La vie orageuse de Clemenceau/III

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Albin Michel (p. 69-92).

CHAPITRE III

Le Général Boul-Boul


Enfin, au point de vue professionnel et technique, comme directeur de l’Infanterie, que pensez-vous de lui ? demanda Clemenceau au colonel de son bord, travaillant dans les bureaux, qu’il avait mandé à son domicile, pour se renseigner sur les véritables talents, et sentiments intimes de Boulanger.

— Je le crois sincèrement républicain…

— Pourtant, il y a une lettre de lui au duc d’Aumale : « Béni sera le jour… »

— Une minute de fléchissement… Qui n’en a pas de semblable dans sa vie professionnelle, ou dans sa vie courante !

— Soit ! Connaît-on ses sentiments vis-à-vis de l’Allemagne ?

— Blessé en 70, il a l’Allemagne en horreur et les hommes politiques français qui obéissent à l’influence de Bismarck sont, à son avis, des traîtres…

— Cela me va. Mais en a-t-on des preuves ?

— Vous en avez comme preuve, monsieur le député, ma parole.

— Il est marié ?

— Oui et il a une fille qui a épousé le capitaine Driant, admirateur et ami de son beau-père.

— J’ai de bons renseignements sur Driant. Je désirerais le rencontrer.

— Quand vous voudrez. Lui aussi est républicain.

— l’atmosphère de la Revanche est partout. J’ai peur que le général soit circonvenu par les réactionnaires, ce qui m’amènerait à le combattre. Je désirerais avoir une conversation, intime et secrète, avec lui

— Quand vous voudrez, monsieur le député, où vous voudrez, et comme vous voudrez,

Quelques jours après, comme il était convenu, Clemenceau et Boulanger se rencontrèrent dans une maison neutre, dont on avait, en cette occasion, renvoyé les domestiques. Ils se serrèrent la main.

— Général, dit Clemenceau, je pense à vous pour le Ministère de la Guerre dans le cabinet qui va remplacer celui de Brisson. J’ai sur vous les meilleurs renseignements. Vous avez des amis fort actifs. C’est pourquoi j’ai décidé de mettre mon influence politique à la disposition de votre candidature. Que ceci reste entre nous. Il suffirait d’une indiscrétion pour que votre essor fût arrêté. Vous rendez-vous bien compte de ce qu’est, en République, l’importance de votre fonction ?

— Je le crois, monsieur le député.

— J’ai été maire de Montmartre, au cours de la journée du 18 mars 1871, où vous avez été blessé. J’ai gardé, de l’émeute et de ses excès, moi jacobin, une profonde horreur. Et vous ?

— Moi aussi, monsieur le député.

— Mais la répression sanglante de Gallifet ne m’a pas été moins odieuse. Et vous ?…

— Elle m’a paru atroce, excusable à la rigueur, mais atroce…

— En quoi ex-cu-sable ?

— L’insurrection de la Commune avait lieu devant l’ennemi…

— Parbleu ! Sans cela elle aurait échoué, dès la première heure. Le potentiel n’y eût pas été atteint. Mais le 4 septembre aussi avait eu lieu devant l’ennemi. Qu’en pensez-vous !

Boulanger ne s’attendait pas à celle-là. Il demeura interdit, comme un enfant qui ne sait pas sa leçon. Clemenceau eut pitié de lui :

— Il n’y a pas, en l’occurrence, de règle générale. La faute criminelle du Second Empire, c’était son impréparation à la guerre. Ces gens-là étaient des idiots et, en cela Rochefort a raison, des canailles.

— Ce n’est pas douteux.

— Mais sachez bien que, désireux de vous voir rue Saint-Dominique dans une heure comme celle-ci, je n’hésiterais pas à vous envoyer en conseil de guerre, si jamais j’avais la certitude que vous trahissez la démocratie. Voilà ce que je désirais vous dire.

— C’est tout naturel, répliqua gentiment Boulanger. N’ayez, à cet égard, aucune crainte.

— Pour le moment non. Mais il y a en vous quelque chose qui appelle la popularité ! Là est la tentation. Là est l’écueil, contre lequel je désirais vous mettre en garde. C’est pourquoi j’ai désiré vous parler, comme on dit, à cœur ouvert.

Boulanger devait dire par la suite que c’était cette conversation avec le célèbre parlementaire de gauche qui lui avait ouvert une perspective à laquelle auparavant il ne songeait pas. La journée de Longchamp avait fait le reste, Quant à son interlocuteur, il lui avait fait l’effet de quelqu’un qui ne savait pas ce qu’il souhaitait, qui aurait voulu la Revanche, sans que celle-ci valut, au soldat qui l’eût remportée, la moindre reconnaissance nationale. Il s’en ouvrit par la suite à sa belle amie, Mme de Bonnemain, et ils en rirent de bon cœur tous les deux.

