LA LEÇON DE MUSIQUE
À MES PETITES AMIES JUDITH ET SARAH CLADEL
Voici deux petites sœurs ; l’une,
L’aînée, ainsi qu’on peut le voir,
Sait jouer Au clair de la lune ;
L’autre voudrait bien le savoir.
Or, la cadette, blonde et gaie,
Depuis une heure, toute en eau,
De ses mains mignonnes essaie
D’ouvrir l’énorme piano.
« Viens, Thérèse, viens à mon aide ! »
Thérèse soulève, en tremblant,
Le pesant couvercle, qui cède.
« Dieu ! le beau clavier noir et blanc !
Vois, la musique est en ivoire ! »
Dit Lili très émue au fond ;
Puis, frappant une touche noire :
« Ces noires, quel bruit elles font !
— Silence ! — Oh ! méchante marraine !…
— Il faut, Lili, parler moins haut,
Si vous voulez qu’on vous apprenne
La chanson de l’ami Pierrot.
— Lili sera sage, Thérèse.
— Écoute alors : Do, si, la, sol…
Cette touche, c’est un dièse,
Et puis, d’autres fois, un bémol.
Quels beaux noms ! il faut les écrire.
Dièse, bémol, reprend Lili.
La musique, cela fait rire ;
La musique, c’est très joli ! »
Thérèse, qui veut rester grave,
De son index mieux assuré
Soigneusement parcourt l’octave :
Ré, mi, fa, sol, la, si, do, ré.
Et Lili, joyeuse, l’imite :
Do, ré, ré, mi, mi, fa, sol, la…
Mais ses petits doigts vont trop vite.
« Non, Lili, ce n’est pas cela !
— Notre chat, de ses pattes roses,
En trottant, parfois réussit
À jouer de très belles choses :
Est-il musicien aussi ? »
Puis elle rit, charmante et folle,
De voir ainsi, d’entre ses doigts,
L’essaim des notes qui s’envole
Comme un nid surpris dans un bois.
Jamais ses mains ne seront lasses :
Lili jouera toujours, toujours !…
Quand soudain deux notes très basses
Vibrent avec de grands bruits sourds ;
Et Lili se bouche une oreille :
Lili n’est brave qu’à demi ;
Lili croit que sa sœur réveille
Quelque vieux tonnerre endormi,
« Le piano ne veut plus qu’on joue ;
Il se fâche… » Et terriblement,
Devant Lili qui fait la moue,
L’instrument gronde un long moment.
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