Laure d’Estell (1864)/47

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Michel Lévy frères, libraires éditeurs (p. 194-195).


XLVII

CAROLINE À LAURE.


Je vous ai offensée, Laure ; vous devez me haïr, et pourtant je tombe à vos genoux pour implorer votre pitié. Apprenez mon crime, mon désespoir, et donnez à ma mère le courage de soutenir le coup affreux que je vais lui porter. Caroline est perdue pour elle, livrée au déshonneur, au mépris universel, il n’est plus pour sa coupable fille d’asile sur la terre !… Le plus vil suborneur, un monstre, en égarant sa raison, a corrompu son cœur. Après s’être servi du pouvoir de la religion pour la détacher de toute affection vertueuse, après lui avoir inspiré un amour fanatique pour la divinité, le misérable abusant du délire de son imagination, de son ivresse, l’a précipitée dans l’abime des remords et du désespoir !… Ce n’est pas tout encore ; voyant le bandeau de l’erreur tomber des yeux de sa victime, et craignant l’effet de son repentir, il l’a abandonnée !… Oh ! Laure ! à tant de maux il fallait succomber, direz-vous, Caroline devait mourir !… Eh bien, jusqu’à cette ressource, tout lui fut enlevé. Sa vie ne lui appartient plus. Celle d’un autre y est attaché ; et le ciel a voulu qu’il restât un fruit de cet horrible amour, pour en éterniser le souvenir… à cette idée mes forces s’évanouissent.

Adieu, Laure, oubliez-moi… Ne songez qu’à ma mère. Que vos vertus la consolent… Qu’elle retrouve près de vous et de Frédéric les soins qu’il m’eût été si doux de prodiguer à sa vieillesse. Ne parlez désormais de moi que pour offrir à votre enfant l’exemple effroyable de ma situation. Ne vous informez point de mon asile. Quand vous recevrez cette lettre, nous serons déjà séparées pour toujours. Mais, oh ! ma chère Laure ! rappelez-vous que la sœur de Henri était née pour vivre au sein de la vertu, pour vous chérir, pour être aimée de vous, et versez une larme en pensant à ses malheurs, et bientôt à sa mort.

Caroline de Varannes.