La popularité. Tel était le grand problème qui préoccupait, avec celui de la force, l’impétueux directeur de la Justice. D’une part, sans la popularité, l’adhésion des foules, on ne pouvait arriver bien haut. L’exemple de Freycinet en était la preuve. De l’autre, la griserie par la popularité menait tout droit à la velléité ou à la volonté de dictature, comme le prouvait le cas, tout récent, de Gambetta. Mais comment la popularité de Gambetta, qui semblait solide et étayée sur une nombreuse clientèle, s’était-elle écroulée si brusquement, salle Saint-Blaise, à Charonne ? Le nouveau tribun ne s’en rendait pas compte. Comme il posait la question un jour, à la Chambre, à un groupe de ses collègues, un de ceux-ci, appartenant à la région indécise du centre, lui répondit :

— C’est que Gambetta n’aimait pas vraiment le peuple et que le peuple en a eu le sentiment.

— Vous admettez donc lˆintuition des foules aveugles ?

— Certainement et je crois à la force durable de la sincérité.

— C’est un point de vue…

— Quel est donc ce collègue, robuste, à barbe blonde, qui m’a donné la réplique tout à l’heure ? Il n’a pas l’air bête… demanda Clemenceau. On lui répondit :

— Il s’appelle Jaurès, il est du Midi, comme le prouve son accent, et il est un ancien normalien.. Centre gauche.

— Tiens, il sort de Normale et il a des idées personnelles, c’est curieux.

Comme en janvier 1886, Freycinet, chargé par Grévy de constituer le cabinet, succédait à Brisson, demandait des avis autour de lui ; pour le portefeuille important de la Guerre, Clemenceau lui désigna Boulanger, « très capable, souple et républicain ». Freycinet avait absolument besoin des voix radicales et donc de l’appui du chef du parti, qu’il n’aimait pas. Après avoir consulté le petit père Goblet, qui lui répondit en toussant, et Lockroy qui lui répondit en faisant tourner son lorgnon, il résolut de choisir Boul-Boul, de mettre à la marine l’amiral Aube, le théoricien des torpilleurs et de « la poussière navale », et, à l’Intérieur, Sarrien, dont le nom (Ça, rien), assurait Clemenceau, « est tout un programme ». Lockroy, premier élu de Paris, comme gendre de Victor. Hugo, dont il avait désolé la fin, reçut le portefeuille du Commerce, pour lequel il n’avait pas la moindre aptitude, et la charge de préparer l’Exposition de 1889, utile au budget.

— Eh bien et vous ? demandait-on à Clemenceau.

— Moi, j’ai le ministère Peau de Zébi, le plus intéressant de tous.

René Goblet — que Rochefort appelait Adolphe Quart, à cause de sa ressemblance avec Thiers — présenta le tombeur de Ferry à sa femme et à sa belle-sœur, qui l’appelaient « Renette » et le dorlotaient. Clemenceau, en veine de blague, demanda au petit homme :

— Pourquoi ces dames, qui sont d’ailleurs charmantes, vous appellent-elles comme une grenouille ?

Goblet demeura interloqué, sa petite figure interrogative entre ses favoris.

— Oui, elles vous disent rainette…

— Je m’appelle René, répondit Goblet sèchement.

— Ça va, repartit Clemenceau, la grenouille dans le gobelet.

On en rit, à la Chambre pendant trois jours, et Boulanger plus fort que les autres. Rue Saint-Dominique, dans les bureaux de la Guerre, chacun pensait que ça allait barder. Mais Boulanger, ayant son idée ambitieuse bien arrêtée, ne songeait qu’à être agréable à tout le monde et d’abord à ses subordonnés. Il avait donné ses instructions là-dessus à son gendre, Driant, qui devait faire, avant toutes choses, ce que lui demanderaient les parlementaires, de droite, de gauche et du centre. Quant à lui, il mettait toujours, en signe de cordialité, la main droite sur l’épaule de son interlocuteur, une main douce, couverte d’un duvet blond.

Le bruit s’était rapidement répandu que Boulanger devait son portefeuille à Clemenceau. Celui-ci venait presque chaque jour rue Saint-Dominique, et lui rappelait qu’ils avaient fait leurs études ensemble, à quatre classes de distance, au lycée de Nantes. Il mettait le soldat, magnifique mais superficiel, et ignorant tout de la politique, en garde contre les embûches parlementaires et contre les intrigues des salons, où l’on parlait déjà amoureusement du brillant ministre à la barbe blonde.

— Méfiez-vous des invitations à dîner des gens de droite. Le prince Plonplon a raison de dire que ce sont de mauvaises gens.

— Qui est Plonplon ? demanda avec une feinte naïveté Boulanger, fort bien renseigné.

— Le fils de Jérôme, le frère de la princesse Mathilde, l’ennemi juré de l’Impératrice.

Boulanger avait déjà reçu un émissaire de ce personnage à demi timbré, socialiste par esprit de contradiction, pas bête ici, stupide là, passionné, rageur et installé en Suisse à Prangin, dans un site merveilleux, au bord du Léman.

