Laurier et son temps/Laurier Ministre

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La Compagnie de Publication de "La Patrie" (p. 39-42).


Laurier Ministre


L’entrée de Laurier dans le ministère était devenue nécessaire. Il prit la place de Félix Geoffrion, que la maladie força à donner sa démission comme ministre de l’Accise.

Le parti libéral faiblissait, et les conservateurs, un moment étourdis par leur chute, reprenaient force et courage.

Dorion, le plus sage, le plus respecté des anciens libéraux, avait abandonné son portefeuille de ministre de la Justice pour accepter la position de juge en chef de la Cour du Banc de la Reine, et il avait été remplacé par M. Fournier qui, lui aussi, avait, peu de temps après, démissionné pour devenir juge de la Cour Suprême.

La crise financière était à son apogée, et le Bien Public, organe de la fraction modérée du parti libéral, fondé dans le but de plaider la cause de l’industrie nationale au moyen d’un tarif protecteur, avait été obligé de disparaître, parce que le gouvernement n’avait pas voulu augmenter les droits de douane suffisamment.

Le règlement de la question d’amnistie avait déplu à un grand nombre qui demandaient tout ou rien.

Les conservateurs tiraient parti de tous ces éléments de faiblesse contre le parti libéral. Comme Laurier, après avoir accepté un portefeuille, était obligé de se faire réélire, ils résolurent d’essayer leurs forces contre lui ; ils se ruèrent dans le comté de Drummond-Arthabaska et l’inondèrent d’orateurs, d’agents électoraux, de brochures et de journaux.

La misère publique et le refus du gouvernement de faire ce que l’intérêt de l’industrie exigeait, leur fournissaient une arme terrible. Non contents de cela, ils arborèrent l’étendard religieux, et proclamèrent partout que voter pour le gouvernement, c’était voter contre le catholicisme.

C’était le temps où un orateur en vogue pouvait dire que les libéraux descendaient en ligne directe de Caïn, le premier libéral du monde, où des « cabaleurs » allaient de maisons en maisons disant que les libéraux, ici comme en France, finiraient pas nous faire marcher dans le sang des prêtres jusqu’aux genoux.

— Eh bien ! on se chaussera pour, avait dit un bon cordonnier, libéral obstiné.

Laurier fut vaincu. Il fut sensible à cet échec, le premier et le dernier de sa vie. Mais Québec, théâtre de ses premiers triomphes oratoires, le vieux Québec dont il avait éveillé le patriotisme et soulevé l’enthousiasme, vint à son secours. M. Thibaudeau, représentant de la division Est, lui offrit son siège, aux applaudissements de la population. Laurier accepta et fut élu.

Mais il ne fut pas assez longtemps ministre pour donner la mesure de ses talents d’administration. Sa défaite, dans le comté de Drummond-Arthabaska, avait été le premier coup de glas du ministère Mackenzie. Si Laurier, le plus aimé, le plus populaire des chefs du parti libéral n’avait pu se faire élire dans le comté qu’il honorait par ses talents, qui donc pourrait résister aux assauts du parti conservateur ?

L’écrasement des libéraux aux élections de 1878 était facile à prévoir.

Les conservateurs offraient aux manufacturiers, aux ouvriers, aux cultivateurs, au pays affamé, un remède à ses maux : la protection.

Les libéraux n’offraient rien et se moquaient de la protection. Le peuple vota naturellement pour ceux qui lui donnaient au moins des espérances, il crut qu’il ne perdrait rien à changer de gouvernement.

Laurier échappa au désastre ; rien n’a jamais pu lui enlever la confiance et l’admiration de la population de Québec, surtout de Québec-Est, où le sentiment est si vivace, si enthousiaste.


Résidence de Sir Wilfrid Laurier à Arthabaska