bois de commerce, tel que l’épinette, je dirai, comme précédemment, qu’il n’est pas en quantité suffisante pour être exploité. Le terrain de ces cantons est surtout propre à la pousse du bois franc et du cèdre. Les feux ont passé principalement sur les hauteurs et ont laissé les fonds intacts. Là où la pousse nouvelle du bois franc fait son apparition, le colon en trouvera assez pour ses besoins domestiques ; tandis qu’avec le cèdre il pourra façonner des bardeaux, des poteaux de télégraphe, des traverses de chemin de fer, des clôtures… Quand la nouvelle pousse aura atteint sa croissance complète, l’érable, le merisier et le bouleau abonderont ; le bouleau surtout sera d’une grosseur considérable.

En ce qui concerne le climat et les perspectives de la colonisation, je ne puis que répéter ce que j’en ai dit ci-dessus à propos du canton Humqui. Le plus tôt ces cantons seront ouverts à la colonisation, le mieux ce sera : le pays y trouvera son avantage sous tous les rapports, une nombreuse population agricole pourra s’y établir et l’on verra s’y succéder des paroisses bien établies, où comme cela se voit dans certains autres cantons du pays, les habitations ne seront plus à des vingtaines d’arpents les unes des autres. »

Causapscal — « De même que dans les deux cantons précédents, le sol de Causapscal est une riche « terre jaune, » éminemment propre à la culture du foin, des racines et de tous les grains en général. On ne saurait trop recommander ce canton au point de vue de la colonisation ; celle-ci ne peut, nulle part ailleurs, se développer avec autant d’avantages de sol, de climat et de facilités d’établissement, avec le moins de frais et de travail pour le colon généralement pauvre et peu en état de supporter les durs travaux du défrichement. »


1er RANG ST-ALEXIS MATAPÉDIA