Un jour Clemenceau poussa dans le cabinet de son ministre un personnage affreux, de type juif, qui se confondait en salamalecs : « Je vous amène mon vieux Corneille, général. Il a des côtés fripouillards, mais de l’entregent, et, à l’occasion, il pourra vous refiler un tuyau de choix. »

Ainsi présenté, Cornélius Herz s’efforça de rire : « Ne faites pas cette gueule-là, Corneille ; ça vous enlaidit un peu plus et dites bonjour au général. »

Il amena aussi sa nouvelle bonne amie, la ravissante femme d’un diplomate complaisant, à laquelle il parlait sur un ton tout différent, avec respect et tendresse : « Les femmes sont curieuses, vous le savez, général. Madame désirait vous voir et vous féliciter d’être si bon cavalier. L’homme, c’est la plus belle conquête du cheval. »

Ces allures dégagées n’empêchaient pas le directeur de la Justice de s’informer assidûment des desiderata de la troupe, qu’il connaissait, d’ailleurs, par la commission de l’armée à la Chambre. Les ressorts du parlementarisme n’étaient pas encore rouillés, et qui voulait savoir, en dépit de l’opposition et de l’inertie des bureaux, savait. Une section du Ministère, le 2e bureau, dit des Renseignements, attirait surtout la vigilance et la curiosité du chef du parti radical. Mais, là, il se heurtait à une consigne farouche de mutisme et il en concevait une vive irritation. Quand « tous les raseurs » étaient partis, les privilégiés et le ministre avaient une conversation à bâtons rompus, où se sentait la méfiance réciproque : « Ce pékin de Clemenceau nous embête, disaient les services, à vouloir fourrer son nez dans nos affaires. De quoi se mêle-t-il ?… » « Ces gens sont une coterie, songeait Clemenceau. Ils nous haïssent, à cause de notre surveillance. Il importerait de les mettre au pas. » Son implacable mémoire notait tout.

Il s’en ouvrit à Freycinet, évasif et fluet, qui, dès le début de l’entretien, et prévoyant des « mises au pied du mur » — on appelait ainsi Clemenceau depuis le 18 mars — ne cherchait qu’à se défiler. Il avait même prévenu Aron, qui était chargé de faire savoir, une fois sur trois, au directeur de la Justice, que « monsieur le Président n’était pas là ».

Comme Aron, à la tache de vin, prédécesseur de Jésiersky et gardien des archives, s’acquittait consciencieusement de cette mission, Clemenceau, la canne dans la poche, entra d’autorité dans le bureau directorial et avertit de sa venue.

— Ah ! vous voilà, monsieur le député ! J’espère que tout est bien en ordre et que vous avez toute satisfaction.

On apporta des monceaux de documents poudreux, qui, d’ailleurs, ne servirent pas à grand’chose, mais donnèrent lieu, de la part de Clemenceau, à des remarques pittoresques. Le point de vue médical continuait à l’intéresser et il recommanda à Aron une certaine pâte à l’oxyde de zinc, qui le débarrasserait de son exanthème : « Il ne faut pas garder ça, mon vieux. Ça vous gênerait pour faire l’amour. »

Aron, n’ayant aucune envie de faire l’amour, pestait contre la mission qu’il avait reçue et envoyait au diable ce député impertinent.

Ayant passé aux élections à la fois dans la Seine et dans le Var, Clemenceau avait opté pour le Var, où il serait, pensait-il, moins harcelé qu’à Paris. Il ne fallait pas songer à son pays de Vendée, presque entièrement réactionnaire et où il eût ramassé une bûche. C’était là cependant, au milieu de ses concitoyens, qu’il eût été le plus à son aise. Un jour peut-être ils reviendraient de leur chouannerie et adhéreraient en masse à la République, selon la loi de l’évolution et du progrès.

Il avait fait la connaissance d’une femme délicieuse, exceptionnelle, et dont le salon, rival de celui de l’épaisse princesse Mathilde, rue de Berry, était, depuis des années, le rendez-vous de tous les « coming men » de la politique, du journalisme, de la littérature et du barreau. La comtesse de Loynes, qui avait été fiancée à Baroche, le fils du ministre de Napoléon III, tué à la guerre de 70, joignait à une fine beauté aux yeux pénétrants, peinte par Amaury Duval, à une voix douce et insinuante, un charme qui l’apparentait aux belles du XVIIIe siècle, à une Geoffrin, à une du Deffand. Elle recevait alors le général Boulanger et, en même temps, son Mentor de la Justice. Il ne lui échappait pas qu’à un moment donné « le ménage », comme elle disait, ne marcherait pas, étant donné les confidences qu’elle recevait séparément et que, remarquablement discrète, elle ne communiquait pas de l’un à l’autre.

