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La vie de Marie Pigeonnier/26

La bibliothèque libre.
Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 135-137).

XXVI

Le bilan infâme.

Je crois avoir assez fait connaître la fille, la femme, la proxénète, l’exploiteuse, la cabotine, le bas bleu.

Maintenant il me reste à résumer cette existence infecte et abjecte.

Marie Pigeonnier a toujours gardé rancune aux gens à qui elle avait cessé de plaire.

C’est ainsi qu’une de ces victimes, aujourd’hui au comble de la célébrité, même de la gloire, la chassa ignominieusement de chez elle dès qu’elle s’aperçut du trafic dégoûtant dont elle était l’objet.

Ce fut Marie qui lança cette malheureuse dans le vice et qui percevait sa commission sur les affaires qu’elle emmanchait, et faillit, en jetant sa jeune amie dans la dernière débauche, compromettre son avenir.

L’apprentie, écœurée du rôle infâme que Marie Pigeonnier jouait près d’elle, lui signifia un beau matin d’aller exercer son sale métier ailleurs.

Inde iræ, comme on dit dans les nouveaux lycées de jeunes filles !

Jamais elle n’a éprrrrouvé la moindre sensation au contact d’un homme.

Elle eut quelques amies avec lesquelles elle finissait toujours par se brouiller, car elle les lassait par ses exigences ; elle était bonne camarade, tendre, affectueuse tant qu’on casquait ; autrement, bonsoir.

On a connu notamment ses relations avec Emma Destigres, qui l’adorait.

Marie savait convaincre Emma.

— « Ah ! lui disait-elle, tu es bien la prrremière femme qui… la… que… qui… Ma chèrrre Emma ! Dis-moi, est-ce bien ainsi ?»

Emma était heureuse, comme jadis la Bourgogne.

Pendant d’assez longs mois, le ménage marcha bien.

Mais tout lasse, tout passe, tout casse ; Emma Destigres devenait pingre ; et alors, comme dit Sébastien Colle, plus d’argent, plus de cuisse.

Le torchon brûlait, la Pigeonnier s’envola.

Mon héroïne, mon ex-maîtresse, ne pardonnait jamais un bienfait qu’elle avait reçu.

Elle l’a même toujours payé d’une vengeance ; mais de même que ceux qui crachent en l’air voient leur bave leur retomber dans le bec, de même les coups, qu’elle croit administrer aux autres, lui retombent sur le dos et finiront par lui casser les côtes.

Beau cadeau que nous a fait la Belgique.

Ah ! si je révélais la consultation que lui donna une de nos illustrations chirurgicales, dont j’étais alors le disciple, elle n’y survivrait point. Je n’aurai pas cette cruauté ; je préfère lui donner un exemple de générosité.