— Clemenceau est si soupçonneux, madame, disait Boulanger, qu’il en devient offensant. J’ai appris qu’il s’informait auprès des huissiers, des personnes que je recevais au Ministère. Il a peur que je me laisse corrompre par la droite.

— Notre général, madame, est en train de me glisser entre les doigts. Je sais qu’il a accepté une invitation chez Mme la duchesse d’Uzès, ce qui est au moins déplacé. Je sais aussi qu’il a rencontré dans le monde une certaine dame noble qui s’est entichée de lui et dont il s’est entiché…

— Ami Clemenceau, vous ne pouvez cependant exiger de lui la continence que vous-même ne pratiquez pas.

— Je me suis aussi aperçu d’une chose : c’est qu’il n’est pas du tout révolutionnaire. Il n’a même pas la moindre notion de cette grande époque. En dehors de son métier il ne sait rien. Il est ignorant de la vie comme…

— Comme un militaire, dit Mme de Loynes en riant,

— C’est cela même. Ces hommes-là, avec leurs képis bahutés, leurs mœurs et leurs habitudes d’obéissance, demeurent des collégiens jusque dans un âge avancé. Je les voudrais plus émancipés, moins conformistes…

— Alors, mon ami, vous les traiteriez de fauteurs de coups d’État, de factieux et vous les dénonceriez dans votre journal,

— C’est bien possible, mais je les estimerais davantage.

— Comment vont les amours, Clemenceau ?

— Fort bien. Elle est délicieuse et, après une surprise désagréable, que vous devinez, j’ai emballé ma femme pour l’Amérique. Ma sœur Brinza s’occupera de mes petites filles. Quant au garçon, ça s’élève tout seul.

— Je connais un jeune professeur, très recommandé par M. Lemaître et qui pourrait, au besoin, l’aider dans ses études. Il s’appelle Hugues le Roux, il est charmant, discret, et, paraît-il, savant.

— Mais, ma chère amie, je n’ai pas les moyens de payer un professeur particulier à mon fils en dehors de son instruction. Ah ! c’est embêtant, quand on n’a plus la mère, d’avoir des enfants sur les bras.

— En toute occasion, ami Clemenceau, adressez-vous à moi. Vous savez que je vous suis toute dévouée et qu’aucune démarche ne me coûte quand il s’agit de vous. À ce propos j’ai vu Magnard et je lui ai parlé de vous, comme d’un collaborateur éventuel au Figaro, ce qui, m’avez-vous dit, vous aiderait à joindre les deux bouts.

— Et que vous a-t-il répondu ?

— Qu’il accepterait volontiers votre collaboration anonyme, mails qu’il craindrait que votre signature n’effrayât ses abonnés conservateurs, c’est-à-dire tous ses abonnés et presque tous ses lecteurs au numéro.

— Une collaboration anonyme serait vite éventée et la chose me nuirait à la Chambre et auprès de mes électeurs. Seule une collaboration ouverte et franche…

— Vous avez tant d’ennemis !

— J’ai aussi, comme amis, tous les ennemis de mes ennemis.

Mme de Loynes rit et frappa de son petit éventail démodé la manche de son interlocuteur., C’était chez elle un signe d’amitié. Elle continua :

— J’ai aussi touché un mot de votre collaboration à Hébrard, pour le Temps. Il m’a dit : « Mais comment donc, cela rajeunirait mon journal. Nous en reparlerons. Vous savez que la plupart de mes collaborateurs sont ferrystes. Bourde est un colonial acharné. Et dame, Clemenceau c’est leur épouvantail. » Au fait, ami cher, pourquoi en voulez-vous tant aux colonies ?

— Vous me le demandez ! Parce qu’elles nous détournent déjà et nous détourneront, de plus en plus, de l’Allemagne. La Revanche, tout est là,

Les yeux de Mme de Loynes brillèrent d’un feu extraordinaire. Elle mit sa jolie main longue sur celle du rude lutteur :

— Pour cette cause, avec vous, de toutes mes forces, mon ami.

— Je le sais. Mais surveillez le général, qu’il ne nous échappe pas. Qu’il ne fasse pas comme a fait Gambetta.

De son côté, le général avait demandé à Mme de Loynes de le recevoir seul et sans témoin. À peine entré :

— Madame, j’ai une grave nouvelle à vous annoncer…

— Ah ! mon Dieu, mon ami, vous me faites peur !

— Rassurez-vous. Ça n’est pas grave. C’est plutôt délicieux. Je suis amoureux…

— Vous m’en direz tant !

— Je veux vous conter cela. Il n’y a que vous à qui je puisse m’ouvrir de ce sentiment. Avec vous je suis sûr du secret.

— Merci bien… Elle est jolie ?

— Mieux que jolie, adorable.

— Elle a une opinion politique.

— Elle est réactionnaire, comme vous, autant que vous.

— Que va dire Clemenceau ?

— Il n’en saura rien et puis je m’en fiche.

— Faites donc des ministres, pour qu’ils vous désobéissent !… Blonde ou brune ?

— Blonde.

— Mariée ?

— Entièrement libre.

— Riche ?

— Non pas riche. Mais à son aise. Tenez voici sa photographie.

Mme de Loynes regarda attentivement le charmant portrait, puis conclut ainsi :

— Beauté et bonté. Je vous félicite, mon ami. Sachez seulement que vous avez maintenant un point faible, un défaut dans la cuirasse. Je n’en parlerai à âme qui vive. Mais la chose transpirera.

— J’étais malheureux. Je vais être heureux. Ah ! madame !…

— « Pour vivre heureux, vivons cachés !… »

— C’est bien ce que nous comptons faire, Marguerite et moi, dès que je pourrai m’échapper.

Quelques jours après, Arthur Meyer, qui avait des accointances avec la société, les partis d’opposition et le Ministère de l’intérieur, annonçait à Mme de Loynes qu’il avait une communication importante à lui faire.

— Asseyez-vous, quoi donc, mon ami ?

Arthur Meyer, directeur du Gaulois, journal de l’aristocratie parisienne, était chauve, avec une couronne de cheveux cannelés et relevés à partir de la nuque. Chaque matin, son coiffeur venait défriser ces touffes désobéissantes et leur rendre la bienséance. Les apophtegmes de Meyer étaient célèbres. Il avait manifesté, dès le début, pour l’engouement Boulanger, une vive sympathie, qui l’avait accrédité auprès des admirateurs du général.

— Madame, voici qui est grave. Le général est amoureux.

— Ah ! vous me l’apprenez. Eh bien, depuis quand est-il défendu d’aimer ?

— Il est à craindre que cette passion ne l’absorbe et ne le rende indifférent à ses devoirs envers la nation…

— Vous parlez comme un livre. D’où tenez-vous ce renseignement ?

— De mes collaborateurs. Un grand journal comme le Gaulois est renseigné sur tout.

— Connaît-on l’objet de cette ardeur extrême ?

— Mme de Bonnemain, une personne en marge de la société.

Le snobisme de Meyer donnait à Mme de Loynes envie de rire. Le directeur du Gaulois ajouta :

— Il a rencontré Mme la duchesse d’Uzès, qui a certainement des vues sur lui. Le résultat des dernières élections l’a frappé et son républicanisme est, paraît-il, fortement ébranlé.

— Que vaut son ami, le comte Dillon ?

— C’est un homme de vues et qui connaît la carte électorale. J’ai eu une longue conversation avec lui.

— Amenez-le-moi un jour. Je désirerais le connaître.

Meyer prit une note sur son carnet :

— C’est entendu, madame,

— Une entreprise comme celle-là exige de l’argent, beaucoup d’argent. Le comte Dillon y songe-t-il ?

— Il pense à tout ; Mme la duchesse aussi. On dit Déroulède très emballé.

— Je m’en assurerai. La Ligue des Patriotes serait en effet un fameux appoint. Déroulède a auprès de lui quelqu’un dont M. Lemaître fait grand cas, quelqu’un qui parle fort et qui est noir comme l’Erèbe, un peu long dans ses dissertations, un certain Thibaut.

— Georges Thiébaut. C’est un plébiscitaire. Il a du feu, mais on m’assure qu’il peut être ennuyeux et… comment dit-on, redondant.

L’affaire prenant figure et l’enthousiasme déchaîné par le général, sur son cheval noir Tunis, à la revue du 14 juillet persistant, Mme de Loynes invita à dîner Déroulède et Meyer, en recommandant au chef de la Ligue des Patriotes d’amener son ami Thiébaut. Le comte Dillon, pressenti, s’était récusé. Jules Lemaître assistait au repas, assez étonné de l’emballement subit de la population parisienne et qui se communiquait à la province, assez sceptique aussi quant à la personnalité de Boulanger et accompagnant son scepticisme d’un petit rire aux yeux clairs. Le menu était exquis comme à l’ordinaire et les vins étaient de choix, la table de Mme de Loynes étant, de l’avis général, la première de Paris.

À peine assis, Déroulède commença un discours, que dominait son grand nez, pour expliquer son attitude vis-à-vis du général Revanche :

— il représente mon idéal patriotique, il incarne, et c’est pourquoi je viens à lui. C’est bien ce que vous pensez aussi, n’est-ce pas, Thiébaut, n’est-ce pas, Meyer ?

Vexé d’être apostrophé le second, Meyer se contenta d’un assentiment de sa calvitie. Alors que Thiébaut parla d’une « fanfare de pantalons rouges » et de la nécessité de « décloisonner le suffrage universel » en organisant le plébiscite.

— Et vous, Lemaître, que pensez-vous ? fit Déroulède, que les réserves du critique agaçaient.

— Mon cher ami, je suis un modeste universitaire dont les vues ont peu d’importance. Mme de Loynes permet que je me réserve.

À ce moment un maître d’hôtel apporta un mot de Magnard, annonçant qu’il passerait au dessert.

— Voilà, dit Lemaître, un homme de bon conseil. Il faudrait aussi savoir — et il se tourna vers la maîtresse de maison — ce que votre ami Clemenceau pense aujourd’hui de son protégé, ce que Warwick pense de son Roi…

— Clemenceau, déclara Déroulède, je me méfie de lui, nous sommes en train de réunir un dossier contre lui.

— Méfiez-vous surtout, reprit Lemaître, de l’authenticité de votre dossier.

— Nous n’acceptons que des pièces sérieuses, indiscutables,

— On les croit toujours telles, pour commencer…

Lemaître fit entendre son petit rire qu’interrompit Mme de Loynes :

— Monsieur Lemaître, vous êtes insupportable. Laissez parler M. Thiébaut.

— La popularité du général offusque Clemenceau, madame, il prétend monopoliser le patriotisme et la Revanche.

— Comédie ! ajouta Déroulède.

— Pourquoi comédie, ami Déroulède ? Je crois là-dessus Clemenceau sincère.

Il fut ensuite question de Rochefort, emballé pour le général et du bossu Naquet, qu’on ne s’attendait pas à voir aux côtés du cheval noir.

— Naquet a de l’influence chez les radicaux. Cette influence contre-balancera celle, devenue hostile, de Clemenceau.

Comme on arrivait au dessert, le directeur du Figaro, Francis Magnard, se fit annoncer : œil aigu, barbe soignée à peine grisonnante, veston gris et cravate bleue, parler assez bref.

— Vous tombez bien, Magnard, dit Lemaître. Il s’agit de savoir si l’on doit adhérer au boulangisme et pourquoi.

— Mais Boulanger lui-même adhère-t-il au boulangisme ?

— Assurément. Et même, ajouta Meyer, il est en train de donner des gages aux royalistes. Cela je le sais pertinemment.

— Ah ! oui, reprit Magnard, la duchesse d’Uzès.… Je me méfie d’abord du haut clergé et ensuite des gens du monde. Pour l’armée, c’est une autre affaire. Mais Boulanger a-t-il l’estime professionnelle de ses camarades ? En cas de coup de chien, le suivront-ils ?

— C’est ce qu’on ne sait jamais, cher monsieur, objecta Déroulède. C’est aujourd’hui à nous, les civils, à entraîner les militaires à l’action.

— Comment cela ?

— En prenant leurs chevaux par la bride et en les mettant dans la bonne direction.

Cette réponse fit dire par la suite à Magnard : « Ce garçon est loyal, mais idiot, et il fera un jour une grosse gaffe. »

— Il nous faut procéder électoralement, maintenant que nous avons des fonds, dit Meyer. À chaque vacance, où que ce soit, il importe de présenter le général.

— Mais et les échecs ?

— Ils seront compensés par les succès. Dès qu’il y aura un siège à Paris, en avant pour Boulanger !

— C’est mon avis, intervint Thiébaut. Je reprends mon image : une fanfare de pantalons rouges.

— Et s’il y a un couac ? dit Lemaître.

Magnard rit. Lemaître lui plaisait beaucoup et il avait envie de l’engager au Figaro pour des petits billets, sagaces et piquants, comme ceux du Temps. C’était le plaidoyer de Mme de Loynes pour Clemenceau qui lui avait donné cette idée.

Mme de Loynes avait horreur de la vedette. À ses amis elle demandait une seule chose : le silence. Aussi vit-elle avec plaisir la duchesse d’Uzès, dont la norme était fort opposée à la sienne, prendre, dans les ragots mondains, et de par ses réelles largesses, une place qu’elle n’aurait jamais voulu occuper. Le plus grand service qu’elle rendit à Boulanger, rapidement perdu dans les rêts de Vénus, ce fut de lui gagner Rochefort, sur qui elle exerçait une séduction morale par la sagesse de ses vues et de ses conseils. Mais jamais elle ne rompit avec Clemenceau, dont elle appréciait le caractère et, comme elle disait, « le sens de l’honneur ». Ce sens et celui de la Patrie, chez elle, primaient tout.

En pleine griserie de popularité, et ne la connaissant pas bien, Boulanger lui demanda un soir de l’accompagner à l’Opéra, dans une première loge de face. Elle y consentit et se tint dans le fond de la petite boîte, ayant placé, à côté de l’homme de la Revanche, une jolie petite femme quelconque. À chaque entr’acte toute la salle se retournait et saluait l’idole de Paris. Vint la sortie. Le général avait offert son bras à Mme de Loynes. Quand on fut sur le perron — car il faisait beau et sec — un seul cri s’éleva : « Vive Boulanger ! » Le général se tourna alors, avec une mine infatuée, vers celle dont il soutenait le bras léger et dit : « C’est pour bibi, tout ça ! » Alors, disait Mme de Loynes, je ne crus plus à son triomphe. C’est là ce que les Anglais appellent « very vulgar ».

Mais, tandis qu’il tendait la main droite aux royalistes, Boulanger, sous la direction de Dillon, tendait la gauche aux impérialistes, et notamment au prince Napoléon. Celui-ci accueillait tout et tous, pourvu que les intermédiaires fussent les adversaires, sournois ou déclarés, de l’impératrice Eugénie, la mère en deuil du prince Louis, sa bête noire. On n’a jamais su les raisons de cette persistante haine, que partageait la sœur de cet effervescent abruti, la princesse Mathilde, laquelle, il est vrai, à un moment donné, avait espéré coiffer la couronne. Naturellement les transactions de Boulanger avec les impérialistes, étaient dans les quinze jours connues des royalistes et réciproquement. Cependant que Naquet, juif avisé, s’efforçait de nouer des liens avec la banque israélite des Rothschild, méfiante, peureuse et que la popularité foudroyante du général effrayait.

Naquet aimait à se confier, notamment à son ami Lockroy — qu’il avait accompagné à son voyage de noces en Italie — et ses propos, alors, étaient intéressants.

— J’ai dit à Strauss — le principal avocat borgne des Rothschild, et qui épousa la veuve de Bizet, la belle Égérie, par la suite, du dreyfusisme — que le général a beaucoup de chances et qu’il serait absurde de méconnaître ses possibilités d’accession au pouvoir.

— Et qu’ont répondu les Rothschild ? s’informait Lockroy.

— Que cela dépendrait des fluctuations de la rente.

Au Ministère du Commerce, qui donnait sur les quais, Lockroy prenait son repas du soir, avec sa femme et les petits-enfants de Victor Hugo. Boulanger, sortant de la rue Saint-Dominique, y venait, avec son gentil sourire et une brassée de potins, parmi lesquels Lockroy, subtil, distinguait aisément ceux du Ministère de la Guerre, du Bureau des Renseignements, et ceux du monde et du Gaulois.

— Un petit verre, mon général ?

— Ce n’est pas de refus, cher ami… N’est-ce pas que c’est drôle ?

— Très amusant, Alice, où est la vieille fine ?

— La voilà.

— Madame, pas plus haut que le verre…

— Et alors, demandait Lockroy, quand faites-vous, mon général, le coup d’État ?…

— Cher ami, ripostait Boulanger, vous me posez la question que m’a posée, hier soir, mon concierge. Je lui ai répondu, et je vous réponds : « Ce n’est pas mûr. »

Tout cela sur le ton du badinage, mais assez menaçant. Il n’est pas exact de dire que les chances dictatoriales de Boulanger diminuaient à mesure que le temps passait. Au contraire elles augmentaient et Lockroy disait à ses intimes : « J’ai peut-être eu tort de m’abstenir. Il est en train de démolir toutes mes idées sur la pusillanimité des militaires.

— C’est, disait Laisant, qu’il n’y a, présentement, pas de danger. Mais attendez-le au tournant. Par la suite, ce fut Laisant qui tourna.

Quand Clemenceau eut la certitude que son poulain lui échappait et « pactisait avec la pire réaction », selon l’expression consacrée, il le lâcha carrément, sans faire l’esclandre qu’on attendait et évita désormais de se rencontrer avec lui. Mais lorsque le Ministère de l’Intérieur fut confié à Constans, dont l’ignominie personnelle lui était connue et ne faisait de doute pour personne — on l’appelait couramment ainsi que sa femme, terrible virago, dans les milieux républicains, « les empoisonneurs », — il refusa de s’associer à ce qu’il appelait « la clique contre » et, à ceux qui lui demandaient s’il prenait parti, il répondait vivement :.« Je préfère demeurer entre deux selles. » Son béguin militaire, qui dura peu, ce fut, à cette époque, l’obscur général Ferron, « un nouveau Moltke ». Mais l’histoire n’a pas gardé trace de celui-ci.

Suivirent les étourdissantes victoires électorales du général, d’autant plus complètes qu’elles étaient inattendues et s’étendaient du Nord à la Dordogne. Toute la sagacité des spécialistes du scrutin échouait devant le fait que les ouvriers du Nord, par exemple, joignaient massivement leurs voix à celles des régions les plus conservatrices, que Pelletan disait les plus « raplapa ». Il y avait là un ensorcellement, un phénomène météorologique. Boulanger était gentil, bon garçon, toujours prêt à rendre service, camarade fidèle, amant parfait. Mais d’une ignorance politique totale, prenant comme porte-parole un gaillard tel que l’avocat Laguerre, aussi véreux que le Constans qu’il attaquait à la tribune, et dont le seul mérite était d’avoir épousé une blonde ravissante et rouée, Marguerite Durand, passionnée pour la cause féministe. Un grand diable pas bien malin, nommé Millevoye, épris d’une longue et généreuse Irlandaise Maud Gonne, un jeune écrivain lorrain plein de promesses, ardemment patriote, Maurice Barrès, le carabosse Naquet et quelques autres, de second plan, composaient l’État-Major du parti.

La bonne société parisienne était, généralement (si l’on peut dire) favorable à Boulanger qui avait trouvé le moyen de concilier, dans un même amour, les milieux les plus opposés. Dupé par Gambetta, l’esprit de revanche avait, avec Boulanger, son renouveau. Sauf au Quartier Latin, entièrement rebelle. Clemenceau se félicitait de cette dernière circonstance, où apparaissait le bon sens de la jeunesse. Traduisant en acte le mot célèbre de Rochefort sur « le lard dans le chapeau » deux étudiants, en médecine, Jean Charcot et celui qui écrit ceci, portérent rue Dumont d’Urville, au domicile du général, avec un gros morceau de lard, deux petits aigles qu’un admirateur du professeur Charcot avait envoyés à celui-ci. Ils en furent félicités par la République Française.

Puis, après cette flambée gigantesque devant laquelle, lors de l’affaire Schnoebelé, avait reculé Bismarck, — bonne leçon qu’enregistra de loin Clemenceau, — la trahison, la police de Sûreté générale et Constans parvinrent à disloquer l’amalgame (royaliste, impérialiste et patriote), à isoler l’idole des foules, perdu dans l’adoration de sa belle maîtresse, à terroriser celle-ci qu’envahissait la tuberculose, et l’on sait le reste. Après la mort de Mme de Bonnemain, Boulanger, ivre de douleur, se suicida. Lockroy dit en ricanant : « Sous-lieutenant d’opéra-comique. » Des bandits de presse, tel Edmond Magnier, de l’Événement, insultèrent le cadavre encore chaud, désapprouvés par Constans qui, comme il le disait, « assassinat lui-même ». Clemenceau se tut. Sa mauvaise humeur contre les chefs militaires s’en accrut, mais sa foi dans la revanche n’en fut pas ébranlée.

Il s’entretenait une fois de plus, philosophiquement, de ce grand drame, avec Mme de Loynes apitoyée, quand un serviteur apporta le courrier. Il s’y trouvait, dans une feuille de chou, un article ordurier dirigé contre Lemaître et signé d’un misérable maître chanteur, connu et classé comme tel. Mme de Loynes parcourut des yeux cette saleté, où elle était nommée en toutes lettres et qui constituait — car on la savait riche — un « amorçage » caractérisé.

— Voyez, dit-elle à Clemenceau. C’est ignoble,

Le directeur de la Justice lut attentivement. Comme il achevait, la porte s’ouvrit et Lemaître entra.

— Bonjour, Clemenceau… Madame qu’avez-vous ? Ah ! je vois cela, vous avez reçu aussi cette petite immondice. Rassurez-vous. Cela n’a pas d’importance. L’auteur est un homme déconsidéré, spécialiste de ce genre d’entreprises. Il n’y a qu’à laisser tomber.

Mais Clemenceau, levant le nez et retirant son lorgnon :

— Je ne suis pas de votre avis, Lemaître. Quelqu’un de votre situation, de votre notoriété, ne saurait rester sous le coup d’imputations pareilles.

— Mais que voulez-vous qu’il fasse, mon ami ?.…. dit Mme de Loynes, tout angoissée.

— Il n’a qu’à se batte. Clemenceau enlevait toujours l’r de « battre ». Au besoin je lui servirai de témoin…

— Oh ! mon Dieu, s’écria Mme de Loynes avec épouvante. Mais il ne sait tenir, le pauvre cher, ni une épée, ni un pistolet.

— Il est l’offensé, madame. Il choisira le pistolet. Je lui apprendrai en deux leçons à s’en servir.

— Mais si ce gredin le tue…

— Cela vaudra toujours mieux, madame, que de passer pour un couillon.

Le mot brutal heurta Jules Lemaître, qui répondit tranquillement :

— Je ne savais pas Clemenceau aussi avide de sang. Mais puisqu’il est d’avis que je dois me battre, je me battrai.

— Comme cela les autres crapules vous ficheront la paix.

— Il ne pourrait pas plutôt aller devant les tribunaux ?

— L’avocat du maître chanteur, vraisemblablement aussi canaille que lui, vous outragerait à nouveau tous les deux. Non, non, ce qu’il faut à ce drôle, c’est une balle dans la peau.

Lemaître envoya ses témoins au Giboyer, désireux de publicité et ravi de l’aubaine. Les deux adversaires échangèrent deux balles sans résultat. Il n’y eut pas de réconciliation sur le terrain. Clemenceau, qui était premier témoin de Lemaître, lui dit : « Vous avez tiré comme un cochon. Mais lui, heureusement, a tiré comme deux cochons. »

Par la suite, Mme de Loynes ayant demandé à Clemenceau pourquoi il avait fait risquer la mort à Jules Lemaître sans raîson sérieuse, celui-ci lui répondit : « Parce que son petit rire m’agaçait. »